Les spectateurs qui en savaient trop

A propos (et en compagnie) d'Alfred Hitchcock

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le 23 juin 2018

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“[L]es spectateurs, de nos jours, en savent trop.

J’aime les spectateurs, voyez-vous, et mon travail est de les satisfaire. Mais la vie serait bien plus facile pour moi s’ils n’étaient pas devenus si adultes et si diablement sophistiqués. Par ailleurs, j’aimerais qu’ils laissent tranquilles leurs réfrigérateurs.

Alors que les gens, il y a quelques années, allaient voir un film, ne le prenaient pas pour autre chose que ce qu’il était, rentraient chez eux d’un pas tranquille et le recommandaient à leurs amis le lendemain matin, aujourd’hui ils foncent chez eux à toute allure dans leurs voitures aérodynamiques et se précipitent sur le réfrigérateur. Ils sortent un poulet du freezer – et en l’espace de quelques minutes, ce qui n’était qu’un divertissement tout à fait honorable a été disséqué, analysé et critiqué, au point que le film en question, le lendemain matin, est devenu d’un ennui intolérable.

Aujourd’hui, le réalisateur doit prévoir cette dissection. Le spectateur de cinéma s’attend en fait à ce que l’histoire fasse sens. […] Tous les fils de l’intrigue doivent être liés les uns aux autres. Les scénarios doivent être écrits en vue de la clarification de chaque détail. […]

[Le] goût [du spectateur] pour le poulet et la critique est certainement responsable de l’amélioration du divertissement cinématographique au cours des ans. L’idée de me maintenir à son niveau me convient. Mais il y a des moments où vous aimeriez pouvoir rouler sur une route moins fréquentée – à l’époque où vous pouviez faire un film de façon décontractée et informelle – en faisant entrer un personnage sans avoir à l’expliquer et peut-être même en perdant un acteur principal en cours de route.”

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Citation : "The Man Who Knew Too Much", texte d'Alfred Hitchcock publié pour la première fois dans Films of the Year 1955-1956, et repris dans Alfred Hitchcock, Quoi est qui ?, Marest Editeur, 2017 / Images : Psycho (Alfred Hitchcock, 1960).