Si les films d’Hong Sang-soo nous ont habitués à de longues séquences de dialogues entre personnages assis, le dernier venu semble pousser le statisme à un degré jamais atteint. En dehors de quelques passages dans des ruelles, tout est ici concentré autour de tables. Tables de restaurant, mais surtout d’un café où une jeune femme, Areum, prête une oreille attentive aux conversations de clients qui l’entourent : deux jeunes gens, un vieil acteur et son amie, un autre acteur rejoint par une écrivaine, et enfin une étudiante qui affronte un professeur. Dans Grass, l’on observe les personnages plus qu’on ne les suit, et le film, en lieu et place d’intrigue, offre un assemblage de différentes conversations autour du personnage d’Areum.
Grass, comparé à de précédents films jouant d’effets de discontinuité ou de rapports de temps extrêmement marqués entre les séquences, perdant le spectateur entre le réel et le virtuel, le présent ou le passé, apparaît assez continu et limpide : Areum est à côté des autres, au sein d’un même espace. Le film, au-delà du resserrement spatial qui s’y opère, semble confirmer les propos d’Hong Sang-soo disant qu’il cherche dorénavant une forme plus discrète. Toutefois, la discrétion de la forme n’implique pas son abandon, au contraire. Sachant bien que les morceaux d’un film ne tiennent pas ensemble sans échafaudage, le cinéaste recourt ainsi à des rimes et répétitions habituelles, et a mis au point un protocole assez précis, quoique soumis à de menues variations, pour lier les conversations des inconnus et les interventions d’Areum : la conversation se poursuit un moment hors-champ alors que la jeune femme est apparue par un raccord ou un panoramique, et, après que son commentaire en off a pris le relais des paroles in, les personnages dont il est question font retour à l’image, le dispositif en faisant de véritables supports de réflexion.
Cette répétition formelle s’insère dans une série de rapports plus large, et au sein d’une structure faussement symétrique. Le récit est en effet comme divisé en son milieu par un ensemble de séquences où Areum quitte le café pour se rendre dans un restaurant où elle déjeune en compagnie de son frère et sa petite amie, avant de revenir à son point de départ. Une fois Areum de retour, tous les personnages apparus dans la première partie réapparaissent, mais suivant un ordre et des combinaisons inédites (deux duos se sont notamment assemblés en un quatuor). C’est ainsi que l’ordre de départ, qui pouvait donner une sensation d’arbitraire (pourquoi commencer avec les jeunes gens plutôt qu’avec le vieil acteur et son amie ?), prend peu à peu une nécessité interne, la répétition de plans montrant des personnages absorbés dans la contemplation des plantes qui se trouvent devant le café, ou la façon dont des personnages se croisent au gré des entrées et sorties, contribuant à augmenter au fur et à mesure la consistance de ce petit long-métrage.
Il faut toutefois ici faire une différence, essentielle pour le cinéma d’Hong Sang-soo : tous ces éléments sont structurants sans être immédiatement signifiants. Leur fonction n’est pas simplement de nous renseigner sur le caractère d’un personnage, sur l’évolution d’une relation, mais plutôt de se cumuler les uns avec les autres pour que le café mais aussi le récit tout entier apparaissent comme de purs lieux de circulation et de combinaison. La mise en scène de Grass peut se résumer ainsi : production de liaisons et de déliaisons entre des personnages qui n’ont en commun qu’un lieu – d’où, tout de même, l’importance d’une séparation entre l’intérieur du café et sa devanture. Et, conséquence de tout cela, Grass relève avant tout d’une composition de personnages (et non pas de blocs d’espace temps, comme c’est le cas dans d’autres films), donc d’une circulation de relations, d’histoires et de sentiments, cela autour d’Areum.
Le contenu des discussions qui parviennent à la jeune femme n’est évidemment pas indifférent : la consistance vient aussi de là. Trois échanges ont pour toile de fond la disparition d’un être cher, soit qu’une connaissance commune aux personnages se soit suicidée, soit qu’un personnage confie avoir lui-même tenté de mettre fin à ses jours. Et dans deux cas la perte, irréparable, engendre culpabilité et accusations, que l’on rejette la faute sur l’autre ou qu’on la prenne sur soi. D’autres personnages expriment un besoin de se reposer sur l’autre : c’est le cas du vieil acteur qui, démuni après sa tentative de suicide et sa rupture avec une troupe de théâtre, souhaite être hébergé chez son amie, mais aussi de celui qui désire collaborer avec son amie écrivaine sur l’écriture d’un scénario. Or, ces demandes d’aide et de proximité rencontrent toutes deux un refus, moins dû à de la méchanceté ou à une mauvaise volonté que relatif à une forme irréductible d’impossibilité. De la même manière, le duo de jeunes gens qui, après s’être affronté et éloigné, se retrouve et se rapproche subitement, ne pourra pas concrétiser le désir spontané de passer la nuit ensemble.
Bien que l’on puisse y trouver matière à rapprochements, produire une synthèse de toutes les conversations semble une tâche extrêmement compliquée alors que s’y bousculent la mort et l’amour, de la violence et de la dépendance, de la peur et du désir, de l’insistance et de la politesse, et bien d’autres choses encore. Mais le film, face à cette tâche, offre au spectateur un autre principe structurant, qui n’est autre que le personnage d’Areum lui-même. La place de la jeune femme est ici très particulière puisque c’est à elle, pourtant dénuée de lien avec les autres, qu’il revient de faire le lien entre les différents échanges, de contenir ou de cadrer leurs fluctuations et d’orienter le spectateur. Cela passe donc par toute une série d’interventions en voix off qui viennent se loger entre les discussions mais aussi, lors de séquences pour la plupart situées au milieu du film, par des échanges directs avec d’autres personnages.
Sur ce point, il y a cohérence du personnage jusque dans la rupture avec sa position première. En effet, si Areum est amenée à quitter sa posture d’observatrice, d’abord de force lorsque l’acteur vient s’asseoir à sa table, puis de gré lorsqu’elle suit son frère jusqu’au restaurant, tous les échanges auxquels elle participe sont autant d’occasions de reconduire une distance ou de remettre en doute la solidité des liens. Elle rejette ainsi la proposition intrusive de l’acteur qui exprime le souhait de passer dix jours à ses côtés afin de se nourrir de sa vie pour un scénario. Mais elle s’attaque également à la relation que son frère entretient avec sa petite amie, s’en prenant à lui car il la suit comme un chien, ou soutenant qu’ils sont irresponsables de songer à se marier alors qu’ils ne se connaissent pas à fond. Entre Areum et le couple du frère, le film produit un rapport d’opposition, et ce n’est pas pour rien si ce couple fait l’objet d’une répétition, réapparaissant vers la fin en train de se prendre en photo paré de costumes traditionnels, reproduisant l’action d’un autre couple croisé plus tôt.
Alors que son frère est du côté du lien et de la continuité, Areum est du côté de la discontinuité et de la solitude. Et à travers le refus de l’écrivaine de collaborer à l’écriture d’un scénario (« il est difficile d’accorder ses pensées », dit-elle) comme à travers la méfiance d’Areum envers l’engagement dans le mariage, il est ici question d’une même difficulté à se lier aux autres. Areum oriente le récit puisque c’est à partir de sa propre position face à l’existence qu’elle réfléchit les scènes dont elle est le témoin, la façon dont celles-ci achoppent sur une forme d’impossibilité venant en partie confirmer ce qu’elle semble savoir des difficultés inhérentes aux relations humaines. Ses interventions en off l’inscrivent à l’intérieur de la filmographie d’Hong Sang-soo dans une série de plus en plus longue de personnages dotés d’une sensibilité et d’une conscience particulières (avant elle : Haewon, Sunhi, l’autre Areum du Jour d’après, et dernièrement Younghee dans Seule sur la plage la nuit), loin des profils instables ou des thèmes sentimentaux vaporeux que l’on associe parfois au cinéaste.
De sa table, Areum indique le caractère illusoire de la quête de sens de certains personnages, elle se questionne sur la sincérité des relations et, lorsque les jeunes gens semblent la refouler, rappelle la seule certitude qui soit, celle d’une mort à venir. Absence de sens, de vérité et de durée : on retrouve bien ici le fond sur lequel se bâtissent les fictions du cinéaste et ce qui, pour ce personnage, légitime d’avoir le café solitaire. Or, déliaison et liaison ne vont pas l’une sans l’autre chez Hong Sang-soo, et les personnages font toujours face à deux motifs de souffrance complémentaires : ne pas pouvoir s’unir et ne pas pouvoir vivre seuls. N’échappant pas à cette règle, Areum est un personnage en tension, dont les interventions ou les quelques déambulations expriment aussi un irrémédiable attrait pour ces relations dont elle perçoit autant les failles sans fond que les inépuisables richesses. Qu’est-ce qui, après avoir quitté son frère et sa copine, conduit Areum à faire demi-tour et à revenir au café ? Une simple chanson d’amour aux paroles romantiques (« Comme d’habitude, on se promène ensemble, mes pas accordés aux tiens, ma main dans ta main… »).
En dépit de son extériorité de départ, Areum n’est pas ici une spectatrice détachée qui devise à peu de frais sur les peines et les faiblesses des autres et l’on retrouve dans sa position et son évolution l’absence de surplomb et de cynisme qui rend les films d’Hong Sang-soo si appréciables. La conscience de ce qui se joue dans et entre les conversations ne débouche sur aucun retrait ni sur aucun jugement moral définitifs, mais sur un changement de perspective qui a toujours été au centre du travail du cinéaste. Lorsqu’elle désigne à un moment des personnages comme de « petites choses insignifiantes », cela se mêle à une expression d’admiration, et il suffit pour comprendre ce curieux mélange et toucher enfin au cœur du film, de la suivre dans ses réflexions au cours desquelles elle qualifie deux choses de « précieuses » : le présent, et les émotions « naïves et puissantes », « en toc et vitales ».
Nous faisant passer d’une conversation à une autre à travers Areum, Grass, disions-nous, relève avant tout de la composition de personnages, mais il faut dire que Grass n’est aussi fait que de présent et d’émotions. Composition de personnages égal composition d’affects dans des séquences qui se vivent au présent. Par le passé, les dispositifs narratifs complexes et les jeux temporels qu’Hong Sang-soo avait expérimentés avaient déjà pour horizon – puisqu’il fallait renoncer à reconstituer un ordre ou une hiérarchie – le détachement du présent de toute continuité temporelle afin qu’il puisse s’apprécier pleinement, que l’affect s’y libère et apparaisse dans sa puissance propre, lui-même détaché de toutes ses motivations psychologiques [11] [11] À propos du détachement de la continuité temporelle chez Hong Sang-soo, et du changement de perspective que cela implique (d’une évaluation morale à une évaluation immanente) voir le texte “Pour une morale du temps”, publié en ces pages. . En apparence simple, le dispositif de Grass n’a d’une certaine manière pas d’autre objet que d’accomplir ce détachement afin de nous exposer, au travers et par-delà les réflexions et la conscience d’Areum, aux affects de ses personnages. Et l’on peut pour le saisir s’attarder sur une séquence au statut singulier.
Le film, en son milieu, accompagne Areum au restaurant, nous l’avons dit. Mais cette sortie du café est elle-même coupée en deux par une séquence où l’on retrouve le personnage de l’écrivaine, seule dans un restaurant non identifié. L’homme avec qui elle avait rendez-vous n’est visiblement pas là et, pour tromper l’attente et la déception qui guettent, elle sort pour aller s’asseoir sur un banc. Sans doute trop préoccupée pour rester en place, elle se relève après quelques secondes, remontant les escaliers qu’elle venait de descendre. C’est alors que se produit un événement inattendu : arrivée en haut, elle fait demi-tour et entame une série de va-et-vient dont le rythme augmente au fur et à mesure, jusqu’à atteindre celui de la course. Peut-être sera-t-on tenté de lire dans ce mouvement qui ne mène nulle part un signe d’indécision, caractéristique récurrente des personnages hongiens : ne sachant pas quoi faire, l’écrivaine se retrouverait condamnée à ce mouvement en boucle.
Seulement, il y a dans cette séquence un élément qui lui donne sa juste valeur : le visage du personnage s’éclaire au fur et à mesure d’un sourire. Nous n’avons pas du tout affaire à un enfermement, mais à un changement. La séquence montre la substitution d’un affect à un autre, mettant en scène une auto-affection du personnage qui s’effectue à la fois dans l’espace, par l’intermédiaire d’un mouvement physique, et dans le temps : le moment de la course est d’un côté détaché de toute continuité temporelle, immotivé, sans provenance et sans destination, mais il implique d’un autre côté le passage d’un affect à un autre – et l’on peut songer ici sans mal à cette définition que, parmi d’autres, Gilles Deleuze donnait du temps : le temps comme “affection de soi par soi”.
Semblant sans rapport avec le cours du récit, ce plan, la manière dont il est construit et ce qui s’y passe, ne sont en réalité pas fondamentalement différents de ce qui se joue autour des tables dans le reste du film. En effet, avant d’être reliées à ce qui les entoure et de faire l’objet de réflexions d’Areum, les conversations apparaissent d’abord comme nous l’avons dit elles-mêmes sans rapports avec le reste. Ce sont des moments dotés d’une forme d’autonomie, au sein desquels nous n’avons certes pas affaire à un phénomène d’auto-affectation, mais à la relation de personnages qui s’affectent l’un l’autre. Par ailleurs, la séquence des escaliers nous livre également une leçon applicable aux conversations : si la manière dont l’écrivaine se met à ressentir de la joie peut sembler artificielle, puisqu’elle vient d’un mouvement « gratuit », cette joie est pourtant incontestable dans le moment où elle advient. Comme le signale Areum, en matières d’affects la question de la sincérité ou de la vérité devient elle-même caduque, s’effaçant devant la spontanéité des manifestations. Concernant les personnages du café, cela signifie que le fait qu’ils soient des inconnus, que nous ne sachions pas très bien d’où ils viennent et où ils vont, n’est pas un problème – et le fait que la plupart soient acteurs n’a rien de fortuit. L’important est que les émotions, « vraies » ou « en toc », sont, par-delà les arrêts de la raison ou de la conscience, l’expression la plus immédiate de la vie – et donc aussi le seul moyen de surmonter la crainte de la mort future et les déceptions passées. Les personnages qui échangent dans le café peuvent tantôt être plaints et jugés insignifiants, tantôt être enviés et soustraits à tout jugement : c’est une affaire de perspective. Mais il suffit en tout cas qu’ils soient présents, devant Areum et devant nous, pour qu’il se passe quelque chose, que l’on s’émeuve.
Je disais pour commencer que Grass poussait le statisme à un degré jamais atteint. Mais l’on peut entrevoir maintenant qu’il s’agissait là d’un constat superficiel, énoncé afin de s’offrir le plaisir d’un contrepied. Au contraire, il n’y a rien de statique dans Grass et, si l’on ne suit pas les personnages, c’est pour mieux suivre le mouvement des affects. Là encore, la course de l’écrivaine peut s’avérer éclairante, pour peu que l’on soit sensible aux correspondances : rien à voir a priori entre la course et les conversations, à ceci près que, comme la course, les conversations mettent aussi en jeu des passages d’un affect à un autre dans le temps, suivant leurs propres rythmes, certes plus irréguliers. Cela dit, c’est un autre élément structurant qui vient le mieux éclairer le lien qui se noue dans le film entre les affects et le temps : la musique. Celle-ci n’a sans doute jamais pris autant de place et d’importance chez Hong Sang-soo, et elle recouvre à la fois la plupart des conversations au café et la course de l’écrivaine. Mais alors que la présence de la musique est justifiée dans le café, les personnages évoquant eux-mêmes par instant les choix musicaux du patron des lieux, elle est répétée sans aucune justification narrative lors de la course – c’est qu’il s’agit justement avant tout d’un élément structurant, venant suggérer un rapport entre différents moments.
L’usage de la musique présente au moins deux caractéristiques capitales, qui renvoient toutes deux à une forme d’autonomie. Tout d’abord, Hong Sang-soo tend à faire coïncider la durée des morceaux avec la durée des conversations : ce découpage musical vient renforcer une impression de discontinuité, l’impression que le film procède par assemblage de blocs séquentiels. Ensuite, la musique choisie semble n’avoir aucune signification symbolique : elle ne vient pas « commenter » ou souligner les échanges, mais elle s’y superpose. La plupart des musiques sont des morceaux classiques de compositeurs célèbres, et le pathétique ou l’épique de Wagner n’interviennent pas pour appuyer un affect exprimé au fil de la conversation, mais ils s’ajoutent plutôt comme un couche supplémentaire, au risque parfois de sérieuses dissonances (par exemple quand un cancan d’Offenbach surgit au moment où l’acteur voulant écrire un scénario, touché par la situation de l’acteur plus âgé, lui propose de dormir quelques temps dans son bureau). On peut trouver quelque chose de paradoxal à cet usage de la musique, qui tend à accoler morceaux et conversations au niveau de la durée tout en les décollant au niveau de l’expression.
Mais l’important n’est pas que la tonalité affective de la musique corresponde à la tonalité affective des discussions, c’est que les affects et rythmes de la musique et les affects et rythmes des discussions soient réunis dans un même bloc de présent, de manière à ce que s’établisse pour le spectateur une correspondance ou une forme de contamination perceptive entre musique et parole. Que l’on sente bien que, même si cela n’a rien à voir du point de vue du « contenu » exprimé, cela a à voir du point de vue de la forme d’expression. La musique ne vient pas souligner l’émotion qui se dégage des conversations car elle doit plutôt permettre de considérer les échanges et le film dans son ensemble comme une autre musique, comme des compositions musicales ayant leur propre autonomie. Hong Sang-soo cherche d’ailleurs tellement peu un rapport d’adéquation entre affect musical et affect « joué » qu’il répète à des moments différents le prélude de Lohengrin de Wagner. Il suffit qu’un rapport temporel se noue, et qu’à l’écoulement d’une partition musicale s’associe l’écoulement d’une partition faite de mots et de gestes, mais aussi de mouvements de caméras, de panoramiques et de zooms venant ici ménager une pause, là accentuer une réaction, chaque partition suivant son propre rythme et ses propres passages d’un affect à un autre.
Tout ici est concentré autour de tables, mais cette scénographie n’a chez Hong Sang-soo que l’apparence de la platitude : elle lui permet à la fois de nous faire par l’écriture éprouver la profondeur des problèmes et par la mise en scène jouir de la surface des émotions, de nous faire surmonter l’impossibilité qui se loge dans chaque relation au moment où nous en prenons conscience. Par-delà les liaisons et les déliaisons passées ou à venir, les relations des uns et des autres libèrent de l’affect au présent, et les déplacements et les combinaisons des personnages dans et autour du café ne semblent finalement pas avoir d’autre vocation que de produire dans un espace hors du temps des possibilités de contact, de composer des duos ou des quatuors réunis, sinon pour une intrigue, au moins le temps d’un d’un morceau. Si Areum nous guide et nous aide à les apprécier, ce sont bien les affects ici qui, avant même la première intervention de la jeune femme, font le lien entre les éléments disparates et donnent au film sa fluidité : chacun en est traversé et même elle, finalement, se lève.
La série d’images fixes qui clôt le récit, montrant le café vidé de ses occupants, n’est pas là pour souligner le caractère éphémère de ce que vous venons de voir. Au contraire, tandis que le Lohengrin retentit, c’est une manière de nous faire une dernière fois sentir l’effet de l’art du cinéaste : les lieux vides, quand ils se détachent de la continuité, se remplissent d’affects. Décidément, dans Grass, même les photographies n’arrivent pas être statiques.