Un générique, où les noms des membres de l’équipe apparaissent tracés au stylo bleu. Un plan plus tard, après une discussion avec sa mère, une scénariste qui entame, au stylo, l’écriture de son prochain projet. Après avoir abandonné une idée fortement inspirée par la discussion et sa situation actuelle (une femme dans une passe financière difficile), elle opte pour l’histoire d’une réalisatrice française en visite en Corée. Nous passons alors immédiatement, par simple cut, à un plan nous montrant la réalisatrice, Anne (Isabelle Huppert), entourée d’un ami réalisateur coréen et de sa femme enceinte. L’apparente humilité des moyens, le souci de ne pas distinguer les différents niveaux de récit (c’est-à-dire refuser l’emploi des « embrayeurs », dont le plus illustre représentant reste le fondu enchaîné) : 4 plans, et déjà la certitude d’être chez Hong Sangsoo. Par conséquent, la certitude également qu’il n’y en aura pas beaucoup d’autres…
Deux histoires suivront la première, Isabelle Huppert interprétant dans chacune un personnage différent quoiqu’ayant – on ne se refait pas – le même prénom. On retrouve au fil d’In another country des éléments familiers, à commencer par le caractère de ces trois Françaises : la première est paresseuse, la seconde dort beaucoup, la troisième flirte avec la déprime. Si Anne est étrangère en Corée, elle ne l’est pas tout à fait au cinéma de HSS. Au travers des rendez-vous manqués, des buts jamais directement atteints, des conversations alcoolisées, celui-ci reste maître dans l’art de faire passer ses personnages d’un état à l’autre et de donner au spectateur le sentiment paradoxal d’un film très rapide malgré l’absence de véritable action. C’est peut-être que nous restons constamment actifs, tentés comme nous le sommes de nous repérer dans le réseau de rimes, ressemblances et différences, mis en place entre les parties. Un exemple infime parmi bien d’autres : la première s’ouvre sur une tirade contre le manque d’éducation des Coréens, occasionnée par la présence d’un tesson de bouteille sur la plage, mais dans la troisième c’est Anne qui se débarrasse d’une bouteille sur la plage… Ici comme dans les œuvres précédentes, la tautologie (le moine disant « vous avez peur parce que vous avez peur ») côtoyant l’illogisme (Anne expliquant la gifle qu’elle donne à son amant par l’amour qu’elle lui porte), le spectateur est invité à ne pas considérer les parties comme les pièces d’un même puzzle qu’il aurait à charge de reconstituer, ou comme autant de lettres devant finalement former un mot mystère. Un film comme celui-ci, constitué de plusieurs récits, n’est pas à confondre avec un film à épisodes ou avec la réunion de différentes expériences individuelles autour d’un thème commun. [11] [11] Il pourrait être profitable de comparer la structure narrative d’In another country à celle du film de Miguel Gomes, Tabou, qui sortira en décembre. Ce qui différencie les deux pourrait être que, si Tabou présente aussi plusieurs récits détachés les uns des autres, ils restent subtilement liés par un fil conducteur interne aux récits, de l’ordre du thème, aussi subtil soit-il. In another country semble aussi uni par des thèmes ( une française en Corée…), mais en fait de thèmes, il s’agit surtout de données narratives (je me donne tel et tel personnage, tel endroit, comme constantes, et à partir de là je forme différentes histoires). Et la différence principale serait que chez HSS l’acte producteur des récits, de tous les récits, est représenté. Chez Gomes, un seul récit dans le récit trouve une source explicite, par une voix in qui devient voix off,et les deux autres histoires semblent se raconter seules (d’une très belle manière). La comparaison permettrait peut-être de mettre en évidence que HSS ne pousse pas seulement à se demander comment plusieurs histoires peuvent se lier, se répondre les unes aux autres (question à laquelle l’on peut répondre par l’instauration d’un thème, par un va-et-vient entre personnages, entre réel et imaginaire, entre passé et présent…), mais aussi comment une histoire pourrait en être une autre. L’arbitraire et le hasard ont, dans ce cas, une place de premier rang.
In another country propose également des nouveautés. L’une d’entre elle se voit sur l’affiche : Huppert. Sa présence apporte, par la confrontation de la langue coréenne avec l’anglais, celle des divers accents et types de jeux, une dimension sonore et visuelle particulière. Sur la plage, face au sauveteur (le “lifeguard“, interprété par Yu Jun-sang) tout en candeur, qui accompagne ses paroles courtes et vives par des gestes amples et dynamiques, elle se tient plus droite, entre rétention et abandon, position où sa maîtrise et son élégance transparaissent. On ne sait pas si on sent l’actrice ou la française, ni si l’un “joue mieux” que l’autre, mais la rencontre fonctionne. Pourquoi, au fait, la scénariste du début choisit-elle de raconter l’histoire d’une étrangère ? Elle dit s’inspirer d’une réalisatrice française rencontrée dans un festival, mais on connaît une autre réponse : elle raconte cette histoire parce que le réalisateur sud-coréen et l’actrice française se sont rencontrés à Paris et ont décidé de faire un film ensemble. La précision peut paraître prosaïque, sans rapport avec le film lui-même, mais elle traduit pourtant la manière dont HSS conçoit son cinéma. Pas besoin d’attendre le bon projet, le scénario adéquat : on commence et le scénario suivra. S’il prend tout de même la peine d’attribuer au personnage une expérience personnelle pour expliquer le choix, cela se fait sans préparation et nous ne sommes pas entièrement dupes. S’Il y a l’utilisation un peu brutale d’un personnage pour arriver à ses propres fins, il y a aussi le souci d’établir un rapport entre la vie d’un personnage et le récit qu’il va mettre en route. La scénariste n’est pas écrasée par HSS, et il reste peut-être quelque chose d’elle dans les histoires d’Anne : la vision négative des hommes coréens pourrait bien avoir été inspirée par cet oncle qui a ruiné sa famille. Impossible, donc, de véritablement justifier le choix de l’histoire autrement que par un fait réel (la rencontre Huppert-HSS), mais impossible, dans le film tel qu’il est, de parvenir à cette histoire sans passer par cette scénariste.
Bien qu’elle n’intervienne que dans quatre plans, la présence de ce personnage intermédiaire, qui nous est donné comme source des trois récits, différencie fortement la structure du film de celui du précédent, par exemple. The day he arrives se composait d’un seul niveau de récit, qui, se constituant de répétitions, installait une problématique de l’actuel et du virtuel. Des moments d’une existence pouvaient connaître des versions différentes, et les séquences pouvaient être lues sur un plan horizontal, de manière chronologique, ou vertical, comme si un moment ne venait pas après un autre, mais sur lui ou au-dessous [22] [22] Je renvoie à la critique de The day he arrives. . Ici, du fait de l’installation de plusieurs niveaux de récits, le problème est modifié. Il ne s’agit plus d’une confusion actuel-virtuel, mais plutôt de mesurer le rapport de l’imaginaire (ou de la fiction) et de sa source (supposée plus “réelle”) : et cela ne peut se faire sans définir la place que chaque niveau de récit occupe vis-à-vis de l’autre. Or la grande trouvaille du film est celle-là : l’impossibilité d’une hiérarchisation claire et définitive de ces niveaux. Le problème est donc le suivant : l’imagination des personnages, les êtres et les actions intérieurs à chaque récit, peuvent-ils valoir l’imagination de l’auteur, s’imposer à lui et mener à une indifférenciation ou insubordination des niveaux ? Si nous disons d’un personnage qu’il est “uniquement” un personnage, peut-on dire d’un auteur, réalisateur, qu’il est “uniquement” un auteur ? Nous retrouverons le brouillage des frontières entre la vie et le cinéma, autre constante du cinéma de HSS, mais instillé par un procédé différent.
HSS a écrit le film, la scénariste écrit le film dans le film. Nous pouvons donc voir trois niveaux. Mais dans la deuxième histoire écrite par la scénariste, Anne se retrouve également en charge d’un récit, et un quatrième niveau apparait. Cette Anne-là est une femme riche qui a un rendez-vous furtif avec son amant, un réalisateur, dans la station balnéaire de Mohang (où les trois histoires d’Anne se déroulent). L’amant lui téléphone pour lui annoncer qu’il est retenu à Séoul. Elle part pour une balade et, alors qu’elle se trouve assise face à un phare, l’amant pénètre dans le champ, la surprend et l’embrasse. On se rend bientôt compte qu’il n’était pas vraiment là : bercée par les vagues, elle rêvassait. Elle rentre ensuite au studio loué pour ce court séjour, et s’endort. L’amant arrive peu après et la tire de son sommeil. Mais, quelques séquences plus tard, la voilà qui se réveille dans le studio. Encore une fois, l’amant n’était pas vraiment là : il s’agissait d’un autre rêve. Toujours seule, elle se dirige vers la plage, et son amant pénètre à nouveau dans le plan. On s’attend à ce que ce soit un troisième rêve, mais, cette fois, il semblerait qu’il soit vraiment là, et l’histoire se termine bientôt… Il y a en fait deux manières de voir les choses : soit ces apparitions de l’amant sont le fruit de l’imagination d’Anne, soit il s’agit de ratures de la scénariste, d’un processus d’écriture. La première solution est la plus évidente. Admettons-là et remarquons que, là encore, il n’y a aucun embrayeur pour séparer l’action « réelle » de l’action « imaginaire » : si imaginaire il y a, il fonctionne comme une ou plusieurs séquences insérées entre deux plans identiques (celui d’Anne assise face au phare dans le premier cas, celui d’Anne endormie dans le studio dans le deuxième), sur le même niveau que les images censées appartenir au récit-source. Le retour au « réel » se fait ainsi simplement par un retour à un plan déjà vu.
La deuxième Anne accède donc elle aussi à un statut de créateur – son imagination peut se traduire en plans qui s’intègrent aux autres plans. Il faut maintenant noter que son récit (ou son rêve) se base sur des éléments tirés de son vécu : l’égalisation des plans se fait bien sûr d’autant plus facilement que l’imaginaire ne se manifeste dans aucun cas à travers des images poétiques ou “surréalistes” (qui fonctionneraient comme des indices pour le spectateur), mais se construit sur et dans le quotidien. L’imagination d’Anne se compose à partir de ce qu’elle vit et voit. Avant, nous la voyons marcher derrière le sauveteur dans la rue. Ils ne se parlent pas, mais cela suffit : la rencontre a eu lieu, il lui a plu, et il sera présent dans le rêve – comme la rencontre avec une réalisatrice française “justifiait” la présence d’une française pour la scénariste. De manière assez évidente, le désir personnel d’Anne s’ exprime dans ce rêve (désir de voir l’amant, désir pour ce sauveteur), mais il s’y trouve aussi des éléments psychologiquement immotivés, plutôt issus de la structure d’ensemble du film, donc plus extérieurs : par exemple l’idée qu’il y a un danger, que l’on retrouve dans les trois histoires (qu’il soit représenté par les hommes coréens, ou ici par Internet [33] [33] L’amant étant un réalisateur connu et marié, il craint qu’on le surprenne et qu’une photo ou video de lui et Anne soit diffusée sur la Toile… ). Le quatrième niveau de récit, attribué à Anne, n’échappe donc pas à un rapport avec les autres niveaux : Anne source de récit n’exclut pas la scénariste, qui elle-même, comme source de récit, n’exclut pas le réalisateur, qui lui-même n’exclut pas la scénariste et Anne.
On peut établir un parallèle entre la manière dont fonctionne l’imagination des personnages et celui de l’auteur. Si on lit, dans les Cahiers du Cinéma de ce mois-ci, le journal de tournage d’Isabelle Huppert, on s’aperçoit que HSS ne cesse de prélever des éléments réels pour venir les intégrer à son film, les reproduire au tournage – reprise d’une improvisation, d’une attitude d’un acteur, d’un mot écrit par Isabelle Huppert quand elle visitait un temple bouddhiste… Je ne suis pas loin de penser que la chanson improvisée par le maître-nageur à la Anne de la première histoire, où les paroles ne font en fait quasiment que décrire la situation (« Anne, tu es belle, tu as froid… ») constitue une bonne illustration de l’art de HSS. Il s’agit tout autant de laisser les événements, le hasard, entrer dans le film, le garder ouvert, que de lui donner une forme. [44] [44] On ne conçoit pas de circulation entre niveaux de récit sans concevoir une circulation entre vie et cinéma : un réel tout prêt à passer à la fiction, et une fiction toute prête à accueillir le réel (à commencer, ici par le réel représenté par les acteurs, leur jeu et improvisation). Ce n’est pas seulement une partie de son récit que HSS délègue à ses personnages, c’est plus largement une partie de son processus créatif et imaginatif. De l’observation pré-tournage au tournage, en passant par l’écriture des scènes, c’est un tourniquet permanent où chaque étape communique avec l’autre, où l’auteur s’évertue à rendre indistinct l’origine de la création sans en perdre le contrôle. Cinéma savamment labile, à la virtuosité discrète.
Revenons à cette scénariste en quatre plans, qui constituent la véritable proposition originale d’In another country, en même temps que là où HSS semble intervenir le plus ouvertement. À partir du moment où la scénariste renonce à s’inspirer directement de sa vie (vie qui ne nous est d’ailleurs pas montrée, la possibilité d’un développement de ce côté nous étant juste suggérée par la discussion avec la mère), ce personnage peut sembler assez inutile ; pourquoi ne pas passer directement au film Anne-Huppert, en recourant éventuellement à une voix off ? Mais la véritable surprise survient à la toute fin. Alors que l’on pouvait s’attendre à un retour à la scénariste, selon le schéma installé auparavant (un plan de celle-ci venant conclure les deux premières histoires), le film se termine sur Anne. La troisième histoire s’achève, mais l’histoire – ou le niveau, puisque la scénariste n’a presque pas d’histoire – de la scénariste est oubliée. La présence de ces quatre plans semble alors d’autant plus gratuite, accessoire, et l’on peut se dire que ce personnage était un simple moyen, pour HSS, d’introduire ses histoires d’Anne, une décision arbitraire greffée sur le reste [55] [55] L’écriture de HSS apparaît parfois ouvertement ailleurs dans l’œuvre en général, et dans le film en particulier : au travers des répétitions le personnage de l’hôtesse se voit clairement assignée une fonction – elle est celle qui lance chaque Anne à la recherche du phare, et donc les égare. On peut également sentir une trace appuyée d’écriture dans le double emploi du sauveteur. HSS le fait également travailler dans un restaurant, cela doublant de manière très pratique les occasions de rencontre avec Anne. .
La scénariste occuperait une simple fonction narrative, un poste-relais, affublée d’une justification transparente. Mais si elle semble avoir la fonction de faire parvenir les histoires au spectateur, elle n’est pas seulement l’indice d’une décision arbitraire et extérieure ou supérieure : elle empiète aussi sur la place de HSS. Place de celui qui tient le crayon (pas de fétiche technique, un cinéma fait main), de celui qui ne souffre pas de problème d’inspiration (pas de panne ou de tourment – puisque l’inspiration se trouve dans la vie quotidienne et ne vise pas de sens), de celui pour qui la production de récit est une activité naturelle et partagée. Voilà peut-être la fonction profonde de ce personnage : fournir un accès à la source première du récit, à la place symbolique du réalisateur. Les quatre plans sont donc arbitraires, mais ne sont ni gratuits ni à prendre avec désinvolture : importants de par leur simplicité même. HSS conçoit et nous fait concevoir sa propre place comme une sorte de relais : indispensable, mais qui pourrait être occupé par un ou une autre, pour ce film ou un autre. Il n’intervient pas dans un récit sans lui laisser une possibilité de le toucher en retour. Grâce à quoi, quand le film s’achève sans revenir sur la scénariste, qu’il ne nous renvoie à rien d’autre qu’à l’énonciateur premier, le réalisateur, ce non-retour ne place pas HSS au-dessus de sa fiction, mais exactement au même niveau. Le peu de cas qui est fait de la scénariste, son oubli final, est aussi une façon pour HSS de signifier – proposition impossible donc sans ces quatre plans – la possibilité de sa propre mise en concurrence et de son propre oubli ou écrasement en tant que source de récit. L’humilité est un trait saillant chez HSS, c’est aussi pourquoi, chez lui, le jeu sur l’énonciation, la mise en avant des structures narratives (et par là d’une écriture) ne saurait relever prioritairement d’une morale : il ne s’agit pas de dire “ce que vous voyez n’est qu’un film, et non le réel”, mais plutôt de suggérer “ce que vous voyez n’est qu’un seul film, une version possible”.
Un générique de début, où les noms apparaissent tracés au stylo bleu. Puis une scénariste, qui écrit avec un stylo. Pour comprendre l’importance de ce départ, il faut s’imaginer le cloisonnement des plans qui aurait résulté d’un générique standard. Un retour final à la scénariste aurait quant à lui donné au film la forme d’une boucle, ou bien aurait conduit à l’envisager comme une série de cercles, le plus grand (HSS) en contenant un deuxième (la scénariste), qui en contient un troisième (Anne), etc. La structure choisie par HSS empêche cet ordonnancement d’être plus qu’une simple possibilité, une hypothèse parmi d’autres. En faisant ainsi circuler un moyen d’écriture, en faisant le choix du cut et en donnant à ses personnages (et à ses acteurs) leur propre capacité à créer et imaginer, enfin en s’inspirant des lieux, HSS autorise un trouble dans le statut et l’attribution de chaque niveau de récit. Et il nous permet gracieusement cette hypothèse : l’indépendance totale de chaque niveau par rapport à l’autre, ou, ce qui revient au même, l’interdépendance totale de chaque niveau. Soit un film composé de bouts qui n’ont pas nécessairement à communiquer entre eux. Soit un film où chaque bout pourrait être mis en rapport avec un autre, selon un ordre indifférent. Que le film n’aille pas totalement dans cette direction n’enlève rien au fait qu’il la suggère [66] [66] Et on comprend pourquoi faire plus serait une lourde erreur (j’insiste sur le lourde) : aller jusqu’au bout signifierait faire un film moins vivant, plus systématique – le fait qu’une seule des trois histoires de Anne fasse l’objet d’un récit dans le récit peut être significatif à cet égard. Le “doublement” de chaque récit aurait donné un système, des certitudes. , et son état fini peut parfaitement comprendre une part de contingence.
Pourquoi avoir présenté les trois histoires d’Anne dans cet ordre et non dans un autre ? On peut penser que la troisième histoire offre au film une meilleure fin que les autres. La troisième Anne semble suivre un véritable trajet, une évolution plus dessinée (bien qu’elle reste légère). C’est un personnage triste, qui cherche le bonheur et du sens. C’est peine perdue, mais elle trouve tout de même la tente d’un sauveteur et surtout, coup de chance inouï, il se met à pleuvoir à l’endroit exact où elle avait, plus tôt dans le film, caché un parapluie. Cette fin, la plus optimiste de toutes, conclut agréablement. On peut mettre cette volonté au compte de HSS, et l’en remercier. Mais voilà : hormis une volonté arbitraire, rien n’implique nécessairement que l’histoire numéro trois vienne en troisième position. Rien ne permet de penser qu’une histoire vaille plus qu’une autre. Que l’on attribue ces histoires à la scénariste ou à HSS, elles ne sont peut-être qu’autant de brouillons, et la mise bout à bout signifie l’impossibilité du choix plus qu’une progression qualitative. Rien, enfin, n’oblige le brouillon à servir à une œuvre achevée. Ce n’est qu’au regard d’une œuvre finale qu’il apparait pauvre ; chez les brouillons aussi l’union fait la force, et la vie y travaille encore.
L’on pourra donc trouver agréable qu’un personnage (du moins, après les complications, les rendez-vous manqués, les dangers peuplant la station balnéaire et les incompréhensions), trouve ce parapluie. Et l’on peut très bien y voir le mot de la fin, donner ainsi le privilège à ce qui est sur ce qui pourrait être. On se rappelle tout de même que tout le cinéma de HSS, si léger pourtant, est tiraillé entre une philosophie de la contemplation et des intensités, où ce qui est est, où l’on fait ce qu’on peut (refus du jugement moral), et des structures narratives qui disent que ce qui est pourrait être différent (pour éviter le jugement définitif, travailler la variété du possible). Le système des rimes entre les différentes parties est d’ailleurs bien fait pour créer un peu de confusion et de désorientation chez le spectateur, tout comme Anne peine à s’orienter vers le phare. Lorsqu’elle retrouve ce parapluie, à la fin, un doute m’assaille : est-ce bien cette Anne-ci qui avait mis ce parapluie à cet endroit ? N’est-ce pas la Anne précédente ? Pour répondre, il suffirait certainement de revoir le film. Mais la question n’est pas seulement due à un regrettable manque d’attention, encore moins à un manque de clarté, et n’exige pas de réponse. Ce pourrait être l’une, ce pourrait être l’autre. À toutes les questions que l’on se pose, à celle-ci comme aux plus « graves », il est peut-être plus judicieux de répondre, comme le moine bouddhiste à une Anne en quête de sens et de connaissance d’elle-même, par un dessin. Vous voulez que le film ait un sens : il s’agit avant tout de le regarder. Mais, attention : « Beautifully ».