L’Assemblée, Mariana Otero

Entre les mots

par ,
le 18 octobre 2017

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L’Assemblée est moins un film « sur » Nuit Debout – objet instable, sur lequel les médias ont cassé leurs objectifs – que dans le mouvement, soumis aux questions qu’il a posées avec une inquiétude qu’il fait sienne. Pour Mariana Otero, l’événement n’a rien d’une geste dont il faudrait proposer une couverture plus ou moins intégrale ou un récit séquencé (ce qu’était encore son film de 2010 sur la création d’une coopérative ouvrière, Entre nos mains). La nouveauté de Nuit Debout fut d’être un combat dont les buts restèrent indéfinis jusqu’au bout, parce que sa finalité se confondait avec les moyens de sa lutte : à force de laisser s’épanouir tous les discours, le mouvement n’a pas eu de plaidoyer qui lui soit propre, et sa cause se résumait au fond aux effets de ses procédures. C’est pour cette même raison que tenter d’en évaluer la réussite ou l’échec n’a guère de sens, puisque son ambition première n’a jamais été que d’épuiser sans le résoudre le problème qui l’innervait : quelles conditions permettent un échange démocratique résistant à la confiscation ? À cela, il y a au moins deux ordres de réponse, l’un matériel et l’autre formel. Le premier se résout aisément : la vraie démocratie exige que la pluie ne tombe pas plus que les coups de matraque – le souci météorologique est constant dans L’Assemblée (un nuitdeboutiste ne manque pas de pointer que le ciel est droitier), et Otero liste à l’envi les obstacles plus ou moins violents que la police n’a cessé de dresser sur le chemin des occupants. Le second n’admet au contraire d’autre réponse que la perpétuelle relance de son interrogation – aucun dispositif ne peut se targuer d’être parfaitement démocratique – et, de ce point de vue, la beauté du film tient d’abord à la façon dont il documente l’hésitation.

La dernière prise de parole de L’Assemblée revient à un homme dont l’embarras résume la dynamique du film : Nuit Debout n’est, dit-il, qu’un outil qu’on ne peut transmettre sans le modifier ; autrement, il connaîtra bientôt le devenir-fossile des luttes muséifiées. C’est dire aussi que le film a moins pour cœur des énoncés qu’un dispositif d’énonciation ; cela expliquerait la rareté des scènes de masse (l’assemblée proprement dite n’y est somme toute que peu montrée) et l’absence d’intérêt qu’il porte aux autres scènes de parole audibles sur la place (rien des ateliers variés ou des discussions en marge de l’AG, rien non plus de la vie nocturne souvent plus chahutée). Les quelques moments consacrés aux séances plénières servent surtout à manifester le tâtonnement des protocoles (voter sur le vote) ou l’inventivité déployée face aux insuffisances techniques (la parole relayée de voix en voix quand la sono fait défaut). L’essentiel des séquences va toutefois à ce qui se trouve en amont de l’assemblée, les réunions de la commission « démocratie sur la place ». Le but n’est pas d’héroïser les modérateurs ayant consacré tant de temps à assurer la possibilité d’une telle parole, mais de suivre leur souci de distribuer celle-ci sans que son usage soit capturé. Un autre locuteur le rappellera : pour la politique, le vrai fond n’est jamais que la forme, et faire grief au mouvement de sa passivité revient à occulter ce qu’il contient d’inédit – la ferveur de son formalisme, c’est-à-dire l’exigence d’une démocratie vaccinée contre les mythes de l’efficacité (du jacobinisme au macronisme). C’est aussi là que se trouve le principal point de contact entre le mouvement et le film qui s’y moule, dans le soin de centrifuger la parole : L’assemblée ne surmonte l’épreuve d’une dispersion rare dans le documentaire que dans la mesure où il adopte l’anatomie d’une lutte acéphale.

Il serait donc assez vain de reprocher au film de ne pas restituer l’entièreté d’un événement dont il n’interroge que l’a priori. On peut en revanche lui poser une question sur le traitement du problème dont il s’empare, la circulation de la parole. La prise de son de L’Assemblée est d’une incroyable propreté : tous les discours y sont clairs, aucune interférence ne brouille leur transmission. Or, quiconque a fréquenté la place de la République à l’été 2016 a pu faire l’expérience d’un brouhaha filtrant l’éloquence du micro, tant le grésillement de celui-ci se mêlait aux rumeurs de la foule ou au vacarme des sirènes. Certes, Otero n’a pas nettoyé le son au point d’effacer l’ambiance sonore de la place, mais elle a discriminé les bruits pour mieux détacher la parole. Le motif en est trop compréhensible pour qu’on puisse y voir la matière d’une critique. On peut toutefois noter qu’un des problèmes centraux de l’exercice démocratique est le dosage du bruit et de l’information, et que l’expérience de Nuit Debout aura également été celle de paroles qui, en plus de circuler, se superposaient. La politique qui s’y est élaborée avait aussi rapport à cet enchevêtrement que le film gomme à moitié. L’interrogation sur le formalisme démocratique aurait peut-être pu rendre ce parasitage, puisque si le fond de la politique est sa forme, celle-ci est d’abord la matérialité de la communication (et donc aussi la raison de son inachèvement).

L'Assemblée, un film de Mariana Otero.

Photographie : Mariana Otero et Aurélien Lévêque / Son : Aurélien Lévêque et Mariana Otero / Montage : Charlotte Tourres.

Durée : 99 mn

Sortie le 18 octobre 2017