Psychokinesis, Yeon Sang-Ho

Carrie en Corée

par ,
le 27 avril 2018

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Par amour pour le Carrie de Brian de Palma plus que par véritable intérêt pour “le nouveau film du réalisateur de Dernier Train pour Busan“, on aura donc jeté un oeil à la dernière Netflixerie en date, petit succès en Corée du Sud et histoire d’un père de famille indigne se retrouvant doté des pouvoirs de Carrie – soit une télékinésie vengeresse en bonne et due forme. Sa diffusion internationale coïncide en outre avec la sortie d’Avengers – Infinity War, dont il se pose en humble antagoniste auteurisant, situé de l’autre côté du spectre des films de super-héros : côté salles, le troisième volet d’un gargantuesque mash-up rassemblant des dizaines de personnages ; côté streaming, les débuts d’un bonhomme seul dans sa banlieue, dont les bonds désarticulés d’un immeuble à un autre rappellent ceux du tout premier Spiderman de Sam Raimi, au début des années 2000, quand les coutures des effets spéciaux numériques se voyaient encore un peu.

C’est ici que le bât blesse. La flopée de gastronomes ayant encensé le petit héros coréen pour mieux critiquer le titan hollywoodien prétendent volontiers y avoir retrouvé une réelle dimension politique, ainsi que le charme des retours aux sources du genre. Intrusion de l’irréel dans le quotidien, émerveillement, renaissance… Le réalisateur Yeon Sang-Ho ne manque effectivement pas de laisser son acteur rouler des yeux en découvrant qu’il peut faire léviter des objets en images de synthèse, avant de lui permettre de sauver sa fille en proie à de cyniques promoteurs immobiliers lors d’une séquence finale inspirée des émeutes de Yongsan en 2009 – “La police ne semble pas se soucier de la santé des manifestants“, note d’ailleurs, judicieusement, une journaliste sur scène.

A un détail près : ce retour aux tropes de l’origin story se double d’un retour aux vieux réflexes du cinéma américain, justement, et Psychokinesis se constitue majoritairement de séquences régurgitées des trois Spiderman de Sam Raimi, de Hulk, Hancock, X-Men, Bruce Tout-Puissant, voire Mary Poppins ou même les deux adaptations de L’Apprenti Sorcier, celle de Disney et celle de Jerry Bruckheimer – l’acteur qui roule des yeux ne se privant pas d’évoquer tantôt Mickey, tantôt Nicolas Cage en train de cachetonner. Rien que de très hollywoodien en somme ; un film similaire avait d’ailleurs clôturé le festival de Gérardmer en 2015. Son titre : American Hero

Il y a donc quelque chose d’ironique à voir le film le moins coréen du monde s’en tirer avec l’indulgence spontanément accordée aux films de genre venus “d’ailleurs” – à moins qu’il ne s’agisse de la tendresse portée en France aux personnages types de la commedia dell’arte, du vieux barbon à la jeune fille vertueuse, en passant par les valets rigolos et leurs coups de bâtons sur la figure. Il n’y a pas jusqu’à la critique de l’hypocrisie qui n’ait l’air tout droit sortie de chez Molière, moyennant quelques mises à jour technologiques dont l’une fait plutôt mouche, quand une bureaucrate cupide s’enregistre en train d’appeler à l’aide tandis que ses sbires tabassent quelqu’un.

Si l’on pouvait isoler quelque chose de suffisamment inhabituel pour justifier que l’on passe outre la qualité des gags, de l’interprétation et de la réalisation, ce serait peut-être cela, cette manière d’opposer deux hypocrisies, une mauvaise et une salutaire. Quiconque se la coule douce à quelques heures de route de la Corée du Nord a forcément affaire à cette question, à un moment ou à un autre : comment être heureux sans culpabiliser en permanence en pensant aux plus mal lotis ? Le trait le plus coréen de Psychokinesis est peut-être celui-là (on le retrouvait déjà dans Okja de Bong Joon-Ho) : ne nous soucions pas de sauver tout le monde, sauvons-nous nous-mêmes, et cela suffira.

A la fin d’Okja, seul l’animal du titre – et un bébé – étaient exfiltrés des abattoirs avant de regagner leur petite utopie sylvestre ; à la fin de Psychokinesis, les pouvoirs du nouveau surhomme ne servent qu’à tirer des bières dans un coin discret de la ville, chez une marchande de poulets sauvée des griffes de la mafia. Les bureaucrates cupides sont toujours à l’oeuvre, mais on a appris à s’en accomoder. Qui sait ? C’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles le film de super-héros ayant damé le pion à Psychokinesis au box-office coréen était lui aussi une histoire d’isolationnisme – on veut parler de Black Panther, dont une bonne partie se déroulait… à Séoul.


Psychokinesis, un film de Yeon Sang-Ho, avec Ryoo Seung-ryong (Seok-hyeon), Sim Eun-kyeong (Roo-mi), Park Jung-min (Kim Jeong-hyeon), Kim Min-jae (le Président Min), Jeong Yu-mi (Hong Sang-moo).

Scénario : Yeon Sang-ho / Photographie : Byoon Bong-soon / Montage : Yang Jin-mo / Musique : Jang Yeong-gyoo

Durée : 101 mn

Diffusion : 25 avril 2018 (Netflix)