Vincent Dieutre (1/2)

Intimités

par ,
le 18 janvier 2015

“INTIME : Régulièrement opposée au social, au collectif, l’intimité est la sphère d’expérience d’où pourrait s’élaborer un regard contemporain. Si le tiers-cinéma se réfère à l’intime, c’est qu’il ressent l’urgence d’un cinéma qui sait d’où il parle. Cette urgence répond à la surmédiatisation du social, à la prégnance d’un savoir collectif né de multiples discours sans provenance aucune qui produisent à leur tour des vérités de synthèses absolument et nécessairement inconséquentes. Les auteurs du tiers-cinéma, en repartant de l’intime, tentent une lecture plus modeste du monde extérieur en posant la subjectivité de leur regard comme ultime légitimité. Mon cas (Oliveira) n’est bien sur par une généralité, mais quand toute collectivisation du regard devient suspecte, il convient d’en revenir à « l’hypothèse de la singularité », d’en jouer comme d’une arme contre l’inconséquence qui nous tue. L’intime est le dernier recours.[11] [11] Définition reprise de l’Abécédaire pour un tiers-cinéma, écrit par Vincent Dieutre en 2003.

Vincent Dieutre est l’auteur, depuis le milieu des années 1980, d’une quarantaine d’œuvres, films courts ou longs, installations ou créations radiophoniques, parmi lesquelles Rome désolée (1995), Bologna Centrale (2003), Beyrouth 2005-6 (2006), D’abord Rompre (2007), Sakis : Un Tombeau (2010), ou encore Jaurès (2012). Refusant le partage trop strict du cinéma entre les catégories de la fiction ou du documentaire, il préfère définir son travail, “aux confins du documentaire, de la fiction, de la littérature, des arts plastiques”, à travers l’expression “tiers-cinéma”. Voici la traversée, partielle, d’une œuvre qui invente fragment par fragment une nouvelle politique de la vi(ll)e.

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Débordements : Entre pudeur et impudeur, le film autobiographique peut-il tout dire ?

Vincent Dieutre : Tout dire est impossible puisque, comme le dit Lacan, “la vérité toute n’est pas possible”. Celle-ci est tellement complexe, il faudrait reprendre, chaque fois, chaque seconde, chaque instant, chaque mouvement de l’âme.

À partir du moment où on entreprend de construire une forme, il y a forcément acte de composition, de montage, donc ellipse, contraction, des choses précipitées qui font que la vérité dans cette affaire est une chose vers laquelle on tend. C’est plus un contrat avec le spectateur, une sorte d'”effet spécial”. Par rapport au spectateur, il y a toujours la tension vers quelque chose qui serait de l’ordre du vrai, en tout cas, du réel, par rapport à la fiction, où le contrat est beaucoup plus médiatisé par l’idée d’interprétation, de jeu, de scénarisation, etc. Évidemment ce n’est pas la même chose, mais la vérité ou le réel dans tout ça ? Je pense qu’à partir du moment où l’on sait que tout n’est pas vrai (et, forcément, tout ne l’est pas, ne serait-ce que par l’éviction d’un certain nombre de choses au montage), la vérité n’est plus un enjeu dans ce genre de projets.

Il y a aussi une dimension politique, car le soi-disant réel du documentaire est lui même traversé par de plus en plus de fictions, c’est-à-dire, la fiction publicitaire, le storytelling politique, la pornographie (la pornographie n’étant pas vraiment une fiction mais plutôt un modèle de sexualité qui plane ; avec internet ça ne s’arrange pas !). Je reste assez proche de l’idée des situationnistes selon laquelle « le vrai est un moment du faux ». On est aujourd’hui dans un monde où dire la vérité du social implique la subjectivité la plus totale. Assumant cette tension vers une espèce de sincérité, d’engagement, et à partir du moment où il a déjà vu certains de mes films, le spectateur sait qu’il n’est pas là en tant que client, censé entrer ou ne pas entrer dans un récit. Chacun de mes films est un peu comme le journal d’une année, je donne de mes nouvelles, sous des formes très diverses. Effectivement, la position de voyageur conforte encore plus l’idée d’une personne qui serait touriste de sa propre vie, et s’étonnerait lui-même de certaines réalités. En même temps, je provoque ces voyages. Ce qui est assez intéressant, depuis une dizaine d’années, c’est que les commandes de films correspondent à peu près aux prétextes qui m’ont amené à tel ou tel endroit. Par exemple, quand France Culture m’a donné carte blanche, j’ai proposé Bologne. C’est moi qui me suis créé cette commande d’un retour à Bologne.

Je ne sais plus, et c’est là que ça devient intéressant, à quel moment le cinéma se frotte à ma propre vie. C’est aussi un petit peu ce qui se passe au niveau des rencontres. Quand je rencontre quelqu’un, soit il n’est pas du tout au courant, soit il connaît ma démarche, mais de toute façon le rapport n’est plus le même. Ça peut séduire ou repousser. Il y a une espèce de mix entre ma vie artistique et ma vie privée, ma vie réelle. Mon idée, c’est justement qu’il n’y ait pas de séparation entre la vie collective, publique, et la vie privée, qu’elles sont de plus en plus mélangées. Là aussi on en revient dans une certaine mesure à l’apport des situationnistes, de gens comme Baudrillard ou même, actuellement, de la critique queer. Il faut d’abord assumer que les mouvements autour de la sexualité ou des minorités sont aussi politiques que les idéologies de droite ou de gauche. Tout s’interpénètre et je surfe là-dessus. Je suis une espèce de tête chercheuse entre le collectif et l’individuel qui prendrait l’Europe comme territoire. Je pense que la vie culturelle (européenne) est en danger face au retour de tous les discours particularistes, de tous les provincialismes, issus bizarrement de la mondialisation, qui engendre une perte collective des langues, de la culture, de tout ce qui a pu construire l’Europe à l’époque des Lumières.

D. : Vous parliez du spectateur comme étant aussi pris dans une recherche. Quelle place cherchez-vous à lui donner, notamment lorsque vous travaillez cet écart entre l’image et le son qui caractérise vos films ? Qu’aurait-il à construire ?

V.D. : Je ne le théorise pas vraiment, mais cela vient d’abord de mon expérience de spectateur, de lecteur, de mélomane. J’ai vraiment le sentiment d’une fracture économique entre le cinéma de flux (fait pour vendre, attirer, séduire) et un cinéma plus introspectif, qui prétend être un art, et qui suit, sans filet, sans sécurité, une voie fragile, au moment où les trois-quarts des films de marché (même ceux dits « d’auteur ») reproduisent plus ou moins bien des systèmes déjà éprouvés. J’ai été très marqué dans mon adolescence par les premiers films de Chantal Akerman. Il y avait là une expérience de la durée qui donnait un énorme plaisir (contrairement à ce qu’on pourrait dire maintenant : la durée comme synonyme de complaisance, d’ennui). Je me suis rendu compte que les durées produisaient un plaisir, avec ces voix qui m’aidaient à habiter l’image d’une autre façon, sans qu’il y ait de rapport illustratif.

Je suis arrivé dans le cinéma au début du “post-modernisme”, c’est-à-dire après les grandes expériences des années 70, les grands gestes d’Eustache, Warhol, Garrel, Akerman, Debord, Straub. Ils étaient arrivés à un paroxysme, un point-limite de radicalité (le film projeté sur les spectateurs, l’écran blanc, …). Puis il y a eu au début des années 1980 une sorte de convention thermidorienne, prônant le retour à la fiction, le retour au genre, alors tout le monde a fait son polar, même Jean-Luc Godard avec Détective. C’était un moment où, en tant que spectateur, on retrouvait le plaisir de l’artifice, du jeu sur les références; les deux parangons, de ce point de vue, étant Passion de Godard, dont le personnage essayait de faire des tableaux vivants (je me dis qu’on voyait déjà cela dans La Ricotta de Pasolini), et puis le film de Francis Ford Coppola tourné à Las Vegas dans un terrain vague, Coup de cœur, qui reprenait toutes les fictions américaines, et où traînait comme dans un rêve ou un champs de ruines tous les néons et accessoires des vieux classiques.

J’ai été beaucoup marqué par ces deux films sortis à peu près en même temps. À l’IDHEC, aujourd’hui la FEMIS, je ne me suis pas laissé happer par la fiction, bien que ce fut quasi-obligatoire ; à l’époque, ce n’était pas du tout à la mode de parler de Jacques Demy, mais je jouais avec ces références, en revenant à lui, qui était d’ailleurs mon parrain pour mon film de promotion. C’était presque perçu comme une manière d’affirmer une position d’avant-garde queer, alors que pour moi c’était plutôt déjà dépassé. Quitte à retourner aux genres, c’était soit Demy, soit Warhol. Il y avait d’ailleurs des points de passage entre les deux : si on regarde les films de Varda des années 1970, on voit que, comme par hasard, elle tourne à Los Angeles avec des acteurs de Warhol. Tout cet entre-deux des années 80, du retour au genre, n’a pas donné des choses extraordinaires. C’était une période durant laquelle je m’accrochais à mon expérience adolescente de l’écart entre la voix et l’image comme étant un lieu de création possible, mais aussi un lieu de plaisir du cinéma. J’ai aussi eu de fortes expériences de spectateur en découvrant Chelsea Girls de Warhol, et certains films des Straub où de longs plans vous emportaient, souvent avec très peu de voix-off. Ce n’était pas seulement plus intelligent, mais plus jouissif. C’était une histoire de plaisir, finalement.

A l’IDHEC, en deuxième année, on nous demandait de faire un documentaire. J’ai alors fait un premier journal filmé, à Londres, assez maladroit, mais le regard sur la ville s’y mêlait à l’expérience personnelle, aux dérives urbaines, aux drogues, à l’homosexualité ; ça correspondait aussi aux mouvements de fond en France, avec le premier socialisme de Mitterrand. Dès lors, plusieurs conjonctions se sont opérées. Je suis sorti de l’IDHEC, un peu incertain mais avec l’idée de reprendre cette tradition du film d’écrivain, du film écrit, du film à la première personne, comme Wenders pouvait le faire dans certains essais mélangeant cinéma et vidéo. Il y avait quelque chose à gratter par là. Mon court métrage de fin d’études était vraiment un hommage à Demy, mais il y avait déjà des décalages voix / image ; dans mon journal de Londres également.

Après j’ai beaucoup voyagé, je suis retourné à New York, je suis retourné à Rome, souvent, ou à Berlin. Là, j’ai fait un deuxième journal filmé : Lettres de Berlin. A l’époque, je ne savais pas que je deviendrai un habitué du festival. Je mélangeais déjà des entretiens avec des textes que je lisais. Les choses se sont accélérées, la dérive aussi, ma santé s’en ressentait. Je suis parti en Angleterre, pendant presque un an, pour vraiment changer de vie. J’avais écrit en 89 Rome désolée, une plongée dans la vie compliquée que j’avais à l’époque – compliquée mais passionnante. J’ai beaucoup appris à ce moment-là. Après l’Angleterre, je me suis retrouvé avec ce projet inachevé. Pour des raisons économiques et artistiques, j’ai repris ce rapport voix / espace pratiquement « à l’os » : on ne voit que des plans de Rome habités par la voix, avec peu de musiques, des ruptures (il y avait des publicités refilmées entre les séquences). Le film-voix à la première personne déplace le contrat avec le spectateur, qui se trouve débarrassé de ce qui fait écran (l’actorat, la scénarisation). Un vers de Celan m’a bouleversé : “Ne croyez pas le sens, croyez-moi !”. Le problème dans Rome désolée n’est pas de savoir si le type dont je parle s’appelait vraiment Claudio, mais de sentir que l’ensemble tend vers une sincérité, vers un récit vécu qui serait débarrassé des problèmes de cohérence, de vraisemblance, ce qui me laisse une grande liberté. Je n’ai pas les soucis de fluidité du récit, même documentaire, que peuvent avoir les gens qui travaillent sur un cinéma narratif.

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D. : À tel point qu’il y a un passage entre le “je” et le spectateur, comme dans Mon voyage d’hiver, où vous vous adressez à un “tu” un peu particulier.

V.D. : Le “tu” dans Mon voyage d’hiver s’adresse au jeune garçon. Dans Leçons de ténèbres, il s’adresse à moi : la voix est un témoin. C’est pour ça que j’aime beaucoup les peintures du XVIIème siècle, et du Caravage en particulier. Souvent on trouve au premier plan un personnage qui regarde le spectateur, comme un témoin qui indique ce qu’il y a à voir. J’utilise souvent le mot « témoin » dans les génériques, plutôt qu’ « acteur ». Le « contrat de croyance » n’est pas le même dans mes films que dans la fiction, où il faut que le sens soit produit, exprimé. Moi, il suffit de me croire moi. Dans la première Leçons de ténèbres, je suis très lié à un personnage, que je retrouve plus tard, dans la troisième, parce que c’est comme ça dans la vie. On aurait beaucoup de mal à admettre ça au cinéma, des personnages qui déboulent inopinément dans le récit… Car il existe une gestion économique, pour ne pas dire capitaliste du récit, qui implique que chaque événement soit produit comme un investissement sur la crédibilité du récit global. Il faut donc le gérer. Mais nos vies ne sont pas comme ça.

D. : Vos amants ont une place importante dans vos films, pourtant leurs apparitions sont très rares. Est-ce une omission volontaire ?

V.D. : J’aime retrouver un être aimé à l’occasion d’un film, comme pour faire le point. Dans Mon voyage d’hiver, on peut voir trois hommes allemands qui sont d’anciens amants, comme pour faire le point sur notre passé et celui du pays. Même Jaurès, c’est filmé de chez celui dont je parle. On l’entend un peu, parfois. En fait, il y a deux choses à la fois. D’abord le fait que, souvent, les amours sont racontés par la voix. Ce sont des choses qui ont eu lieu avant, donc il n’y a pas lieu de leur donner corps dans le présent du film. C’est tout le principe de cette voix-off. La voix va décrire un certain nombre de personnages, de corps extérieurs au film, la nature du rapport que j’ai eu avec eux. Ensuite, je filme des espaces vides que l’on va pouvoir peupler des personnes convoquées ou évoquées par la voix. À chaque fois, je rends le dispositif un peu plus compliqué. Dans Mon voyage d’hiver, les retrouvailles avec ces trois hommes vont donner lieu à l’écriture d’une voix-off qui évoque les moments passés en leur compagnie. Ils deviennent des corps-témoins de l’Histoire, au même titre que les paysages, ces paysages-témoins d’une histoire passée avec ses camps, murs, etc. Ce sont les lieux qui les convoquent. Je mélange, une nouvelle fois, l’histoire intime, l’épopée intime avec ces corps auxquels je me suis accroché plus ou moins longtemps, et les événements de l’Histoire qui construisent notre rapport au monde, notre biographie. Le paroxysme de cette recherche étant Bologna Centrale, le souvenir de l’attentat et la rencontre avec Sandro, ce premier rapport amoureux : initiation, à la fois politique (mouvement de la gauche extra-parlementaire de l’époque) et sexuelle, puis la fin de toute cette époque, avec l’attentat de la gare. Il est évident que lorsque je tourne un film quelque part, ça parle de ce qui s’y est passé avant, même si durant le tournage des rencontres nouvelles peuvent se produire. C’est compliqué d’aller voir quelqu’un et de lui dire, “tu vas être dans mon film”. Il n’y a qu’après l’avoir vécu que l’on peut mettre en rapport un contexte, une personne rencontrée, un lieu, etc. Dans Rome désolée, beaucoup des personnages racontés n’ont pas été rencontrés à Rome. C’est plutôt un collage d’expériences sous le signe du voyage à Rome, du « Grand Tour » romantique dans la ville des ruines ; je place mes souvenirs dans Rome, mais en réalité il n’y a aucune vérité géographique. C’est mon travail de scénariste que de les situer à Rome et de voir comment “ça joue”.

D. : À quel moment du processus de création la voix-off s’insère-t-elle ? D’où provient-elle ?

V.D. : La voix-off proprement dite est toujours écrite après, une fois que je sais ce qu’il y aura à l’image, justement pour raccrocher les wagons, faire advenir tel ou tel souvenir, qui d’ailleurs n’est pas forcément vrai. Il y a des choses que je réinvente ou que j’ajoute. Il m’arrive aussi de convoquer des poèmes d’autres gens, comme dans Mon Voyage d’hiver, où j’oblige chaque « témoin » à dire un poème en allemand. Pour Bologna Centrale, le système s’est complexifié, j’improvisais cette voix-off au fur et à mesure, le soir dans la chambre d’hôtel. Je n’ai pratiquement rien refait au montage et n’ai utilisé que les petites cassettes enregistrées sur dictaphone dans l’hôtel. Mais le récit, qui évoquait les « années de plomb », devait être chronologique. Il a fallu que je me remette les dates en tête en consultant des livres.

D. : La voix-off serait-elle donc une forme de journal intime qui vient après les images ?

V.D. : Absolument. Elle naît de l’expérience du film, ce qui ne m’empêche pas de prendre des notes, d’ouvrir les oreilles et les yeux, et d’écrire un peu quand on tourne. Il est très important que ce travail de rédaction des voix soit fait après, et même après un premier montage solide. Pour Orlando Ferito – Roland Blessé, on a monté d’abord des paysages, le spectacle de marionnettes, les textes de Georges Didi-Huberman, puis j’ai écrit les voix. Après cet “ours “, je peux commencer à dire qu’un texte pourrait venir à tel endroit ; j’écris alors de petits textes, comme si je tournais des plans. Dominique Auvray les monte, je les réécris : il y a un jeu d’allers-retours. Comme il y avait quatre actes dans Orlando, on y a placé toutes les histoires, puis on a resserré, j’ai réécrit, jusqu’ à avoir l’impression que le film était plein, qu’il se jouait sur plusieurs couches sensibles.

D. : Le travail avec le monteur doit être compliqué.

V.D. : Ça nécessite une habitude de travail et de l’amitié. Parfois on montre au producteur un montage qui peut durer 5 heures, où l’on a mis tous les plans que nous aimons. Puis, comme pour une sculpture, on enlève des petits bouts, on rajoute un peu de terre de ce côté-là, et le film finit par générer sa propre forme, mais toujours avec cette idée : il y a le monde de la voix, la musique, les sons, et tout joue avec l’image. Voix et musique sont des choses qui vont beaucoup se déplacer au montage et au mixage. On cherche à créer des effets de rythme, notamment avec des sons qui reviennent souvent. Chaque lieu produit son univers sonore. En Allemagne, nous avions 46 vents différents, des pluies, des ambiances de voitures (car je suis souvent au volant dans le film). Pour Orlando, j’ai essayé de typer chaque ville. Pour Palerme, on souligne les cloches ; pour Catane, les klaxons, etc. La voix est plutôt un plan sonore qui doit avoir sa cohérence, son rythme, ses silences. Elle peut chevaucher deux plans, finir sur une collure. Alain Cavalier, par exemple, est plus minimaliste : il filme et parle en même temps. La voix n’est pas « off », elle est inscrite dans le plan, et c’est magnifique. Pour ma part, j’utilise la voix comme un élément autonome. Ce que j’aime bien en général, c’est fixer au départ un dispositif extrêmement contraignant, minimal presque, et puis petit à petit, avec les hasards du tournage, puis au montage, le faire exploser pour arriver à des choses de l’ordre du surnaturel, qui n’ont plus rien à voir avec le documentaire. À la fin de Leçons de ténèbres, je fais une sorte d’overdose dans la position d’une statue baroque qu’on a vue dans le film ; dans Mon voyage d’hiver, je disparais de l’image et le mur de Berlin réapparait en surimpression. Ce n’est pas pour ça que mon projet autobiographique s’arrête. Je « meurs au film », c’est tout.

[Suite de l’entretien]

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Entretien réalisé à Paris en décembre 2013.

Toutes les images proviennent de films de Vincent Dieutre.

Image 1 : Orlando Ferito (Roland blessé) (2013) / Planche 1 : Entering indifference (2000) / Image 2 :Mon voyage d'hiver (2003).