L’Installation se déploie dans trois espaces
Trois champs magnétiques
Avant de pénétrer dans la première pièce
Les spectateurs verront un film de 4 mn projeté sur un mur :
Le jeune cinéaste joué par Vincent Macaigne raconte
L’histoire de son film CEREMONY et nous montre les premières images
De ses repérages dans le quartier gothique et le port de Barcelone.
Les fantômes d’hier et les Spectres d’aujourd’hui
La première pièce baigne dans la lumière dorée
D’un éclairage aux bougies
Portées par un immense lustre
Disposés dans l’espace, cinq retables en métal encadrent des écrans
Chaque écran représente un tableau vivant
Un fragment filmé du rituel que se livrent en 1792
L’esclave en fuite
Les hommes de mains chargés de le capturer
Les nobles qui mènent la chasse
Le cheval et le chien.
Les spectateurs pourront circuler entre les retables posés sur des socles
Six douches acoustiques, suspendues au-dessus des spectateurs
Permettront d’isoler le son de chacun des tableaux
Le spectateur passant sous l’une ou l’autre des douches sonores
Connectera lui-même le son qu’il entend
Avec le tableau vivant correspondant
Les films des tableaux vivants
Peuvent également se regarder sans le son.
La nuit est tombée, un Cheval avance sur un chemin de terre
Un serviteur le mène par une corde s’éclairant avec un flambeau
Autour d’eux gambade un lévrier
Le cheval sait qu’il va mourir
On l’entend monologuer (voix de Michael Lonsdale)
Il philosophe sur la nature, sa beauté, la vie qu’il va bientôt quitter…
À ses côtés le lévrier se moque de lui
Amateur d’histoires cochonnes, il le provoque sans arrêt
Le travelling recule, accompagnant le Cheval, le serviteur et le Chien
Ils entrent dans une écurie
Le serviteur referme les lourdes portes
Plongé dans l’obscurité, on entend le souffle et le hennissement du Cheval
Le Levier ricane
Peu à peu, son rire se transforme en gémissements.
Un peintre (Goya) debout devant son chevalet
Prépare sa palette de couleurs
Au premier plan, une servante noire vient placer une chaise ancienne
Elle reste là et tourne son visage de madone vers nous
L’Esclave entre face à la servante
Il se déshabille, tend sa veste en toile et son pantalon à la servante
Torse nu, un tissu entourant son bas ventre, il baisse la tête
La servante sort
Il s’installe sur la chaise
L’Esclave regarde le peintre qui lui montre l’inclinaison de sa tête
À cet instant il comprend pourquoi son Maître a commandé son portrait
C’est la dernière fois qu’on le verra vivant
Dans ce petit tableau
Immobilisé dans sa pose, on entend ses pensées filer à toute allure.
Il revoit les évènements des derniers jours défiler dans sa tête
Voix de Dieudonné Niangouna :
— « Mon Maître est tombé malade, depuis je vis caché dans le grenier de l’écurie – De là j’ai entendu les tam-tams se mettre à battre – Avant le coucher du soleil j’ai vu le médecin sortir de la maison de mon Maître et allumer deux bâtons d’encens – Donc, il n’est pas mort – Le lendemain matin, je vis le médecin sortir, monter sur sa mule et repartir – Cette après-midi là on creusa la fosse – Le serviteur a sorti le Cheval de l’écurie et l’a attaché à un arbre – Il est revenu avec le vieux chien et l’a attaché également – La bête a hurlé jusqu’au coucher du soleil… Il est temps pour moi de tenter ma fuite, de foutre le camp, partir, oui courir à toute blinde, me ruer, poings fermés, poitrine haletante, narines ouvertes, à travers l’obstacle mouvant des ténèbres. »
L’Esclave court, ses pieds frappent la terre noire
Il continue de courir jusqu’à la nuit close
Le jour, caché dans un fourré de papayers, il aperçoit ceux qui le poursuivent
Ils sont deux, en chemise de chasseur, leur visage est dans l’ombre
L’Esclave court la nuit dans le lit de la rivière avant de revenir sur ses pas
Lorsqu’il fait clair, il se retire dans le marécage, s’y accroupit
Guette puis s’assoupit
Quand il s’éveille, le soleil est déjà haut, il aperçoit les deux hommes.
Il entend leur voix :
— « Pendant vingt ans, les autres de sa race suaient dans les champs, tandis que lui servait son Maître, tranquille, à l’ombre. Pourquoi il ne veut pas mourir, puisqu’il n’a pas voulu suer ? »
— « Au diable ce maudit nègre »
Les tam-tams commencent à battre à la tombée du jour
L’Esclave retire son pantalon et se recouvre de boue ; figure, bras, corps…
Assis, les genoux entre ses bras croisés.
Il entend une voix fluette : « Je t’ai attendu, va-t’en maintenant »
L’Esclave regarde, cherche autour de lui.
Il voit, deux yeux jaunes qui le regardent dans les vapeurs du marécage
— « M’en aller ?
— Les morts ne doivent pas frayer avec les vivants, tu le sais
— Oui, je le sais »
On distingue la silhouette d’un enfant entièrement nu, accroupi dans la boue.
Il tend un morceau de viande à l’Esclave
— « Mange et va-t’en. »
L’Esclave prend la viande et reste là
Au bout de quelque temps, le bruit des tam-tams s’arrête
L’esclave disparaît sans bruit dans la nuit.
La nuit tombe, l’Esclave est blotti en haut d’un arbre
Dans le masque de boue durcie, ses yeux brillent comme des lampes.
Son bras entaillé saigne, le sang coule sur la branche :
— « Je sens les odeurs de cuisine, je ne dois pas être loin. Tiens ! Je le vois ! Mon Maître est dans le hamac, entre les deux arbres où sont attachés son cheval et son chien, mais qu’est-ce que je fous sur cette maudite plantation, le cadavre commence à puer, et je suis encore là… Est-ce que j’aurais appris seulement à courir, pas à m’éloigner, seulement à courir ?… Je n’ai nulle part où aller, courir, sans direction, courir égaré, m’arrêter écouter les battements de mon coeur. »
Au pied de l’arbre, les deux chasseurs allument un feu, ils discutent :
— « Avant il n’y avait pas de quartier pour les esclaves, pas de nègres
— L’homme n’était pas fait pour suer
— C’est vrai. Mais remarque, suer, ça leur fait la chair !
— Oui, noire. Et amère
— Tu en as mangé ?
— Une fois. A présent ils valent trop cher pour qu’on les mange… J’étais jeune, j’avais de l’appétit… Leur chair a un goût fort que je n’aime pas…
— Maintenant les Blancs les échangent contre des chevaux. »
Deux guetteurs viennent s’assoir à côté d’eux :
— On a trouvé du sang près des marais, il s’est blessé…
— Pas trop, j’espère ! Blessé il ne servirait à rien
Le jeune guetteur retire sa main posée près du tronc d’arbre, il regarde, elle est tachée de sang
Il lève la tête vers le haut de l’arbre
À leur tour les autres lèvent la tête
Le visage de l’Esclave apparaît dans le feuillage qui frémit
Voix du chasseur : « Descends… Tu as bien couru, n’aies pas honte. »
Les yeux affolés de l’Esclave brillent dans l’obscurité, comme un animal qui attend sa mort.
Durant le déroulement de la Ceremony
On entend des extraits sonores de La Règle du Jeu de Renoir
CHAMP :
C’est la nuit : des lanternes éclairent la noble famille du mort
Disposés comme dans un tableau de Goya
4 hommes et 3 femmes regardent vers les spectateurs
Leurs visages ressemblent à des masques quasi-fantomatiques
Galerie de mannequins figés dans une hautaine et ridicule présomption
Debout devant une grande fenêtre, la famille surveille ce qui se passe hors champ
Trois Aristocrates préparent leurs fusils.
CONTRE CHAMP :
L’Esclave est debout, on voit son ombre projeté sur le mur
Il veut boire
Un serviteur lui apporte de l’eau
L’Esclave boit avec une soif très ancienne
Il boit si vite que sa gorge n’a pas le temps de recevoir tant d’eau
L’eau ruisselle jusqu’à sa poitrine
— Pourquoi t’es-tu enfui ?
— C’est que je ne veux pas mourir Monsieur… C’est que je ne veux pas mourir répond l’esclave.
CHAMP : Un noble s’approche de la fenêtre, fusil en joue, prêt à tirer.
CONTRE CHAMP :
Une jeune fille noire trace le contour de l’ombre de l’esclave projeté sur le mur
Voix de la jeune fille :
Et l’esclave répéta d’un ton tranquille : « C‘est que je ne veux pas mourir » comme si c’était une chose qu’il entendait pour la première fois. « C’est que je ne veux pas mourir ». Il prononçait ces paroles, comme s’il ne s’était pas rendu compte auparavant de la profondeur et de l’étendue de son désir.
CHAMP : Le noble tire, une, deux, trois balles, des lumières jaillissent de son fusil.
CONTRE CHAMP : La tête du cheval, ses yeux doux nous regardent, ses naseaux frémissent.
CHAMP : Deux nobles fusils en joue, tirent, des étincelles jaillissent.
CONTRE CHAMP : Le lévrier assis sur son derrière, tremble de tout son corps.
Son ombre tremble sur le mur.
CHAMP : Un noble arme son fusil, il met en joue, on entend les pleurs d’une femme. Une Aristocrate, mouchoir à la main, pleure. Sa voisine la console.
CONTRE CHAMP : Le Chien regarde autour de lui, ses yeux apeurés cherchent un secours. Il tremble et gémit.
CHAMP : Un autre tireur prend le fusil et s’apprête à viser.
Remue-ménage dans la famille, les pleurs redoublent, des petits cris de lamentation, une femme perd connaissance.
CONTRE CHAMP : Les pattes du lévrier tremblent.
CHAMP : Coups de fusil de deux tireurs, la lumière jaillit de leurs armes.
CONTRE CHAMP : Le Lévrier est étendu sur le sol, du sang coule de ses plaies, sur le mur son ombre continue à trembler à côté du tracé de l’ombre de l’esclave.
LA VERITABLE OMBRE ACCOMPAGNE CELUI QUI PART, TANDIS QUE SON CONTOUR FIXÉ SUR LE MUR ÉTERNISE UNE PRÉSENCE SOUS FORME D’IMAGE.
CETTE NAISSANCE « EN NÉGATIF » DE LA REPRÉSENTATION ARTISTIQUE OCCIDENTALE EST SANS DOUTE SIGNIFICATIVE. LA PEINTURE FAIT SON APPARITION SOUS LE SIGNE D’UNE ABSENCE / PRÉSENCE (ABSENCE DU CORPS – PRÉSENCE DE SA PROJECTION).
MARQUANT LA FIN DU DÉROULEMENT DES TABLEAUX VIVANTS, UNE SÉQUENCE DE 30 SECONDES FERA IRRUPTION SUR L’ENSEMBLE DES ÉCRANS. ON VERRA LE CORPS DU MAÎTRE MORT ALLONGÉ DANS SES VÊTEMENTS D’ÉPOQUE. DES MAINS REPLACENT LA DENTELLE AUTOUR DE SON COU ET DE SES POIGNETS. ON LUI MET DES SOULIERS À TALONS ROUGES.
Langues disparues
Une pièce toute en longueur relie la première à la troisième salle
Un long banc au milieu de cet espace
Permet aux spectateurs de faire une pause
D’écouter des archives sonores
Et si l’on veut, lire les traductions qui seront projetées sur le mur.
Nous entendrons des anciens enregistrements de langues disparues
Des langues mortes, dit-on
Des voix d’indiens d’une Amérique qui n’existe plus
Parlant des dialectes, qui sont de véritables chants
Des voix de femmes qui nous murmurent des berceuses d’Haïti
Une cérémonie Africaine à l’occasion d’un mariage ou d’un enterrement
Des voix, des rires, des palabres, entre des hommes et des femmes,
Des chants d’Australie, d’Europe Centrale,
Des fantômes nous parlent
Réveillant en nous la sidération primale des origines
Exaltant la mémoire de ces « paradis perdus ».
Trois écrans plats sont disposés sur l’autre mur
Chacun diffusera l’image d’un téléviseur posé dans un paysage
Dans les téléviseurs des petits films où l’on voit
Des pauvres, des Africains des villes
Peuples déplacés des métropoles
Menacés par leur possible disparition
Voix enregistrées de LF Céline, Gilles Deleuze, Jean Renoir,
Jean Rouch, Pier Paolo Pasolini, Andreï Tarkovski
Les téléviseurs prennent feu
Les flammes éclairent le jour qui tombe.
La chasse à l’homme n’est pas à entendre ici comme une métaphore, mais comme les fragments de la longue histoire de violence des dominants. Elle désigne des phénomènes historiques concrets, où des êtres humains furent traqués, poursuivis, capturés ou tués dans les formes de la chasse ; des pratiques régulières et parfois massives dont les premières formes furent théorisées dans l’Antiquité grecque avant de connaître un formidable essor à la période moderne, à l’unisson avec le développement d’un capitalisme transatlantique.
Le cinéma comme orage numérique
Quand les spectateurs pénètrent dans la troisième salle
Ils entendent des voix
Des textures sonores d’époques différentes
Son optique, son analogique, son numérique
Ils voient des spectres aussi
Ce sont des géants, ils nous regardent
Autant que nous les regardons
Ils nous parlent depuis chacun des 4 murs
Ce sont des fragments de films de l’Histoire du Cinéma
Une multitude d’éclats de séquences, de visages, de poursuites
Entre 3 et 60 secondes
Abel Gance, Murnau, Fritz Lang, Hitchcock, Tourneur, Renoir, Chaplin, John Ford, Robert Wise, Sam Fuller, John Woo, Weerasekathul, Friedkin, Jess Franco, Peter Watkins, Victor Halperin, Sergio Sollima, Kiyoshi Kurosawa, Peter Collonson, Ruggero Deodato, Ted Kotcheff, Mel Gibson, Jean Rouch, Straub et Huillet, De Sica, Tarkovski, Arthur Penn, Raoul Walsh, Yves Boisset, Melville, Samuel Beckett, Werner Schroeter, Béla Tarr, Pasolini, Nicholas Ray, Godard, Fassbinder, John Carpenter,…
Des fragments filmiques heurtés, percés, percutés
Par des éclats de films d’Actualités Gaumont 1910 – 1990
Des captures Internet et U Tube 2000 – 2013
Et de jeux vidéos
Montrant l’incroyable variété des poursuites et des chasses à l’homme
Mais aussi à l’amour, aux femmes, aux amants de la nuit
Qui habitent l’Histoire
Hantent nos mémoires et nos imaginaires
L’actualité – Cinéma d’horreur
UN MAÎTRE TUE DES HOMMES DONT IL RÉANIME ENSUITE LES CORPS POUR LES FAIRE TRAVAILLER À SON PROFIT. MAIS CE FAISANT, IL LEUR CONFÈRE AUSSI UNE FORCE DANGEREUSE. COMME LE RÉPÈTE D’UNE VOIX MONOCORDE LA FILLE DANS REVENGE OF THE ZOMBIES (1947), JUSTE AVANT D’ENGLOUTIR LE MAÎTRE DANS LES SABLES MOUVANTS D’UN MARÉCAGE : « TU NE PEUX PAS ME BLESSER, TU NE PEUX PAS ME DÉTRUIRE, TU NE PEUX PAS ME CONTRÔLER. »
L’ensemble des images sont en noir et blanc
Des noirs et blancs différents
Du plus contrasté au plus doux
Un noir et blanc hanté
Comme un spectre entier de lumière venu du cinéma muet
Du cinéma d’horreur, des films de zombies, du documentaire des origines
Ou tirant sur le vert cosmique de la nuit surveillée
Les nuits policières des métropoles contemporaines
Des films vidéo tournés en 2013 par le Collectif Ceremony
Dans les rues de New-York, Barcelone, Manille, Paris, Mexico
Tout ce qui surgit du passé devient le présent grâce à la technologie.
Au milieu du cycle de 15 mn
Les quatre écrans s’éteignent
Plongés 5 secondes dans l’obscurité
Les spectateurs sont immergés dans la matière sonore des films
Laissant libre cours à l’imaginaire de chacun
Les sons, les voix, les fragments sonores d’hier et d’aujourd’hui
Deviennent fous au milieu de tous ces spectres
Et se déconnectent
S’échappant de leurs sources
Devenant un orage numérique
Les images s’affolent
S’accélèrent
Comme le fugitif dans sa course panique.
Voici, tu m’as chassé aujourd’hui de dessus la face du pays, et je serai caché devant ta face, je serai errant et fugitif sur la terre, et il arrivera que quiconque me trouvera me tuera.
Genèse 4 :14-15
… LE NÈGRE NE SAURAIT AVOIR CONSCIENCE DE LA LIBERTÉ, NI PAR CONSÉQUENT LA MOINDRE NOTION DE LA VALEUR DE LA VIE HUMAINE. DE SORTE QUE LE SACRIFICE DE SA VIE NE CONSTITUE PAS POUR LUI UN SACRIFICE. LES NÈGRES, DIT HEGEL, « MEURENT À LA LÉGÈRE ».
Toutes les 20 minutes, apparaîtra en même temps
Sur chaque écran de l’installation
Deux solos DeLaValet Bidiefondo et Ella Gagna
Danse de guerre et de révolte
Danse de pluie et d’oracle
Devant des transparences de foules
Sur une version déformée de CEREMONY
New Order
4 mn
Les dieux, comme Chaplin, Renoir et Lubistch
Ont souvent montré les choses avant qu’elles aient eu lieu
Et les hommes sont souvent prêts à tout
Pour perdre ou retrouver la vue.
À suivre…