Dès lors qu’une recherche en cinéma s’intéresse à la question du genre, celle-ci croise invariablement les concepts de gaze, qu’il s’agisse du male gaze de Laura Mulvey ou de l’oppositional gaze de bell hooks et des notions qui en ont découlé, enrichies des théories féministes du point de vue. En cinéma, comme dans d’autres champs, l’émergence de ces questionnements est volontiers assimilée à un impérialisme scientifique ou idéologique états-unien qui s’immiscerait parmi les références françaises d’une critique tantôt strictement esthétique, tantôt circonscrite autour de questions de représentation du « prolétariat », des « opprimés », saisis comme des masses aux prétentions universalistes.
Cette haine du renouvellement théorique dans notre discipline qu’identifie Mathias Kusnierz dans son article de 2016, plonge ses racines dans une forme de sacralisation des textes et des auteurs critiques des années 1960 françaises, symétrique presque parfaite de la politique des auteurs de cinéma élaborée à la même époque et dans le même champ, dont découle une sorte de fétichisme de l’esthétique contre les incursions jugées impures des sciences sociales.
Si certaines approches d’obédience matérialistes sont parvenues à tirer leur épingle du jeu conceptuel français, les approches féministes francophones peinent à émerger dans les cours de cinéma, en témoigne le livre d’Iris Brey par exemple, s’appuyant presque exclusivement sur des références anglo-étatsuniennes. Ce livre a pourtant rencontré un succès de libraire certain chez les étudiant·e·s en cinéma et les chiffres de fréquentation de la page de la revue en ligne Débordements consacrée la traduction de “Plaisir visuel et cinéma narratif” de Laura Mulvey sont la preuve s’il en fallait d’un intérêt persistant pour ces questions et d’une quête théorique d’outils analytiques permettant d’aborder la question du genre au cinéma en France.
Tel a également été mon cas, a fortiori lorsque je me suis approchée du nœud épistémologique de cette affaire : la Nouvelle Vague et son héritage aussi bien filmique que critique.
Alors j’ai choisi de recourir à la méthode de l’autobiographie raisonnée, méthode des sciences sociales visant à interroger son propre parcours à l’aune de l’analyse des structures qui l’ont façonné. Récemment, c’est le cas du livre de Rose-Marie Lagrave à La Découverte, Se ressaisir : enquête autobiographique d’une transfuge de classe féministe. Alors évidemment, je ne vais pas me lancer dans le récit monographique de ma vie, quoiqu’il eut été intéressant de se plonger rétrospectivement dans les cours d’esthétique du cinéma et d’histoire de la critique que j’ai pu recevoir et les sources qu’ont rencontré mes professeur·e·s avant moi.
J’ai souhaité partir d’un événement précis qui a suscité chez moi une archéologie du savoir ou plutôt du non-savoir, une enquête bibliographique sur un angle-mort à la fois de ma connaissance du champ des études cinématographiques mais aussi de l’autre champ dans lequel je travaille : celui de la critique.