The Subconscious Art of Graffiti Removal

Matt McCormick, 2001

par ,
le 8 septembre 2018

Entre les gris d’une zone industrielle désertée, les premiers plans de The Subconscious Art of Graffiti Removal intriguent, à défaut d’orienter. Film à thèse autant que déambulation, le court-métrage de Matt McCormick avance ensuite son idée centrale : le recouvrement des graffiti relève d’un art subconscient et collaboratif. Animation, classification par styles, citation de tableaux de maîtres de l’abstraction picturale viennent appuyer le propos. Dix-sept ans après la réalisation de ce court-métrage, il semblerait néanmoins que le « processus d’artification » de la censure en soit au point mort.

Depuis le ton assuré jusqu’au remontage d’un entretien pour en extraire quelque vérité subliminale, tout suggère que l’argument de l’art subconscient (involontaire ou inconscient, nous précise-t-on) tient du canular. Cette notion était pourtant bien associée à la reconnaissance des ouvrages de médiums, fous et prisonniers, présentant d’ailleurs souvent l’aspect de graffiti, tandis que les avants-gardes défendaient un art émancipé de nos polices culturelles et psychiques. Cette autre possibilité d’extension du domaine de l’art, non plus autour des graffiti mais autour de leur censure réelle, n’en paraîtra que plus cocasse. La question peut se poser, d’un art qui implique la police (réelle) : l’artiste contemporain Julien Prévieux a bien collaboré avec la B.A.C. du 14è arrondissement de Paris autour de propositions graphiques du plus bel aloi. Mais elles impliquaient un appareil de production qui, précisément, échouait à remplir sa fonction policière. Or, la censure du graff fonctionne parfaitement à Portland, à en croire les images du film. Que reste-t-il de possible, entre ces murs ? Matt Mccormick en appelle aux critiques. Allons-nous gloser sur les nuances subtiles de ces rectangles de peinture grise opaque ? La fille à vélo qui traverse le champ à plusieurs reprises, toute seule et incongrue, est bien plus intéressante : elle évoque un personnage de cartoon.

N’est-ce pas aussi pressentir quelque chose de grave en tout cela, que d’en rire ? Allons au bout du procès : à quoi servons-nous ? Si la critique peut encore se dire concernée par les œuvres d’art, elle l’est donc aussi par leur condition sine qua none : ceux qui les font et leurs moyens. Au fond, le critère de l’intention artistique (dont l’idée d’art subconscient est le corollaire) est effectivement devenu dérisoire. L’organisation d’un ou plusieurs collectif.s autour d’une production est un paramètre plus déterminant, attendu que la reconnaissance d’une œuvre est, comme une révolution, un fait social. Il faut bien admettre que jusqu’ici, la question de l’appartenance des choses au domaine de l’art et tous les discours que cela engage ont eu un effet très relatif au-delà dudit domaine. L’art des prisonniers peut bien être qualifié d’art depuis près d’un siècle, pour autant les prisons sont restées des prisons et les moyens d’expression s’y font rares. En Ontario, pour la prévention du graffiti, on invite les parents à surveiller l’allure générale que prennent les dessins de leurs enfants. Ailleurs (en France, entre autres) on condamne les graffeurs à des travaux d’intérêt général consistant à détruire les œuvres de leur propre communauté. Le cynisme du pouvoir en exercice ne s’impose aucune limite. Or, de meilleures conditions de création seraient souhaitables. S’il faut déceler ou à défaut, imaginer ce qui peut se produire d’artistique dans les contextes les plus difficiles, c’est aussi parce que l’art, lui, se heurte à des limites sérieuses et qu’il nous revient de les mettre en évidence – c’en est une que désigne, avec humour, The Subconscious Art of Graffiti Removal.

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