L’homme fidèle, de Louis Garrel (sortie le 26 décembre 2018). Pour sa seconde réalisation, Louis Garrel retrouve la figure du triangle amoureux. Abel et Marianne, séparés une première fois (lorsque Marianne lui préfère Paul), le sont ensuite une seconde fois (lorsque Abel tente l’aventure avec Eve), avant d’être finalement réunis. Double comédie du remariage, marivaudage à trois personnages, le film retrace alors une fidélité amoureuse, celle d’Abel pour Marianne. Mais L’homme fidèle accueille aussi une intrigue familiale, avant de s’aventurer dans le genre du thriller. Et la fidélité, comme l’indique le réalisateur, peut en désigner une autre, celle « d’Abel à lui-même ». Dès lors, quelle histoire raconte L’homme fidèle ?
Tissé de voix intérieures, mené tambour battant, le scénario signé Jean-Claude Carrière a des allures de fable, sinon de conte moral. Arrivé à son terme, le récit retrouve son point de départ : Abel quitté par Marianne pour le père de son enfant est finalement accepté comme nouveau père par le fils de Marianne. Mais le registre des situations est également symétrique : à l’accommodement d’Abel face à Marianne qui lui révèle qu’elle est enceinte d’un autre et qu’elle va se marier dans quelques jours, répond l’acceptation d’un nouveau père que l’on veut d’abord tuer. Une pente morale assez loin de la comédie sentimentale, et où les individus qui « jouent chacun leur partie » se révèlent surtout remplaçables. Ainsi Abel peut emmener Eve dans le restaurant où il allait avec Marianne, ou Marianne prévenir Abel qu’un autre pourrait déjà vouloir s’installer chez elle.
Mais la science du scénario n’en reste pas aux symétries, un McGuffin attend son heure dans ce qui se présente également comme un « mini Hitchcock ». Repassé chez Marianne après l’enterrement de Paul, Abel se voit proposer des affaires de ce dernier, une offre qu’il désapprouve, avant un zoom sur une paire de chaussures. Bien plus tard, au moment de quitter le domicile de Marianne pour celui d’Eve, le fils de Paul, Joseph, fait remarquer à Abel que « finalement, il a pris les chaussures ». Oui, finalement, il les a aux pieds. D’Abel à Marianne en passant par Eve et sûrement Paul, la veulerie s’impose comme le trait de caractère le mieux partagé. Conjugué à la première personne, L’homme fidèle est aussi un film qui avance masqué. Non sans raison. [G.C.]
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Un violent désir de bonheur, de Clément Schneider (sortie le 26 décembre 2018). Le premier film de Clément Schneider a des arguments pour lui. Un sujet d’abord : le changement de la vie alors que « le vent souffle sur le monde ancien ». Deux partis pris : une économie de moyens et la stylisation. Une idée : approcher notre temps (le film prend en charge la politisation de ces dernières années) par le truchement de 1792. Mais le film a aussi une histoire : à la suite de l’arrivée de soldats dans son monastère, Gabriel, un jeune moine, rallie la révolution avant de vivre une histoire avec Marianne, une femme noire et muette. Une fiction périlleuse, pour un film qui n’en a finalement pas les moyens.
La division des mots et des choses habite Un violent désir de bonheur. Les mots y sont forts, prometteurs. Un colporteur ouvre le bal, prévenant de l’approche des troupes révolutionnaires avec des phrases qui claquent, avant que l’annonce ne devienne celle, en musique, des Last Poets : « When the revolution comes »… Autre formule, taillée comme telle, le titre du film est gravé sur les murs du monastère. Et la puissance des mots n’est pas celle de leur partage : nulle discussion politique, aucun débat véritable entre protagonistes. Marianne déclame son monologue final à la cantonade, après que son histoire avec Gabriel (devenu François) s’est limitée à un éveil sensuel. Car il règne comme un parfum d’évidence : en écho à sa première image (le sentier à flanc de colline où arrive le colporteur), le film déroule le plan logique du changement d’état de Gabriel, qui passe d’un habit à un autre assez passivement et sans conviction.
Porté par l’énergie verbale, ce premier film l’est beaucoup moins par le cinéma. Le format d’image (1,33), la frontalité, la précision du découpage, les moyens engagés ne tardent pas à tourner court. D’abord, l’abondance des musiques et des espaces annule la sobriété promise. Pire, le théâtre, détourné avec la frontalité, revient par la bouche des acteurs (en premier lieu celle du capitaine). Partagé entre son désir de récit et son souci formel, resté au milieu du gué, le réalisateur perd des deux côtés. Tenu par son déroulement logique, sans moment à lui, le film ne peut pas non plus tenter l’aventure de la réalité. Contemporain par endroits, Un violent désir de bonheur ne laisse en même temps aucune emprunte documentaire. Mais, surtout : que penser d’un film s’attachant à un programme qui ne le tente pas lui-même ? [G.C.]