Débordements x SADA #5

Pratiques spectrales

par ,
le 23 mars 2022


Exploration des liens entre fantômes et technologies dans une programmation pensée avec l’École des Arts de la Sorbonne.

Autour de la notion de média (tantôt machines, tantôt espaces et tantôt milieux) propices aux manifestations spectrales, Pratiques spectrales entend définir les modalités matérielles et techniques de l’apparition spectrale lors d’une soirée de projection, une journée d’étude et un atelier de recherche création.

GRAVEYARD CONNEXION (11′) & HARUSPICES (14′), Jonathan Pêpe (Festival du film de la Villa Médicis 2021)
Entièrement réalisé en images de synthèse, Graveyard Connexion fictionne à partir de la promesse d’une entreprise chinoise de conserver la voix et la semblance des êtres défunts une déambulation dans un data center parsemé de statues pseudo-gothiques, modélisées par l’artiste ou trouvées sur Internet. À ce mélange kitch entre l’imagerie de la tech californienne et une iconographie volontiers sulpicienne s’ajoute une voix robotique, traduite en japonais et lue par Google Translate, dont le récit intrique peu à peu les mécanismes de la sauvegarde des données numériques et les mystères de l’Apparition.

THIS MEANS MORE (22′), Nicolas Gourault
This means more confronte les témoignages de supporters de football aux outils industriels utilisés pour la représentation de foules virtuelles. Ces derniers servent habituellement à fabriquer l’image d’une foule idéale dans des publicités, ou bien à gérer les flux au sein d’un espace en anticipant le déplacement des corps. En contrepoint à ces images virtuelles, des supporters du Liverpool FC font le récit de leur expérience marquée par un événement tragique : la catastrophe de Hillsborough, survenue le 15 avril 1989.

OLHE BEM AS MONTANHAS (30′), Ana Vaz
« Regardez bien les montagnes ! » : l’impératif vient de l’artiste Manfredo de Souzanetto, pendant les années de dictature au Brésil. L’exploitation minière était en train de détruire l’environnement dans l’État du Minas Gerais, dans le Sud-Est du pays. Par le biais du montage, Ana Vaz met en parallèle cette région et celle, géographiquement très éloignée, du Nord-Pas-de-Calais, également marquée par trois siècles d’exploitation minière. D’un côté, des montagnes érodées, dont les habitants subissent les glissements de terrain meurtriers. Les montagnes creuses, évidées, deviennent réceptacles d’une mémoire spectrale. De l’autre, en France, les traces de l’exploitation, un temps effacées, font aujourd’hui l’objet d’une revalorisation patrimoniale, et paradoxalement, les tas de déchets miniers sont devenus des montagnes, des réservoirs de biodiversité, la frontière entre nature et technique s’avérant insituable. La cinéaste surprend à chaque plan, la poésie primant sur tout discours militant ou environnemental – ainsi de la séquence des scientifiques qui mesurent les chauves-souris sous la lune. Le « regardez bien » pousse vers le détail, la matière visuelle et sonore. Jamais cependant détachées du politique : un plan du ciel pris du fond d’un ravin suffit à évoquer les fantômes de peuples indigènes éradiqués, dont subsistent encore cependant des peintures pariétales. (Charlotte Garson)