Allant voir Dune, le blockbuster censé ranimer les salles d’un long coma commercial, l’auteur de ces lignes a pu découvrir en début de séance un clip gouvernemental contre une drogue dormitive, le cannabis. Pilier d’une campagne dite de sensibilisation joliment baptisée « Derrière la fumée », ce spot de quarante-cinq secondes témoigne d’un relatif progrès dans les stratégies esthétiques entourant les communications ministérielles. Foin des déclarations face caméra et autres rhétoriques de l’interpellation citoyenne : ici, le discours passe d’abord par des effets sonores (un bourdonnement anxiogène) et visuels (une fumée digitale saturant les plans les uns après les autres), même si quelques bandes de textes viennent in fine surcoder ce style à la croisée de Carpenter et de Gondry. L’écrit fonctionne à l’économie, ciblant d’abord des maux – « échec scolaire », « accidents domestiques », « violence, insécurité » – pour à terme vanter un bilan (« En 2020, 96 tonnes de cannabis saisies, 26 000 condamnations pour trafic de stupéfiants prononcées, 120 millions € investis dans la lutte contre les addictions »). Passons sur le fait ô combien piquant qu’un tel encart propagandiste précède un long-métrage dont toute l’intrigue tourne autour d’une super-drogue à laquelle est suspendu le destin d’un empire, l’épice d’Arrakis. La narcocritique nous a appris que l’acceptabilité des psychotropes dépendait de leur optimisation du sujet producteur ou de sa sédation provisoire. Or, le cannabis a le double malheur de favoriser une excitation improductive et d’être encore pris dans un imaginaire orientaliste. Mais là n’est pas le problème, pas plus qu’il ne réside dans le savoureux glissement de la vidéo de la santé individuelle aux fantasmes collectifs de sécurisation sociale (même s’il est assez étrange de terminer une bande préventive par des images de forces de l’ordre enfourgonnant des dealers, le tout dans un décor de cité de banlieue).
Peut-être trouvera-t-on scandaleux que le gouvernement se paie de la sorte un peu de publicité sous couvert de sensibilisation, puisque le clip souligne moins les ravages cérébraux de la drogue (il frise même l’irréalisme avec sa vignette du cadre supérieur mettant en péril son enfant en sortant téléphoner) qu’il ne chante l’efficacité du plus puissant des ministères, confié à un homme aimant à twitter dès qu’une razzia policière récolte une boulette de shit. Après tout, à l’approche d’une élection présidentielle s’annonçant comme un grand concours d’amalgames, cette vidéo où se croisent en moins d’une minute les suffocations d’un nourrisson et la silhouette menaçante de jeunes gens en survêtement peut être soupçonnée de mélange des genres. On pourrait aussi bien ironiser sur le titre d’une vidéo promettant de nous faire voir ce qui cache « derrière la fumée », cela après des années de communication fumeuse de la part des officines étatiques, après aussi ses déclarations autour de l’innocuité de la fumée émanant de l’incendie de Lubrizol, après surtout l’usage très « william-turnerien » que la police fait des gazs lacrymogènes lors de toute manifestation depuis 2016 (le plan central du clip, sur lequel s’affiche le titre « Violence, insécurité », a d’ailleurs tout du lapsus audiovisuel tant il évoque des scènes de répression récentes). Derrière la fumée, il y a surtout, on le sait, un gang de fumistes à tendance pyromane.
Mais toutes ces critiques sont trop évidentes pour mériter qu’on s’y attarde. La beauté de ce spot est ailleurs : dans son emplacement, dans le fait que les communicants en charge de cette campagne aient cru nécessaire d’acheter du temps de publicité dans ce créneau pourtant de moins en moins en vue qu’est l’avant-film. Cela à l’âge où le public-cible, les jeunes fumeurs et les vieux votants, se trouve d’abord devant des écrans domestiques. Ne faut-il pas voir là un hommage à la salle, une croyance intacte en ses effets comme dans la place qu’elle tient encore dans le tissu social ? Sûrement est-ce là pour le gouvernement sa manière de dire qu’il soutient la culture.
Gabriel Bortzmeyer
Téléchargez Débordements_5.pdf