Voici la deuxième partie de l’analyse de Metal Gear Solid 2 par James Clinton Howell, publiée en 2007 sur son site Deltahead Translation Group. La première partie est accessible ici.
La Scenario Map est plus abstraite que la Series Map. Même si le joueur avait rempli les Objectifs du Joueur dans le Chapitre du Tanker, il échouait par procuration quand Snake ratait ses Objectifs d’Acteur. MGS1 avait préparé le joueur à attendre la rédemption comme complément formel à l’échec, il cherchait donc ces éléments formels dans MGS2. Bien qu’il ait perdu le contrôle de Solid Snake, le joueur s’attendait, à travers son acteur, à infiltrer une installation industrielle high-tech dans une mission d’infiltration en solitaire et à mettre la main sur un espion rival dans l’opération.
MGS1 avait repoussé la rencontre de Snake avec l’espion rival, préservant ainsi l’illusion d’une mission d’infiltration en solitaire. Dans MGS2, l’illusion se brise dès l’ouverture du Chapitre de la Plate-Forme. Dans MGS1, Snake avait nagé jusqu’à un quai souterrain, esquivé six gardes en patrouille, attendu qu’un ascenseur descende, monté dans l’ascenseur, et infiltré une base militaro-industrielle. Raiden nage dans un décor similaire immédiatement après que Solid Snake a assommé les gardes et soit monté dans l’ascenseur. En attendant que l’ascenseur redescende à la suite de l’infiltration de Snake, un joueur prudent peut cacher les gardes inconscients dans un casier pour les empêcher de se réveiller, mais MGS2 punit une telle prudence : si les gardes sont posés dans des casiers, l’ascenseur met plus de temps à redescendre. MGS2 « veut » que le joueur débute le Chapitre de la Plate-Forme en pataugeant dans le désordre causé par Snake, et que le joueur se cache quand les gardes se réveillent et partent à la recherche de Snake. Les premiers pas de Raiden dans MGS2 parodient l’intensité de ceux de Snake dans MGS1.
Le rôle de Snake en Lieutenant Pliskin dans MGS2 évoque formellement le ninja cyborg de MGS1, Gray Fox. Dans MGS1, Snake et Gray Fox s’étaient infiltrés sans se rencontrer. Snake avait entendu des gardes discuter d’un espion meurtrier faisant usage d’un camouflage optique, et il apprenait plus tard l’identité du ninja après avoir traversé un couloir ensanglanté et bordé de cadavres. Dans MGS2, Raiden et Snake s’infiltrent en même temps sans collaborer l’un avec l’autre. Raiden entend la responsable hiérarchique des terroristes rapporter qu’elle avait vu un intrus se cachant sous un carton, et mentionne Snake pour la première fois après avoir traversé un couloir ensanglanté et bordé de cadavres.
Une comparaison détaillée confirme ces similarités formelles tout en soulignant comment MGS2 contrecarre les attentes narratives qu’il évoque. Gray Fox avait appris le combat à Solid Snake, et Raiden a appris à se battre en émulant Solid Snake dans des simulations en réalité virtuelle ; cependant, Snake avait appris de Gray Fox, et Raiden a appris en tant que Solid Snake, en réalité virtuelle. Gray Fox possédait un camouflage optique que Snake ne possédait pas, alors que Raiden pouvait se cacher dans une boite en carton, comme Snake dans MGS2. Snake aidait un scientifique sans défense après avoir regardé Gray Fox massacrer les soldats ennemis dans le couloir ensanglanté de MGS1, alors que Raiden est sauvé par le héros de MGS1 après que Vamp a tué des soldats alliés à Raiden dans le couloir ensanglanté de MGS2. Passé les couloirs ensanglantés, Snake avait appris la véritable identité du ninja de MGS1, alors que Raiden n’apprend que le pseudonyme de Snake.
D’autres éléments formels mènent à des conclusions contradictoires. Snake était la raison pour laquelle Gray Fox s’était infiltré, alors que Raiden est accessoire à la mission de Snake. Le ninja était d’abord apparu dans MGS1 pour se confronter à Snake, puis pour l’aider, mais Snake est d’abord l’allié de Raiden, puis son ennemi (en apparence du moins). Gray Fox avait sacrifié sa vie pour aider Snake à détruire Metal Gear Rex, mais Snake sacrifie Raiden lors du climax de MGS2 : Snake le livrait aux terroristes comme diversion afin de s’infiltrer dans une zone autrement inaccessible. MGS2 insistait le plus fortement sur le renversement narratif des formes de MGS1 au moment où son ninja cyborg aidait Snake à maîtriser Raiden.
MGS2 évoque formellement la relation de Snake et Gray Fox – un des éléments de la Scenario Map – mais refuse la tension narrative et la catharsis que cette forme impliquait.
Les combats de boss de MGS2 évoquent également les combats de boss de MGS1. Malgré leurs apparences formelles, ils refusent à l’acteur la victoire et refusent par conséquent au joueur la rédemption des erreurs de Snake dans le Chapitre du Tanker.
Le combat de Raiden contre le jet Harrier évoque formellement le combat de Snake contre l’hélicoptère Hind-D dans MGS1. Snake avait utilisé un lance missile Stinger contre un véhicule volant qui pouvait l’attaquer en flottant au-dessus de lui. Il avait combattu le Hind-D sur le toit d’une grande tour pendant que la machine l’attaquait de tous les côtés. L’hélicoptère détruisait une partie du décor à la moitié du combat, puis plongeait sous le périmètre du toit pour attaquer Snake par surprise. Une fois que le joueur avait drainé la barre de vie du Hind-D, la machine détruisait quasiment toute la zone de jeu. Raiden utilise également un Stinger pour combattre le Harrier flottant au-dessus d’une zone ouverte, surélevée – un pont industriel – ce qui le force à surveiller des attaques pouvant venir de tous les côtés. Le Harrier s’éloigne parfois au loin et se cache dans les reflets des rayons du soleil pour prendre Raiden par surprise. Une brève cinématique durant laquelle le Harrier détruit une partie du pont interrompt le combat à mi-parcours, et l’avion détruit presque intégralement le reste du pont quand le joueur a drainé sa barre de vie.
MGS1 avait récompensé en même temps les Objectifs du Joueur et de l’Acteur : Snake avait détruit le Hind-D et semblait avoir tué son pilote. L’hélicoptère chutait rapidement une fois que le joueur eût drainé sa barre de vie, et MGS1 racontait visuellement que son pilote – Liquid Snake, le frère de Solid Snake et l’antagoniste principal – était mort dans le crash. Liquid n’était pas réellement mort, mais la narration cinématique faisait ressentir au joueur l’accomplissement de l’acteur. Snake tirait lui-même la conclusion : « That takes care of the cremation » (« Voilà pour la crémation. »).
MGS2 n’offre pas le succès de l’acteur comme récompense à l’accomplissement des Objectifs du Joueur. Raiden ne détruit ni le Harrier ni son pilote après avoir drainé sa barre de vie. Metal Gear Ray émerge de l’océan, attrape l’avion dans sa gueule, et le place en sûreté. MGS1 avait sous-entendu la destruction physique du pilote, alors que MGS2 raconte dans une cinématique que Raiden a à peine touché l’un des pilotes du Harrier – Solidus Snake, l’antagoniste principal de Raiden et l’autre frère de Solid Snake.
Le combat de Raiden contre les vingt-cinq Metal Gear Rays [11] [11] Dans l’une des dernières séquences du jeu, Raiden affronte en effet un groupe de Metal Gear Rays. Le joueur doit en abattre vingt-cinq afin de terminer le combat. possède des similitudes formelles à la fois évidentes et subtiles avec le combat de Snake contre Metal Gear Rex. Rex possédait un torse robuste posé sur une large structure, et Snake utilisait des missiles Stinger pour attaquer un radôme décentré par rapport au châssis de Rex. Ses attaques ne fonctionnaient pas, et Rex l’aurait écrasé sans l’intervention du ninja. Snake attaquait ensuite le cockpit situé dans la bouche de Rex, tout en évitant des salves de missiles, des tirs de mitrailleuse et des rayons laser. Les jambes frêles des Rays, quant à elles, supportent une énorme carapace. Raiden utilise également des Stingers pour toucher une partie décentrée du corps des Rays – le genou – avant d’attaquer la gueule ouverte des Rays. Raiden combat chaque Ray d’une manière qui contient abstraitement toute la bataille de Snake contre Rex, tout en esquivant des attaques quasi-identiques.
Le combat de Raiden contre les vingt-cinq Ray se termine sur une déception, comme son combat contre le Harrier. Snake s’était presque fait écraser parce que ses attaques n’étaient pas assez puissantes, mais MGS2 met Raiden sous le pied de Ray car l’acteur abandonne avant que le joueur ne puisse détruire les trois machines restantes. « It’s no use », « Ça ne sert à rien », dit-il après que Solidus le tourne en ridicule (« I expected a little more fight than that. », « Je m’attendais à un peu plus de résistance. »).
Le ninja de MGS2 intervient pour empêcher Raiden de se faire écraser, reproduisant ainsi tous les éléments formels du combat contre Rex dans MGS1 à l’exception du triomphe de l’acteur. Solidus détruit lui-même les Rays restants.
Les combats de boss mano-a-mano de MGS2 reprennent des éléments formels de MGS1, dans le but spécifique de frustrer la Scenario Map. Aucun combat de MGS2 ne copie exactement MGS1. Les ressemblances sont plus subtiles. Elles fonctionnent sur un modèle inconscient de reconnaissance de motifs qui évoquent des souvenirs de MGS1 tout en refusant la catharsis que ces motifs impliquaient.
Le combat contre Fatman dans MGS2 ressemble formellement au combat de Snake contre Raven dans MGS1. Les deux batailles ont lieux dans de grandes zones striées par des contenairs, et le joueur peut vaincre les deux bosses avec des stratégies similaires. Vulcan Raven courait constamment à travers son environnement, et il était facilement vaincu quand le joueur posait des claymores sur son chemin. Fatman peut aussi être facilement vaincu en lui tirant dessus alors qu’il se remet d’une explosion de claymore. Autre rappel formel : MGS2 donne au joueur des claymores en abondance autour de la zone de Fatman. Il force même le joueur à désamorcer et à récupérer des mines par deux fois sur son chemin vers l’affrontement, exactement comme le joueur avait récupéré des claymores avant le combat contre Raven dans MGS1.
L’apparence de Fatman et les motifs du combat rappellent formellement le combat de boss contre Raven tout en contrastant dans leur contenu. Les deux hommes sont les plus imposants de leur groupe, mais Fatman est plutôt rond, alors que Raven était plutôt large. Raven courait à demi-nu à travers le niveau en brandissant une mitrailleuse d’avion ; Fatman avance sur des rollers, alourdi par une combinaison de déminage, et fond sur Raiden avec un petit pistolet Glock. Raven s’était déplacé de haut en bas et de gauche à droite comme une tour d’échecs, alors que Fatman trace des cercles sur le terrain avec ses rollers. Raven avait forcé Snake à courir à travers un entrepôt souterrain gelé, alors que Fatman force Raiden à courir et à geler des bombes sur un héliport surélevé, en plein air.
MGS2 inverse les conséquences narratives de l’échec de chaque boss. Après que le joueur a vaincu Raven dans MGS1, Raven s’écroulait contre un mur, aidait Snake en prononçant ses dernières paroles, affirmait qu’il observerait Snake au-delà de la mort, et disparaissait quand sa créature éponyme [22] [22] Vulcan Raven, un des boss de Metal Gear Solid, est en effet accompagné de corbeaux tournant autour de lui. Signalons que la quasi-totalité des boss de Metal Gear Solid sont associés à un animal qui les représente (le loup pour Sniper Wolf, le renard pour Gray Fox…). le dévorait. Fatman, cependant, s’écroule contre une caisse, insulte Raiden dans ses derniers mots, et sous-entend qu’il ne survivra à sa mort que si d’autres se souviendraient de son héritage. MGS2 contraste l’absence physique de Raven après le combat avec la présence physique de Fatman : le joueur doit traîner physiquement le corps de Fatman plus loin pour désamorcer une dernière bombe. Le récit de MGS2 n’exige même pas la mort de Fatman. Si le joueur le bat par des moyens non-létaux, Fatman respire encore quand Raiden reprend le cours de sa mission.
Le combat de boss contre Fortune associe des éléments formels issus des combats de Snake, à la fois contre les ennemis de MGS1 et de MGS2. Comme dans le premier combat contre Sniper Wolf dans MGS1, Fortune et Raiden – une femme et un homme – sont positionnés à des endroits opposés d’un environnement urbain fermé. Le joueur devait traverser un territoire qu’il avait déjà parcouru pour récupérer un fusil de sniper dans MGS1, et Wolf empêchait sa progression. Raiden, de même, doit traverser une zone déjà explorée pour désamorcer des bombes avant de rencontrer Fortune, qui empêche sa progression. Les balles et les grenades ne peuvent pas toucher Fortune tout comme elles ne pouvaient pas toucher Gray Fox dans MGS1, et le level design contient des obstacles similaires à ceux que Snake avait rencontré en combattant Olga dans le Chapitre du Tanker. Le combat se termine quand Vamp apparaît, comme Gray Fox apparaissait pour mettre un terme au combat contre Ocelot dans MGS1.
Le combat de boss contre Fortune tisse un cauchemar à partir de ces souvenirs formels. Snake, ne pouvant s’approcher de Wolf, l’avait combattu avec des armes à feu, mais Raiden ne peut pas tirer sur Fortune. Snake attaquait Fox à la main quand les balles se révélaient inutiles, mais Raiden ne peut pas s’approcher physiquement de Fortune. MGS1 permettait finalement au joueur de tirer sur Fox lorsque Snake l’avait suffisamment blessé, mais MGS2 refuse même cette petite catharsis. Incapable de blesser Fortune, le joueur se met à couvert comme il l’a appris dans le Chapitre du Tanker – et cela même se révèle inutile lorsque l’arme de Fortune détruisait toutes les couvertures possibles.
Fortune insulte Raiden parce que le joueur ne peut pas endommager sa barre de vie ridiculement petite, et dit spécifiquement qu’elle s’attendait à rencontrer Solid Snake. La plupart des joueurs apprenaient par accident qu’ils ne pouvaient survivre qu’en évitant les attaques de Fortune, en se cachant, en courant et en roulant hors de danger pendant deux minutes. Gray Fox avait donné à Snake un répit dans MGS1 après que le joueur eut drainé la barre de vie d’Ocelot, mais Vamp interrompt le combat dans MGS2 alors que le joueur n’a même pas touché Fortune.
Vamp [33] [33] Lorsque le joueur explore la deuxième partie de Big Shell, son but est de retrouver une scientifique nommée Emma, la sœur d’Otacon, un des personnages centraux de Metal Gear Solid et de Metal Gear Solid 2. C’est en allant retrouver Emma que le joueur affronte Vamp, un terroriste possédant des pouvoirs surnaturels évoquant ceux d’un vampire. Le joueur a déjà croisé Vamp à de nombreuses reprises, et a pu constater l’étendue de ses pouvoirs, ainsi que son apparente invincibilité. L’issue de combat laisse cependant entendre que Raiden l’a tué. Dans une séquence ultérieure où le joueur protège Emma à l’aide d’un fusil de Sniper, Vamp réapparaît et la prend en otage : le joueur abat donc Vamp une nouvelle fois, mais pas avant que celui-ci n’en ait profité pour blesser mortellement Emma. Le joueur apprend plus tard que Vamp a, à nouveau, survécu. représente un mélange formel plus complexe. Il rappelle de prime abord Decoy Octopus, dans MGS1, que Snake tuait accidentellement pendant une cinématique. Raiden tue Vamp par accident pendant la cinématique suivant le combat contre Fortune, tirant une balle, visiblement, dans la tête de Vamp. Snake apprenait par la suite la mort d’Octopus, alors que Raiden apprend que Vamp a survécu.
La zone où le joueur combat Vamp pour la première fois rend hommage au combat de MGS1 entre Snake et Ocelot. Le combat prend place sur une plate-forme carrée, construite au-dessus d’une piscine remplie d’une substance ressemblent à de l’eau. Raiden meurt s’il y chute, mais il peut s’accrocher au bord sans danger. La confrontation contre Ocelot opérait une restriction similaire, l’enfermant dans une pièce carrée. S’il traversait ce carré central, Snake faisait exploser des explosifs préalablement posés par Ocelot, mais il pouvait faire quelques pas à l’intérieur de ce carré. Vamp se tient, au début du combat, au milieu du carré central, comme un souvenir visuel du positionnement de Baker au milieu des explosifs alors que Snake se battait contre Ocelot. Les deux pièces placent même leurs sorties respectives aux mêmes endroits : une au nord-est, l’autre au sud-est.
Cette similarité formelle du level design construit des effets opposés. Snake mourait dans une explosion si le joueur activait les explosifs dans MGS1, alors que Raiden meurt étouffé par la pression s’il tombe dans la piscine. Les acteurs quittent l’endroit par des portes opposées après les affrontements respectifs. Snake ne pouvait pas partir par la porte nord-est, n’ayant pas en sa possession la carte d’accès correspondante dans MGS1, et Raiden ne peut partir que par le nord-est pour continuer sa progression.
La jouabilité ressemble, formellement, au combat entre Snake et Ocelot dans MGS1. Ocelot pouvait tirer sur Snake depuis n’importe quel endroit de la pièce. MGS1 forçait le joueur à un mouvement constant, jusqu’à ce qu’Ocelot recharge. Le joueur saisissait cette opportunité pour attaquer Ocelot, tirant à travers les fils connectant les explosifs. De la même façon, Vamp lance des couteaux sur Raiden en se déplaçant partout dans la pièce, et MGS2 force le joueur à longer constamment le carré, à l’exception des moments où Vamp nage. Le joueur peut alors saisir cette chance pour tirer sur Vamp à travers de la surface de l’eau.
La jouabilité ressemble également à la confrontation entre Snake et Psycho Mantis dans MGS1. Le joueur ne peut pas tirer sur Vamp de la même manière qu’il ne pouvait pas tirer sur Mantis, et le secret du succès réside alors dans les contrôles du joueur. Le joueur devait changer sa manette de port afin de vaincre Mantis dans MGS1, et Vamp esquive toutes les balles, sauf si le joueur ôte son doigt de la gâchette L1 [44] [44] Ce bouton sert en effet à simplifier la visée en la rendant nettement plus précise. en vue à la première personne. Les deux combats forcent le joueur à changer sa manière de manipuler la technologie à sa disposition afin de compléter ses Objectifs de Joueur.
La deuxième confrontation entre Raiden et Vamp rappelle celle entre Snake et Sniper Wolf dans MGS1. Ces deux séquences demandent au joueur d’utiliser son fusil de sniper afin de couvrir une portion de terrain large et ouverte, mais les stratégies s’inversent. Dans MGS1, le joueur devait courir latéralement dans le niveau afin de débusquer la cachette de Wolf, et elle-même se glissait latéralement d’arbre en arbre. A contrario, ni Vamp ni Raiden ne bougent. Le joueur attendait de Wolf qu’elle se rende visible dans MGS1, alors que Vamp se tient immobile et à découvert derrière son otage dans MGS2.
Vamp survit à toutes ses blessures, et bien des joueurs citent toujours le « vampire bisexuel » comme l’un des pires éléments de scénario de MGS2. Cependant, en accord avec les termes de cette analyse, la narration de MGS2 survient par sa forme. Ce rejet est fallacieux, car il part du principe que l’immortalité de Vamp dépend d’un principe narratif, et non d’un élément formel.
Le character design de Vamp et son immortalité rappellent le Liquid Snake de MGS1. Ces deux hommes portent torse-nus leurs imperméables noirs et survivent à des blessures similaires. Vamp survivant au crash du Harrier qu’il pilotait rappelle Liquid survivant au crash du Hind-D qu’il pilotait. Sa descente dans la piscine mortelle rappelle la chute de Liquid du haut du Metal Gear Rex. (Dans ces deux situations, Vamp et Liquid réchappent à des blessures dont le joueur sait qu’elles devraient tuer leurs acteurs.) Vamp survit à de multiples tirs à la tête lors de sa deuxième apparition en tant que boss, rappelant comment Liquid survivait à d’autres tirs à la tête pendant la séquence de course-poursuite de MGS1.
MGS2 corrompt le plus radicalement la part de Vamp liée à la Scenario Map par le refus d’attribuer la catharsis que MGS1 accorde lorsque Liquid, lui, mourait d’une mort apparaissant comme un deus ex machina. Liquid mourait car MGS1 voulait sa mort. Vamp revient en arrière-plan dans les dernières cinématiques de MGS2, le jeu sapant délibérément la tension dramatique établie par les retours successifs et surprenants de Liquid dans MGS1.
MGS2 inverse enfin la Scenario Map en montrant l’échec de Raiden à empêcher une attaque terroriste provenant d’une machine apocalyptique dernier cri, Arsenal Gear – un immense vaisseau de guerre informatisé que Raiden accompagne vers le port de New York et au-delà. La coque s’écrase contre New York, manquant de détruire le Federal Hall. Le jeu prévoyait à l’origine qu’Arsenal Gear fasse vaciller la Statue de la Liberté, mais le studio Kojima Productions a finalement supprimé cette scène, par respect pour le deuil alors récent de la ville. De la manière la plus dramatique et concrète, les succès du joueur garantissent les échecs des acteurs et de la Scenario Map.
La Scenario Map conduit à la détérioration de la Series Map, mais la Solid Map existe en complément des deux. Les héros n’en sont pas sans les circonstances qui les forcent à émerger. Pareillement, pas de drame sans un héros pour se confronter à ces situations dramtiques. Solid Snake ne serait pas un héros sans les difficultés qu’il a dû surmonter, et MGS1 prépare le joueur à attendre un Solid Snake pouvant répondre aux urgences de MGS2.
Il existe une différence cruciale entre les médias traditionnels et ceux interactifs, qui change la relation entre les héros et les événements. Les médias d’ordre traditionnel nécessitent l’existence de leur public en dehors d’eux-mêmes et, après y avoir été exposé, le public se trouve plus proche d’eux par son imagination. Un jeu vidéo requiert un investissement direct, manifeste. Il nécessite que le joueur devienne littéralement une partie de lui-même. Les joueurs ayant joué à MGS1 savent que les problèmes de MGS2 appellent un héros, et que le héros de MGS2 appelle la présence du joueur.
MGS2 utilise les qualités spécifiques du médium pour manipuler à la fois le joueur et l’acteur, lorsqu’ils raccommodent leurs identités ensemble. Au début du Chapitre de la Plate-Forme, le supérieur hiérarchique de Raiden lui ordonne d’accéder à un « digital node », un « nœud digital », ce à quoi Raiden répond : « Did you say “nerd” ? », « Avez-vous dit “nerd” ? ». Quand Raiden se connecte au nœud, le joueur doit taper son propre nom qui apparaît plus tard sur les plaques d’identification de Raiden. MGS2 lie Raiden au joueur – un « nerd » – quand Raiden accède au « nœud », et il lie le joueur à un acteur qu’il n’aime pas toujours, mais qui obéit à ses commandes, même quand celles-ci heurtent le personnage de Raiden.
Si le joueur manipule Raiden pour qu’il abatte des mouettes, sa petite amie l’appelle afin de lui signifier sa désapprobation envers son nouveau plaisir : la violence envers les animaux. De la même façon, elle peut exprimer de la déception si le joueur pousse Raiden à frapper les otages. MGS2 force Raiden à l’obéissance des commandes du joueur en tant qu’acteur, même si ces commandes nuisent à son personnage et à ses relations.
MGS2 affirme la connexion de Raiden avec le joueur en l’identifiant à un soldat élevé à travers les jeux vidéo. Il a fait l’expérience des événements de MGS1 et du Chapitre du Tanker par l’entraînement militaire que propose la réalité virtuelle, et énonce d’entrée de jeu à son supérieur qu’il se sent « comme une sorte de mercenaire légendaire », « like some kind of legendary mercenary. » MGS2 soutient cette idée visuellement ; des séquences de MGS1 se déroulent au moment où Raiden défend l’usage de l’entraînement en réalité virtuelle. A l’instar du joueur, Raiden a adoré MGS1 et Solid Snake.
Le joueur ne peut plus contrôler Solid Snake, mais attend de son nouvel acteur qu’il agisse comme Solid Snake. Par le truchement de la narration, Raiden partage avec le joueur les attentes qu’il doit assumer en tant qu’acteur.