Jurassic World : Fallen Kingdom, J.A. Bayona

Les derniers dinosaures

par ,
le 25 juin 2018

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Il était évidemment un peu naïf d’imaginer qu’après avoir détruit le parc et tourné un film à la gloire du réductionnisme, Colin Trevorrow allait s’en tenir là. “I don’t want two of everything !“, chouinait le petit Gray dans le train qui longeait en 2015 la plaine des gallimimus : son vœu n’aura pas été écouté et nous voilà face à un nouveau remake du diptyque dinophile de Steven Spielberg – cette fois-ci du second volet sorti en 1998, Le Monde Perdu.

Comme en 1998, le parc est en ruines, les capitalistes se sont changés en écolos et il faut retourner sur l’île, s’y confronter à des chasseurs cupides, d’abord contempler des herbivores, puis s’enfuir en criant. A la fin, les animaux sont toujours lâchés sur le continent (Californie du Sud en 1998, du Nord en 2018), et la famille finit recomposée : tout cela est très appliqué.

Les images de synthèse se sont affinées et le brachiosaure a désormais la peau flasque, grâce aux ordinateurs capables de simuler toujours plus d’épaisseurs de graisse et de chair sous la surface. Toutefois la mise à jour la plus importante tient au discours du film. Le Monde Perdu s’achevait sur un plaidoyer écologiste classique : les animaux sauvages doivent vivre en autarcie, “ils ont besoin de notre absence, pas de notre aide“. 20 ans plus tard, plus personne ne croit à la possibilité d’un tel retour à l’innocence.

Le mal est fait et à l’ère de l’anthropocène, l’absence humaine n’est plus qu’un fantasme, même dans les coins les plus reculés du globe, tous frappés. Et Jurassic World 2 de s’achever sur une séquence bluffante où le flambeau passe de la main des écologistes, rêvant encore à un retour à l’équilibre naturel, à celles d’une fillette animaliste qui prend la responsabilité de les maintenir en vie, quitte à devoir s’accomoder de “changements radicaux” (pour citer l’une des quatre lignes de dialogue de Jeff Goldblum).

Le troisième volet s’annonce effectivement passionnant : il devrait y être question d’une utopie inter-espèce, comme le Zootopie de Disney ou le troisième volet de La Planète des Singes ont pu en proposer récemment, avec une nuance : il ne s’agira plus de rêver de la cohabitation d’animaux sauvages entre eux, mais bien d’humains et d’espèces à fort tropisme domestique, d’abord parce qu’elles ont été créées, ensuite parce que l’environnement urbain n’a pas l’air de leur déplaire, comme l’annonce le beau plan final d’un vélociraptor approchant une banlieue à la Spielberg – de celles où le tyrannosaure était déjà venu siroter l’eau d’une piscine et grignoter un chien à la fin du Monde Perdu, avant d’en être renvoyé.

Mais en dépit de cette surprenante mutation du discours écologiste, Jurassic World 2 passe volontiers pour l’un de ces films d’autant plus creux qu’ils sont agréables à l’oeil. Double incompréhension de notre part : si le finale décrit plus haut suggère une certaine témérité scénaristique, la mise en scène, elle, se réfugie constamment derrière des gimmicks qui commencent à dater un peu (le premier Jurassic Park, un quart de siècle cette année quand même).

J.A. Bayona, faiseur hispanique derrière le tire-larme christique The Impossible et le pseudo-psycho-conte Quelques minutes après minuit, parvient ainsi à tisser entre eux de très jolis moments dont il est facile de se souvenir ; mais le trajet d’un moment à un autre est souvent laborieux et, surtout, parsemé de séquences dénuées d’exigence – comme cette scène de parricide dont l’absence de souffle est criante dès lors qu’on la compare, mettons, à celle de Gladiator ; et qui passe comme une lettre à la poste tant qu’on n’y voit que le bridge entre deux séquences à effets spéciaux. Côté musique, c’est le minimum syndical également, comme cela arrive de plus en plus souvent dans les franchises : les thèmes sont réduits à l’état de jingle venus injecter aux fans leur dose contractuelle de connivence et de nostalgie.

Etonnant, dès lors, de trouver autant d’éloges concernant la mise en scène de Bayona, laquelle ne manque pas de lourdeurs. Que vient faire, par exemple, ce contrechamp sur Bryce Dallas Howard portant une casquette “John Deere” au moment où un brachiosaure s’asphyxie derrière un émouvant nuage de fumée ? Les larmes de l’actrice sont épaisses, filmées de près ; on aimerait se dire qu’il y a là l’héritage de la peinture médiévale espagnole, mais c’est plus probablement du pathos à pop-corn : Bayona cadrera plus tard, encore, des larmes de fillette d’aussi près que possible, se penchera même sur une larme de dinosaure pendant l’opération du vélociraptor nommé Blue.

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La scène de la prison, parachutée avant le dernier acte pour faire patienter un petit peu, est exemplaire de cette paresse globale. Les deux personnages principaux sont dans une cage à côté d’une mère tricératops et de son petit. La caméra est posée par terre, Bryce Dallas Howard lance “Tu te souviens de la première fois que tu as vu un dinosaure ?“. Le thème de John Williams commence au piano, jingle, et l’on se contente de regarder les dinosaures en images de synthèse tenter de s’échapper, se câliner, s’allonger dans la paille.

Exemplaire parce que la seule chose qui tient la scène n’a rien à voir avec la direction d’acteurs (comme cela avait pu être le cas lors de la belle scène-salle-d’attente entre Laura Dern & Richard Attenborough du premier Jurassic Park), ni avec la mise en scène (la caméra est là où vous l’auriez mise aussi) : c’est plutôt le regard tendre de la mère numérique sur son petit. Or celui-ci n’est pas l’œuvre de Bayona, mais des petites mains, spécialistes des détails, qui se sont chargées de l’animation. Et si la scène de l’éruption volcanique est emblématique du film (elle figure sur l’affiche), c’est peut-être que la coulée pyroclastique faisant fuir les dinosaures vers la caméra correspond précisément au geste du réalisateur pressant l’île de toutes ses forces comme un tube de dentifrice, afin d’en faire sortir tous les dinosaures numériques en direction de sa caméra.

Ainsi tout ce qui est beau dans Jurassic World 2 l’était-il déjà dans Pacific Rim, Rogue One ou même Kong Skull Island : les animateurs étaient les mêmes – ou, si ce n’était pas rigoureusement les mêmes, la maison d’effets spéciaux (ILM) était la même. Il n’y a qu’à voir la séquence d’ouverture sous l’orage et le surgissement de ses monstres à la faveur des éclairs, directement inspirée de la scène de Hong Kong dans Pacific Rim (surprise : Guillermo del Toro figure aux remerciements). Tout ce qui consiste à cacher les images de synthèse autant que possible, comme à une époque Spielberg devait cacher ses robots pour entretenir le suspense, ne vient pas des films précédents de Bayona, mais des blockbusters de ces dernières années.

Il n’y a qu’à comparer l’arrivée du baryonyx dans un tunnel, éclairé stroboscopiquement par de furtives coulées de lave, avec l’arrivée de Dark Vador à la fin de Rogue One : obscurité percée par le monstre, variation de lumière au sein du plan, travelling arrière… Gareth Edwards, réalisateur de Rogue One, avait d’ailleurs lui-même grandement contribué, avec son remake de Godzilla, à la technique consistant à cacher les monstres autant que possible au milieu d’immenses nuages de poussière, comme c’est le cas du brachiosaure condamné.

Un tel jeu sur la révélation et la dissimulation vient précisément lutter contre la pornographie numérique qui caractérisait le premier Jurassic World, tous les dinosaures du parc étant extrêmement visibles tout le temps (soit l’exact inverse de Jurassic Park). Retournement de situation : à une époque, les images de synthèse remplaçaient les animatroniques quand il fallait courir ou bouger vite ; dans Jurassic World 2, les animatroniques remplacent les images de synthèse dans les plans où la lumière ne change pas, où tout est à voir en continu.

Les animateurs se sont rendus maîtres des images, surclassant les réalisateurs qu’il faut constamment mettre à jour sur les capacités des ordinateurs et les possibilités de mise en scène qu’offrent les derniers logiciels, condamnés à déléguer toujours plus – Spielberg ne peut tout simplement pas avoir supervisé toutes les références de Ready Player One. Les dinosaures d’Hollywood sont en train de s’éteindre, les grands auteurs cèdent peu à peu leur place à tous les petits mammifères chargés de fabriquer les images, grouillant au milieu de leurs carcasses immenses. Ce bruit de pas que l’on entend pendant le premier plan sous-marin de Jurassic World 2, ne donne-t-il pas l’impression d’un film tout entier situé dans le verre d’eau qui signalait l’arrivée du tyrannosaure, en 1993 ?

Qu’elle vienne de Spielberg ou des animateurs d’ILM, l’une des trouvailles stylistiques de Ready Player One est ici encore réemployée à outrance : elle consiste à effectuer un travelling avant vers le visage des images. Dans Ready Player One, cela donnait cet effet troublant de déréalisation des avatars, dont la peau paraissait humaine à un ou deux mètres, mais dont le maillage révélait le caractère synthétique dès qu’on venait s’y coller. A quatre reprises, dans Jurassic World 2, la caméra effectue ce travelling d’un ou deux mètres vers le gros plan sur l’image numérique. Aucun maillage n’apparaît cependant, on se sent juste plus près de l’intériorité des créatures, perceptible à travers les infimes variations de leur regard : “L’expressivité de Blue se construit surtout par son regard : nous avons passé beaucoup de temps rien qu’à étudier les lois régissant la transmission de la lumière à travers l’oeil”, explique Alex Wuttke, superviseur des effets spéciaux.

Il paraît que le projet de Colin Trevorrow, showrunner aux côtés de Spielberg de la trilogie en cours d’élaboration, est de faire en sorte que les gens soient de nouveau impressionnés par les dinosaures, sans qu’il y ait besoin de recourir aux monstres, comme c’est le cas des deux épisodes passés. L’idée est la même que celle de Ready Player One : arrêter la surenchère, avancer à reculons, revenir au réel. C’est probablement la raison pour laquelle l’histoire se replie du volcan vers la chambre, pas l’inverse. Mais d’ici 2021, il ne faudra pas tant compter sur la mise en scène pour transmettre l’émerveillement retrouvé que sur le jeu de la lumière dans l’oeil des animaux de synthèse ; ou sur l’idée qu’à la fin de Jurassic World 2, le rugissement du tyrannosaure face au lion du zoo représente la libération d’un animal par un autre – car voilà qui tient du spectacle, et du jamais vu, plus encore que deux jolis carnivores se grondant bêtement l’un sur l’autre.

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Jurassic World : Fallen Kingdom, un film de J.A. Bayona, avec Chris Pratt (Owen Grady), Bryce Dallas Howard (Claire Dearing), Rafe Spall (Eli Mills), Justice Smith (Franklin Webb), Daniella Pineda (Zia Rodriguez), James Cromwell (Benjamin Lockwood), Toby Jones (Gunnar Eversol).

Scénario : Derek Connolly et Colin Trevorrow, d'après certains personnages créés par Michael Crichton / Direction artistique : Jason Knox-Johnston / Décors : Andy Nicholson / Photographie : Oscar Faura / Montage : Bernat Vilaplana / Musique : Michael Giacchino

Durée : 128 minutes

Sortie : 6 juin 2018