La fripouille et le punisher

A propos de Nicolas Sarkozy

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le 30 avril 2016

Le monde politique français offre décidément un spectacle aussi obscène que fascinant. Il a ses jeunes premiers au grand sourire idiot, qui comme ceux d’Hollywood menacent de mal vieillir, ses vieux beaux sur le retour, ses spécialistes du second rôle déjanté et même ses femmes fatales. Parmi cet aréopage d’adorateurs des flashs et du capital, Nicolas Sarkozy reste un cas à part. Durant des années, sa manière bien à lui de gesticuler ses discours volontaristes et de s’emparer avec une emphase débordante de lignes – somme toute banales et mal écrites – a séduit les médias et les foules. On pense à ces comiques populaires, comme Franco Franchi en Italie ou Christian Clavier en France, dont le succès indéniable reste difficilement compréhensible a posteriori, sorti des mécaniques complexes de fascination malsaine qui le préside.

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Franco Franchi

Ces acteurs dont le travail repose fondamentalement sur l’exagération et la démesure sont bien conscients du caractère instable de leur art. Malheureusement, quand le triomphe se dérobe, ces comédiens limités n’ont d’autre choix que de répéter la formule. Ce faisant, ils précipitent généralement leur chute, en amplifiant les traits saillants de leurs performances. Fondamentalement, ils offrent leur corps à une seule figure, qu’ils répètent de film en film, jusqu’au trop-plein, jusqu’au dégoût. Nicolas Sarkozy, qui traverse actuellement une phase difficile de sa carrière artistique, a ainsi récemment eu tendance à en faire trop, c’est-à-dire, finalement, à être directement aux prises avec son personnage.

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Christian Clavier / Jacquouille la Fripouille

Lors d’un récent meeting à Nice, Nicolas Sarkozy s’est ainsi distingué en faisant une nouvelle fois dérailler son petit numéro – sa routine, aurait dit William Burroughs – du côté de l’absurde et du caricatural, qui sont après tout depuis toujours les marqueurs de sa construction scénique. Sarkozy se tient debout, face caméra. Il trépigne. Son corps entier est pris de cette tension familière. Sa main gauche semble accrochée au pupitre, sa main droite, quant à elle, bat l’air, rythme le discours. Dans le hors-champ caméra, une foule de figurants l’écoute sagement. Derrière lui, assis, pensif, Christian Estrosi – ce second rôle auquel le public local s’est, à force de navets, habitué – tapote des messages sur son téléphone, des messages que l’on ne lira jamais.

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Nicolas Sarkozy & Christian Estrosi

Après les passages obligés sur les syndicats et les lycéens, la parole s’emballe : « Nous ne pouvons pas accepter que des gens qui n’ont rien dans le cerveau viennent sur la place de la République donner des leçons à la démocratie française. » Le geste qui accompagne les mots interpelle : Nicolas Sarkozy pointe son index contre sa tempe, le pouce levé et les trois autres doigts repliés sur la paume. On le comprend, il s’agit pour l’acteur d’ajouter l’emphase du langage corporel à la démesure de la parole : il pointe son crâne pour bien insister sur l’absence de pensée derrière les actes des participants au mouvement Nuit Debout.

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Nicolas Sarkozy

Mais pour le cinéphile, ce geste en rappelle un autre. Il reproduit en effet celui d’un autre personnage aliéné et délirant, Travis Bickle, le Taxi Driver incarné par Robert de Niro. Travis Bickle, qui zonait dans New-York et sa solitude en rêvant de massacre et de pureté : « Un jour une vraie pluie viendra rincer les rues des ordures qui y traînent. » Une phrase qui rappelle celle d’un certain Nicolas Sarkozy, qui, en route vers la gloire, en 2005, pouvait lancer un immortel : « On va nettoyer au Kärcher la cité. » Dix ans plus tard, les cités sont bien sûr toujours les mêmes, mais Nicolas Sarkozy s’en fiche sans doute. Ce qui compte pour lui, c’est de retrouver son personnage. Personnage qui ne l’a jamais quitté – c’est la réussite qui l’a abandonné. En pointant son index sur sa tempe, Nicolas Sarkozy veut affirmer la fausse couche intellectuelle d’un mouvement qu’il ne comprend pas, mais c’est en réalité son propre suicide qu’il désigne.

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Robert de Niro / Travis Bickle

Comme Travis Bickle, exténué, à bout de souffle, en bout de course, Nicolas Sarkozy attend désormais qu’on mette fin à ses souffrances. Comme Travis Bickle, il s’est cru un temps tout-puissant, avant de mener une action aussi violente et dérisoire que pathétique. Nicolas Sarkozy, ce Christian Clavier qui se rêvait en Robert De Niro, est peut-être arrivé au terme de son parcours. Qu’on se rassure, d’autres personnages hauts en couleur viendront vite le remplacer. Les Américains semblent d’ailleurs nous montrer la voie, se laissant tenter par le remplacement de leur actuel George Clooney par un Seth Rogen sous crack. La société du spectacle n’en finira jamais de nous méduser.

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Donald Trump

À partir d'un rapprochement d'images de Raphaël Nieuwjaer.