Little Zombies met en scène quatre jeunes adolescent.e.s qui, ne parvenant à pleurer la mort de leurs parents, décident de s’unir pour vivre à la marge d’un monde oppressant : la tragédie devient ainsi la matrice d’un récit d’apprentissage en forme de jeu. Plutôt que de suivre le chemin tortueux du mélodrame, Makoto Nagahisa livre un film détonnant qui déploie une multitude d’effets visuels et narratifs hétérogènes, empruntant à l’imaginaire vidéoludique un certain nombre de codes : découpage du récit en niveaux, musique 8bit, pixellisation des textes affichés et des images. Cette débauche d’artifices – que le film justifie en adoptant le point de vue d’Hikari, personnage féru de jeu vidéo – s’avère toutefois épuisante, au risque de faire perdre le fil des aventures des quatre ami.e.s.
Malgré tout, le singulier contraste entre l’exubérance de la forme et la dureté du fond retient l’attention. À la manière de Sono Sion, la jeune génération est ici décrite comme victime d’un monde extérieur devenu fou, ayant l’imaginaire pour seul refuge. L’apathie des quatre « petits zombies » apparaît dès lors moins comme la conséquence d’un traumatisme individuel que comme le fruit d’un contexte social. Tel que le révèle une série de flashbacks, la mort des parents est en effet le symbole terminal d’un certain délitement qui concerne la sphère familiale et plus largement toutes les relations sociales, de sorte que chaque institution (école, média) se révèle être un lieu d’oppression. Pour fuir ce carcan, la bande aborde la vie sous la forme d’un jeu qui, en faisant écran à la violence du réel, leur permet de l’observer à distance, révélant l’absurdité des conventions. C’est l’enjeu de la séquence des funérailles qui voit Hikari commenter en voix off la cérémonie pendant que sa famille joue maladroitement le jeu du rituel : le monde ludique fantasmé se superpose aux mécanismes de la comédie sociale et les bouscule dans un élan nihiliste.
Le jeu prend la forme d’une fuite en avant entrainant les quatre adolescents loin de la « bonne société », dans des lieux jugés peu recommandables (Love Hotel déserté, décharge habitée par une communauté de SDF) qui leur apparaissent comme des espaces de liberté. Cependant, si le jeu et l’imaginaire qui lui est associé représentent une forme d’échappatoire, la deuxième partie du film ressemble à un cauchemar technologico-médiatique : propulsés sous le feu des projecteurs par le buzz d’un morceau de rock improvisé, les quatre Zombies sont réintégrés à la machine sociale, matière à spectacle pour un public avide de sensations. Les personnages passent alors d’un lieu clos à l’autre, tandis que la multiplication des plans frontaux et le motif de l’aquarium témoignent de ce nouvel enfermement.
Et, si les quatre « zombies » font preuve d’une certaine maîtrise sur le cours du film en s’adressant régulièrement aux spectateurs, leur existence s’avère en réalité aux mains d’entrepreneurs du spectacle qui agissent hors champ. Ainsi, lorsqu’une émission de télévision diffuse un faux film de famille, simulant une image idyllique pour ces enfances avortées, le réel et le mensonge s’entremêlent au point qu’Hikari ne parvient plus très bien à les dissocier : son histoire la plus intime est dissoute dans le simulacre d’un monde d’écrans.
Il s’agit donc in fine pour la bande de retrouver le lien avec le monde par une autre voie, à l’écart de cette société aliénante et sans épaisseur. C’est du moins ce qu’indique la fin quelque peu convenue par le biais d’un curieux reset qui permet aux personnages de redécouvrir leurs affects en pleine nature. Un plan néanmoins interroge : devant le mont Fuji, Hikari déclare qu’il y a beaucoup de pixels dans la nature. L’affirmation est certes contredite par la réponse rationnelle de ses camarades – « non, la nature n’a de pixels » – mais face à ces images standardisées de la nature comme teintée d’un filtre Instagram le doute subsiste : un retour à un monde antérieur, « authentique et naturel », qui permettrait à chacun.e de s’épanouir librement, est-il réellement possible ? L’authenticité ici retrouvée ne serait-elle pas qu’un autre moment du faux ? En faisant dire à l’un des personnages qu’il ne ressent pas d’émotion, le film maintient la distance jusqu’à la fin, témoigne d’un impossible retour à une position spontanée. Impossible et d’ailleurs peut-être pas souhaitable, car c’est bien en ayant conscience de l’artificialité que les personnages parviennent à la surmonter. Des villes modernes aux paysages réifiés, l’intérêt de Little Zombies tient peut-être à cette image du Japon comme un espace illusoire traversé par une bande de jeunes au regard incrédule.