Haut lieu d’apprentissage pratique, le département de cinéma de Paris 8 est également un espace de création d’où sortent, chaque année, des dizaines de films de tout acabit (dans la veine « usine à rêve général », voir le texte que nous avait donné des étudiants mobilisés sur leurs ciné-tracts). Il était tout naturel qu’il se fasse aussi havre pour la diffusion de ces films économiquement trop fragiles pour se faire bien voir. C’est le cas depuis trois ans grâce au Prix Serge Daney. Nous publions ici un texte des organisateurs de l’événement ainsi qu’un bref entretien avec le réalisateur d’un des films primés, Houssem Bokhari.
Le Prix du film étudiant Serge Daney est né en 2014 et a tout de suite été pensé comme une passerelle entre des critiques de renom et de jeunes cinéastes, dans l’idée daneyenne de la passation. Son concours est ouvert à tous les films d’une vingtaine de minutes réalisés par des étudiants de cinéma, qu’ils soient dans le public ou le privé, en France ou à l’étranger. Chaque année, l’équipe coordinatrice, composée de chercheurs et de réalisateurs enseignant tous au département cinéma de l’Université Paris 8, a choisi un sujet en rapport avec les thématiques chères à Serge Daney : la marche (2014), le voyage (2015) et enfin, cette année, le désir. Cette année, plus de trois cents films provenant d’une dizaine de pays ont candidaté pour la sélection.
Le jury de la critique était pour cette édition composé d’Alain Bergala, Catherine Ermakoff, Serge Le Péron, Patrice Rollet et Charles Tesson. Il décernait le Grand Prix Serge Daney (un atelier auprès du GREC pour développer un projet de film personnel) et le Prix du jury (les œuvres complètes de Serge Daney chez P.O.L.). Le jury de la diffusion, lui, garantissait aux films qu’il primait une projection en salles.
Cette année, Nana de Marie Ceccon a obtenu le Grand Prix Serge Daney, les jurés ayant été saisis par la manière dont la jeune cinéaste « racontait la mort d’un proche comme une catastrophe planétaire ». La mention spéciale a été attribuée à Les Yeux d’Héloïse de Nicolas Lincy et deux films d’animation ont obtenu le prix de la diffusion : Madama Butterfly de Lea Najjar et Andrea Kessler et Papiers d’Arménie d’Ornella Macchia. Tous ces films, ainsi que le Prix du jury, seront projetés à la rentrée à la Cinémathèque française lors d’une séance gratuite.
Houssem Bokhari a reçu le Prix du jury pour Mahi ou la fureur de vivre. Lors de la remise des prix, le jury a partagé son émotion face à ce film « plein de grâce et d’élégance », un film qui, selon Serge Le Péron, raconte « le désir fou de vivre le cinéma corporellement, d’en faire partie », un film « sur le vrai amour du cinéma, qui est au-delà de la cinéphilie ou en deçà, mais qui est extrêmement fort, violent ». Il met en scène Mahi, aspirant acteur qui, croisé au milieu d’un carrefour, prend la parole dès le début du film pour ne plus la lâcher. Saluant le fait que, avec des moyens modestes, le cinéaste ait fait de nécessité vertu, Patrice Rollet a aussi souligné combien ce personnage habité par un film classique et un acteur américain, James Dean, aurait plu à Serge Daney.
*
Débordements : Le générique indique que Mahi ou la fureur de vivre a été réalisé dans le cadre d’un plus vaste projet, les “labos d’Alger”. De quoi s’agit-il ?
Houssem Bokhrani : D’une formation au cinéma documentaire organisée par l’Institut Français d’Algers, en partenariat avec le festival Premiers Plans d’Angers. Mise sur pied par Pénélope Lamoureux et Karim Moussaoui, elle encadre un atelier de deux semaines, au cours duquel chacun doit réaliser un film tout en occupant un poste à chaque fois différent sur le film des autres. J’y avais participé en 2015 sous l’égide de Xavier Liébard et Arnaud Martin.
D. : Quand vous avez travaillé avec Mahi, savait-il déjà que ces plans serviraient à faire un film ? Comment est venue l’idée de se centrer sur La fureur de vivre ?
H. B. : Le premier plan du film est aussi la première fois où je le rencontre, et en quelque sorte le spectateur fait connaissance avec lui en même temps que moi. En faisant mes repérages le quartier de Messonnier, je suis passé à côté de Mahi en pleine conversation avec un autre homme, à propos d’une salle de cinéma à deux pas, le cinéma Africa. J’étais intrigué, je leur ai parlé puis j’ai demandé à Mahi si je pouvais filmer leur discussion devant la salle de cinéma avec mon téléphone portable. Il a tout de suite accepté. C’est alors qu’il m’a parlé de lui, de ses rêves, et j’ai tout de suite senti qu’il devait être le sujet du film. J’ai laissé tomber mon projet initial sur les salles de cinéma puisque finalement c’est à travers lui, en tant que spectateur, que passe le cinéma – il s’agit finalement de sujets assez voisins. Quant à James Dean, c’est en raison du rapport très intime qu’entretient Mahi avec lui, dans lequel il a réellement l’impression de se reconnaître. Et puis le titre La fureur de vivre lui colle si bien !