“Qu’est-ce donc qui me met le plus radicalement en cause ? Non pas mon rapport à moi-même comme fini ou comme conscience d’être à la mort ou pour la mort, mais ma présence à autrui en tant que celui-ci s’absente en mourant. Me maintenir présent dans la proximité d’autrui qui s’éloigne définitivement en mourant, prendre sur moi la mort d’autrui comme la seule mort qui me concerne, voilà ce qui me met hors de moi et est la seule séparation qui puisse m’ouvrir, dans son impossibilité, à l’Ouvert d’une communauté.
[…]
Il ne saurait y avoir de communauté si n’était commun l’événement premier et dernier qui en chacun cesse de pouvoir l’être (naissance, mort). A quoi prétend la communauté dans son obstination à ne garder « de toi et de moi » que des relations d’asymétrie qui suspendent le tutoiement ? Pourquoi le rapport de transcendance qui s’introduit avec elle déplace-t-il l’autorité, l’unité, l’intériorité en les confrontant avec l’exigence du dehors qui est sa région non dirigeante ? Que dit-elle si elle se laisse aller à parler à partir de ses limites en répétant le discours sur le mourir : « On ne meurt pas seul, et, s’il est humainement si nécessaire d’être le prochain de celui qui meurt, c’est, quoique d’une manière dérisoire, pour partager les rôles et retenir sur sa pente, par la plus douce des interdictions, celui qui mourant se heurte à l’impossibilité de mourir au présent. Ne meurs pas maintenant ; qu’il n’y ait pas de maintenant pour mourir. « Ne pas », ultime parole, la défense qui se fait plainte, le négatif balbutiant : ne pas – tu mourras » (Le pas au-delà) ? “
La communauté inavouable, Maurice Blanchot