ORAGE ET CHAT
J’ai remarqué que, dans la nature, les phénomènes tenaient souvent leurs promesses. Par exemple : l’orage est souvent généreux en éclairs, ou si ton chat d’appartement sortait une journée dans un parc, il reviendrait sûrement avec un oiseau mort dans la gueule. Est-ce que The Fantastic Four: First Steps tient sa promesse ? Il semblerait que oui.
AVANT-PROPOS
Sue est allongée, visiblement morte, pendant que Reed tient Franklin, le divin enfant – tout est censé basculer dans l’émotion. Pourtant, le compositing est cruel : contours flous, absence de contact réel entre les mains de Pedro Pascal et l’enfant. Ce drôle de sentiment de voir un bébé tenu par des mains technico-divines, hors de la diégèse. Aucune ombre naturelle. Aucune interaction tangible. Pourquoi ?
À ce moment-là, le son topique de la salle de cinéma – dans laquelle je me trouve – est constitué de rires, parfois nerveux.
1. SPED UP
Des astronautes ingenieux.ses, explorant l’univers, sont exposé.es à des rayons cosmiques. Ainsi, Reed devient extensible comme un élastique. Sue peut se rendre invisible. Johnny se transforme en torche humaine. Ben se minéralise.
Une fois l’origin story balayée, quatre ans plus tard, l’enjeu dramatique majeur semble s’annoncer : un être argenté déchire les cieux avec sa planche de surf, pour annoncer aux habitants de la Terre que leur planète est sur le point d’être dévorée par une entité cosmique. C’est ainsi que, quelques séquences et plans plus tard, les quatre héros se retrouvent dans le vaisseau du Dieu en question, face à un dilemme moral : sauver la planète de sa faim dévorante… ou livrer le nourrisson christique. La seule solution : téléporter la planète entière – car il est bien entendu hors de question de sacrifier l’enfant. Plus une opération logistique – pour Reed – qu’un basculement narratif.
Sonnant comme une apparition unique, presque spectrale, l’origin story fonctionne comme hapax. Les informations essentielles – 1) Qui sont les héros ? 2) Comment obtiennent-ils leurs pouvoirs ? et 3) Comment deviennent-ils des icônes – sont livrés une seule fois, avec une telle vitesse que toute nuance disparaît du récit. Cela relève d’un jusqu’au-boutisme du résumé : comme si chaque fragment de ce condensé était une divinité vénérée par les producteur.trices ; comme si seul le résumé comptait, au point d’outrepasser l’histoire elle-même et de fonctionner comme un organe autonome. Mais, détaché de son corps narratif, ce résumé se condamne à dépérir – tel un foie s’extrayant de sa chair pour s’affranchir, et qui, privé de son organisme, se meurt.
2. SPED UP II
À l’instar de certains comics, l’enjeu majeur est expédié en quelques pages-filmiques. Une fois ce moment passé, il nous reste encore une heure avant l’happy end. Difficile alors de ne pas se questionner : Galactus serait-il un leurre ? N’est-il pas plutôt un faux antagoniste, destiné à être remplacé par un autre ? Mais aucune idée extravagante ne vient relayer ce grand vilain. Galactus EST l’antagoniste du film : un verbe muet, un catalyseur abstrait, un simple prétexte.
L’enjeu arrive tellement tôt, de manière si lourde qu’il est difficile de ne pas se questionner. Certes, nous sommes devant un film-administratif, film-logiciel. Ce qui veut dire que nous aurions pu nous attendre à ce que l’enjeu dramatique majeur soit installé aussi fugacement. Le problème, selon moi, est dans la manière dont il est montré et, de facto, cadré. La représentation visuelle du problème n’est pas loquace. Elle est rêche ou agaçante.
3. ÉQUATION
En 1975, Umberto Eco imagine dans son texte satirique d’anticipation Do your movie yourself, un futur où l’on peut acheter un « modèle d’intrigue », le squelette d’une histoire que l’on peut remplir à partir d’une large sélection de variantes ; avec un seul modèle et un paquet de variantes d’accompagnement, on peut produire, 1 5, 74 1 films d’Antonioni :
« AnX emptyYlotZ. SheK walks awayN.
Variants Key
● x Two, three, an infinity of. An enclosure of. A maze of. ● y Empty. As far as the eye can see. With visibility limited due to the sun’s glare. Foggy. Blockedby wire-mesh fence. Radioactive. Distorted by wide-angle lens.
● z An island. City. Superhighway cloverleaf. McDonald’s. Subway station. Oil field. Levit town. World Trade Center. Stockpile of pipes. Scaffolding. Car cemetery. Factory area on Sun day. Expo after closing. Space center on Labor Day. UCLA campus during student protest in Washington. JFK airport.
● k He. Both he and she.
● n Remains there. Toys for a long time with an object. Starts to leave, then stops, puzzled, comes back a couple of paces, then goes off again. Doesn’t go away, but the camera dollies back. Looks at the camera without any expression as he touches her scarf.»
Ici, dans la salle, à la manière de l’idée d’Eco, une équation semble se déployer sous nos yeux : Sue + Red = enfant DIVIN = GALACTUS = Terre OU enfant DIVIN ? = MÉGA une idée MÉGAlomaniaque = T téléportation = HE Happy End x MID-CREDITS SCENES = INTRONISATION.
MÉGA = T = HE x MID-CREDITS SCENES = AVENGERS DOOMSDAY
Finalement, First Steps est à l’image de la rapidité à laquelle il s’est fabriqué : 85 jours de tournage en 2024, reshoots en mai 2025 et 8 mois de post-production, de décembre 2024 à juillet 2025.
4. J’EXISTE SEULEMENT POUR INTRONISER (SPOILER)
2024. Comic-Con de San Diego. Hall H. Marvel Studios dévoile Avengers: Doomsday. Climax du panel : Robert Downey Jr. y est révélé… non plus comme Iron Man, mais comme Docteur Doom.
2025. Dans une salle de cinéma. Costume, une capuche. De dos. Une main tendue vers Franklin Richards. DOOM est enfin intronisé dans le MCU.
Des millions de dollars. Un film d’une durée de 1 heure et 55 minutes. Un compositing cruel pour des contours flous, pour une absence de contact réel entre les mains de Pedro Pascal/Reed et le divin enfant. Des héros, la menace Galactus. CUT.
First Steps n’est pas un film, c’est un vestibule. Il n’existe que pour introniser Robert Downey Jr..
ORAGE + CHAT J’ai remarqué que, dans la nature, les phénomènes tenaient souvent leurs promesses. Par exemple : l’orage est souvent généreux en éclairs, ou si ton chat d’appartement sortait une journée dans un parc, il reviendrait sûrement avec un oiseau mort dans la gueule. Est-ce que The Fantastic Four: First Steps tient sa promesse ? Si la promesse était d’occuper 115 minutes pour introniser un personnage, alors oui.