Comme le feu prend place dans les contrées reculées des forêts canadiennes, où deux vieux amis se retrouvent. Tous deux cinéastes, leurs carrières ont suivi des cours différents : le premier, Blake, s’est détourné du monde pour réaliser des films documentaires sur support argentique, quand le second, Albert, écrit les scénarios de séries pour enfants. Jeff, le meilleur ami du fils d’Albert, est invité avec eux. Admirateur du cinéma de Blake, il assiste à la montée des tensions et plonge lui-même dans cette spirale.
Débordements : Comment avez-vous composé le casting de Comme le feu ? Il nous donne l’impression d’être composé par binômes : un couple de Français, un groupe de jeunes, un groupe de Québécois et le duo entre deux cinéastes joués par Arieh Worthalter et Paul Ahmarani.
Philippe Lesage : Ça a été un processus hyper long. Le casting a duré presque un an et demi. J’allais tourner le film avec un casting complètement différent et j’ai repoussé volontairement le tournage parce que j’avais trop de doutes. Ça a été la meilleure décision de ma vie parce que j’ai rencontré Arieh. Au début, je me disais que son personnage, Blake, ramenait à une mythologie très nord-américaine : l’artiste proche de la nature. Je pensais à Ernest Hemingway, à John Huston, à Pierre Perrault, avec évidemment un peu de Bergman. Il y avait très peu de gens qui pouvaient l’incarner : un coureur des bois avec une fibre artistique. Il y a beaucoup de Jean-Claude Lauzon dans ce personnage : pour te faire l’histoire c’est un peu un enfant prodige du cinéma québécois quand j’étais jeune. Il est allé en Compétition officielle à Cannes pour son deuxième film et il n’a pas reçu de prix. Il l’a très mal pris et il s’est mis à faire de la pub et abandonner le cinéma. Il a mis tout son fric dans ses grands voyages de chasse de la pêche, il s’est même acheté un avion. Il a fini par se tuer tragiquement en pilotant son hydravion lors d’un voyage de pêche dans le Grand Nord québécois.
J’ai vu tous les jeunes acteurs et actrices du Québec pour trouver Jeff et Aliocha. J’ai fait jouer les candidats ensemble. Pendant les castings il y a toujours plein d’accidents : on perd un comédien ou une comédienne qu’on avait en tête pour une raison de calendrier, par exemple. Finalement, j’ai élargi mon spectre pour Blake, j’ai cherché tant du côté des anglophones canadiens ou américains parlant français que du côté de l’Europe. Ça passe vite mais Blake a des origines acadiennes, son père vient de Louisiane. Mêlées évidemment à des origines européennes. C’est un petit défi de plus parce qu’il fallait que ça marche pour le public québécois, que l’on croie à cet Européen passionné de pêche à la mouche qui vit maintenant isolé dans sa cabane au Canada.
D. : Le choix d’Arieh Worthalter pour incarner Blake permet de creuser l’écart avec le personnage de Paul Ahmarani. Ils n’ont pas le même accent et Blake semble plus proche des Français.
P. L. : On sent aussi que Blake a une plus grande réputation qu’Albert. Il a un réseau international dont Albert n’a pas vraiment profité.
D. : Le casting au complet donne aussi l’effet d’une troupe de théâtre. Les personnages sont rarement isolés les uns des autres. Lorsqu’ils dansent sur la chanson Rock Lobster, les personnages qui jusqu’alors étaient opposés se réunissent.
P. L. : Je mets mes personnages dans un contexte dans lequel je me sentirais extrêmement mal. Quand je passe plus d’une nuit avec un groupe de gens sous le même toit, je me sens mal au bout de 24 heures. Ça me replonge dans l’inconfort de l’adolescence et du groupe. J’ai un rapport ambivalent à la bande parce que sur un tournage, par exemple, je me sens plutôt bien : les rapports sont clairement définis. Nous avons tous expérimenté un jour cette étrange sensation de se retrouver au sein d’un groupe et de ne pas se sentir à sa place. Et là, on peut se mettre à douter de soi-même, ce qui est terrible. Si notre vulnérabilité a le malheur de paraître, alors quelqu’un quelque part s’en rendra compte et vous le fera peut-être payer. Par une remarque blessante, une plaisanterie humiliante, ou une attaque en règle.
D. : Dans le film, se créent des sortes d’alliances de circonstance entre les personnages donnant lieu à des combinaisons sans cesse transformées. La famille se réunit lorsqu’Albert est humilié par Blake, par exemple. Au début du film, l’amitié adolescente de Jeff et Max se voit confrontée à l’amitié déliquescente d’Albert et Blake mais ce point de départ devient une compétition entre Jeff et Blake.
P. L. : Je me sens très libre dans l’écriture. Je pars avec une idée des personnages, d’une atmosphère, et je me laisse transporter. J’essaie de viser là où ça fait mal, je ne m’épargne jamais, au contraire, je puise au creux de mes blessures, de mes failles, de mes peurs. Je ne suis pas de plan, je me moque de ce qu’on nous apprend sur la structure d’un scénario, je me laisse naturellement porter par le film que j’ai envie de voir. Ici, je suis parti d’une histoire que mon grand frère (Jean-François Lesage, documentariste) a vécue : jeune, il a été invité quelques jours chez un grand cinéaste québécois. Plus jeune, j’ai eu besoin de mentors, de la validation d’adultes que j’admirais. Mais jusqu’à quel point peut-on faire confiance à ces modèles ? Comment faire confiance à un mentor qui désire la même fille ou le même garçon que toi ? On a que regarder les guerres dans l’histoire : ce sont des hommes vieillissants qui envoient des jeunes hommes se faire tuer. Se débarrassant ainsi d’une certaine forme de rivalité sexuelle, symbolique.
D. : Des vieux hommes riches qui envoient des jeunes hommes pauvres…
P. L. : Exactement. Ça a toujours été comme ça. Au début, Blake est flatté de constater que Jeff a de l’admiration pour lui. Mais en même temps il se rend compte que Blake n’a pas grand-chose à lui donner.
D. : Comme le feu se construit autour de trois longs plans séquences pour trois longues scènes de dîner. Mais leur mise en scène n’est pas systématique : le premier plan séquence est fixe, le deuxième suit des mouvements de caméra circulaires et le troisième est un travelling vertical. Ces plans séquences renvoient à l’état des relations : lorsque la caméra est fixe, Albert et Blake s’accaparent la parole. Comment avez-vous réfléchi le rapport de ces plans séquences à la parole filmée ? Quelles indications avez-vous donné aux acteurs qui restent silencieux pendant une grande partie de ces séquences, tout en étant filmés ?
P. L. : L’éclairage change un petit peu. Il devient très cru et éclairé. Ces scènes de repas constituent les plats de résistance du film. Il fallait trouver l’équilibre entre le respect du texte et le côté naturel et spontanée que j’attendais de ces scènes. Je viens du documentaire d’observation. En montage, il fallait alors se débarrasser de tous les moments où les personnages réels semblaient avoir conscience de la caméra, à moins que nous décidions de volontairement briser le quatrième mur et interagir avec eux pendant une scène. Comme réalisateur, je suis un peu allergique à un certain ton de jeu très affecté. Dans tous mes films, j’essaie de briser ça. Ça vient du fait que lorsqu’on demande aux acteurs de jouer, les premières idées qui leur passent par la tête sont souvent imprégnées de stéréotypes. Ils puisent dans un répertoire d’intentions qu’ils connaissent déjà. C’est normal et c’est exactement la même chose qui se produit pendant l’écriture. Il faut d’abord apprendre à se débarrasser de nos influences, de ces clichés qui nous assaillent de toute part, et de nos intentions.
D. : Le choix du plan séquence c’est un peu celui de travailler un nouveau jeu…
P. L. : Il n’y a pas de droit à l’erreur. On ne peut rien sauver au montage. Ça représente des scènes de douze minutes où tout doit être juste au sein du plan. Ça représente tout un défi. La première chose que je leur dis est : « Faites ce que vous voulez du texte ». J’écris mes scénarios dans un français plutôt neutre : il n’y a pas beaucoup de québéquismes par exemple, à part ceux que j’ai intégrés dans mon langage sans m’en rendre compte. Il y avait par contre des didascalies du genre : « Tout le monde parle en même temps ». Ce sont ces moments-là qui m’intéressent le plus, ce qu’un autre peut-être enverrait à la poubelle au montage. Qu’importe si une réplique est inaudible : on devient témoin d’un vrai dîner avec de vraies personnes qui se coupent sans cesse la parole ou qui ne finissent pas toujours leurs phrases. Le plan séquence permet à tout le monde de rester sur le qui-vive, et surtout de surprendre. J’invite mes acteurs à se lever de table s’ils en ont envie, à sortir du texte ou même du cadre pour provoquer quelque chose, à changer l’ordre des répliques et bien sûr à les étoffer. Mais j’hésite à parler d’improvisation parce que c’est du travail, rigoureux et encadré, et qui nécessite un grand nombre de prises. Dans les meilleurs moments, quelque chose de magique peut se produire, on oublie même qu’on est en train de tourner une scène de film. C’est ce que je recherche le plus : ces moments où nous atteignons un tel niveau de concentration et d’envoûtement qui nous fait oublier la technique, le temps qui passe, et soi-même. J’aime beaucoup l’aphorisme taoïste qui dit : « Le bon nageur est celui qui oublie qu’il est dans l’eau ! ».
Ce qui est étonnant c’est que les acteurs ont eu l’impression d’avoir plus improvisé qu’en réalité. Quand je reviens au texte, je me rends compte qu’ils ont déplacé des dialogues, qu’ils ont changé la structure de la scène mais ils disent certaines choses et oublient qu’elles étaient écrites dans le scénario. Eux-mêmes oublient que certaines choses sont écrites dans un scénario. Dans un débat après une projection à Berlin, Paul Ahmarani disait que je leur laissais beaucoup de liberté mais un autre acteur a dit que ce n’était pas vraiment de l’improvisation.
Je ne pense pas que c’était difficile pour les acteurs de ne rien dire. Ils restaient dans leur personnage et ils faisaient des choses spontanément : par exemple, quelqu’un se lève et sert le café pour dissiper le malaise. Certains éléments ont surpris tout le monde. Nous avons travaillé deux jours par souper et on a fait quinze ou seize prises par repas et elles changeaient à chaque fois. Pour le premier dîner, la première prise était extrêmement violente et les autres moins. Chaque acteur est différent. Certains demandent qu’on les rassure constamment, d’autres ont à peine besoin d’être dirigés. Arieh se transforme complètement d’un film à l’autre, c’est un acteur très créatif qui va toujours proposer quelque chose de différent de prises en prises. Dans la scène où il va voir Aliocha dans sa chambre après le dernier dîner, j’avais 30 variations de la même scène au montage. Soit que je lui proposais un truc différent à chaque prise, soit qu’il me disait vouloir tenter quelque chose à son tour. J’ai vu Le Procès Goldman après le tournage et je trouve que ça n’a rien à voir. C’est un acteur caméléon : il me fait penser à Michael Fassbender à ses débuts. De film en film, il se transforme complètement, et on le reconnait à peine.
D. : Vous parliez de Pierre Perrault. Une partie du film, centrée autour de la chasse à l’orignal, rappelle beaucoup La Bête lumineuse. Les deux films se ressemblent aussi dans une mise en scène de la masculinité. Entre Blake et Albert, se joue une différence de virilité.
P. L. : Albert est plus transparent aussi. Ce sont deux formes très différentes d’égocentrisme. Ce sont deux formes très différentes d’égocentrisme. La scène où Albert dépèce un lapin est une citation de La Bête lumineuse. J’avais été bouleversé par le documentaire de Perrault. Le spectateur est appelé à prendre position face au personnage de Stéphane-Albert qui est à la fois un être excessif, dans sa générosité, sa bonté, son égocentrisme, mais aussi incapable de comprendre les codes du groupe. Il est lourd, insupportable, mais aussi obstiné dans l’affirmation de sa différence, ce qui ne l’aide pas. Il devient vite la risée du groupe, son bouc-émissaire, on peut soit l’accuser d’en être responsable ou s’identifier douloureusement à lui. Quand j’ai vu La Bête lumineuse, je me suis plutôt identifié à lui, il me rappelait certains moments de mon adolescence où j’étais entouré de ces mauvaises personnes qui font douter de vous. Il y a donc du Stéphane-Albert dans Albert.
D. : Pour prolonger sur la masculinité, celle de Blake passe par l’humiliation d’Albert.
P. L. : J’hésite à parler de masculinité toxique parce que c’est un terme qui finit par ne plus vouloir rien à dire à force d’être répété sur toutes les tribunes. Mais dans tous mes films il y a une critique de la masculinité et du patriarcat. Dans Genèse, les hommes plus âgés sont là pour détruire, casser la jeunesse. J’ai tout fait dans le film pour ne pas trop diaboliser ces personnages, pour que le spectateur se fasse sa propre idée. Je déteste les films où l’on sent que le réalisateur prend de haut ses personnages, les juge, ou nous force à séparer les bons des méchants. Tout le monde a ses torts dans le film. Et ses qualités. Mais est-ce que je suis plus dur et critique envers les hommes parce que j’en suis un ? Oui, et je l’assume. Est-ce qu’il y a plein de choses dans la masculinité que je trouve déplorables ? Oui. Je pense qu’il y a notamment quelque chose d’intrinsèquement destructeur. Albert a déjà eu un ascendant sur Blake, à la fois comme ancien professeur et comme scénariste. Pour Blake, ses vieux instincts archaïques veulent sans doute tuer cette figure d’autorité. Comme Jeff finit par vouloir littéralement tuer Blake. Le groupe vient exacerber tout ça. Albert est dans une position plus vulnérable, il n’a pas l’avantage du territoire, ni celle d’être soutenu par un clan. Il est de plus accompagné par ses enfants, ce qui le met dans une situation encore plus fragile. Ses enfants le voient de plus en plus s’humilier. Il n’y a rien de plus terrible que d’avoir honte de ses parents dans un contexte social et pour le père de sentir que ses enfants ont honte de lui.
D. : Certains personnages, à l’instar de celui de Laurent Lucas, restent secondaires voire muets pendant tout le film jusqu’à réapparaître plus fortement lors de certaines séquences. De même, le rêve lors duquel Irène Jacob agresse Jeff lui donne le premier rôle alors que la situation les rendait plutôt spectateurs.
P. L. : Il y a une subtilité dans le rêve : Irène Jacob se transforme en Aliocha. Quand elle lui fout des baffes, c’est Aurélia qui a pris le relais. On a fait un des plus vieux trucages, ce qu’on appelle dans le jargon un cow-boy ou Texas switch : Irène est rentrée dans le cadre puis Aurélia s’est substituée à elle sans qu’on s’en rende compte. Jeff s’auto-punit par ce rêve. C’est l’expression de son désir d’être puni (ou de castration !) pour se libérer de sa culpabilité à l’égard d’Aliocha et du personnage d’Irène. Indirectement, c’est quand même par sa faute que tout finit par déraper sérieusement pendant ce séjour.
D. : Il y a une sorte de violence symbolique qui s’exerce contre lui. En ce sens, il se lie à Blake.
P. L. : Tout à fait. Mais je ne cherche pas non plus à excuser toutes les bêtises qu’il fait dans le film !
D. : Il ne les a pas faites pour de vrai !
P. L. : C’est comme la gifle qu’il donne à Aliocha. C’est un geste odieux et stupide qu’il commet, mais on comprend comment il en arrive le poser. C’est l’enfant confus dans son grand corps d’ado qui prend le dessus ici. On peut se dire qu’il n’a que 16 ans, que le cerveau n’est pas encore tout à fait développé chez un garçon à cet âge-là, ce qui ne veut pas dire que les adultes autour de lui ont plus de maturité. Il y a quelque chose de mal dégrossi chez Jeff, un petit côté Lennie dans Des souris et des hommes de Steinbeck (rires) que Noah Parker a très bien intégré. Mais il va apprendre de ses erreurs.
D. : L’une des dernières séquences du film – une scène de kayak et de chasse qui tourne mal – rappelle le sens épique de certains grands films américains : on pense à Michael Cimino ou Anthony Mann.
P. L. : Et puis Délivrance. Ce sont les pistes que j’ai données à Balthazar Lab. Pour la photo, on s’est inspiré du travail Vilmos Zsigmond. On a travaillé avec des vieux objectifs Panavision des années 70 avec lesquels on a peut-être tourné l’un de ses films. Je tenais à ce que la forêt sans fin, ses lacs placides, ses rivières tumultueuses, s’inscrivent totalement dans l’expérience du film. D’où ce choix du format scope, des objectifs caméra, et de revisiter avant le tournage, mes collaborateurs et moi, des films du passé où la nature me semble avoir été captée dans toute sa splendeur et sa violence. Une certaine nostalgie du cinéma des années 70 a teinté le processus, dès l’écriture du scénario.
D. : Au début de l’entretien, vous parliez du rapport à la mythologie nord-américaine dans la façon dont elle construit la nature. Dans cette séquence, on quitte la dimension théâtrale pour quelque chose de plus romanesque.
P. L. : Je ne voulais pas faire un huis clos, et je rejette d’emblée la dimension théâtrale dont vous parlez. Il n’y a rien de théâtral dans le plan séquence, bien au contraire. C’est le champ contre-champ qui s’inscrit dans la convention du théâtre filmé et se rapproche de la mauvaise télé. Il n’y a rien de moins théâtral à notre époque que le plan fixe, par exemple. C’est un geste purement cinématographique qui interpelle les surprises, la spontanéité, les accidents, la liberté, tout ce que le théâtre filmé ne ferait pas. Ces scènes de dîners s’inscrivent autant dans le cinéma que ces scènes de nature.
D. : Une des manières de sortir du théâtre filmé consiste aussi à bien penser le découpage et le rapport à l’espace filmique. C’est le cas dans cette séquence où le découpage de l’espace concrétise les conflits au sein du groupe.
P. L. : Je ne veux pas tomber dans les clichés comme « La nature a le dernier mot. » Mais c’est un peu vrai. Il y a un plan au début du film où Aliocha s’arrête au bord de la route et découvre une scierie en plein milieu de cette forêt vierge. Au Canada, des routes traversent cette forêt immense qui semble intacte, mais dès qu’on s’en éloigne, on découvre que ces arbres à perte de vue sont en train de se faire raser par les hommes. Mais de la route, on ne s’en rend pas compte, les apparences sont sauvées. Quand les hommes ne sont pas en train de tout détruire à ciel ouvert, ils le font en cachette. Blake joue au coureur des bois, il se met en scène, puis il finit par mettre tout le monde en danger en relâchant la bande dans la nature.
D. : C’est le lien qu’il développe avec Barney, l’un de ses nouveaux amis.
P. L. : Quand il présente Barney comme son meilleur ami, il y a une forme de provocation dirigée contre Albert, l’urbain névrosé. Il veut montrer qu’il s’entend bien avec le vrai monde comme on dit au Québec, les gars de bois, les gens concrets, ceux qui semblent vivre en fusion avec la nature. C’est une posture, évidemment. Car cette communion avec la nature est-elle vraiment possible ? Je suis convaincu que Blake va finir par se lasser et quitter cette forêt comme ses nouveaux amis.
D. : La musique au début du film s’oppose au son direct et à la parole. Le premier plan, à l’intérieur de la voiture, est accompagné d’une musique extra-diégétique qui s’interrompt après un cut. Le son direct est par ailleurs pris depuis la caméra et les personnages, éloignés, ne sont audibles que quand ils s’en approchent. À la fin du film, Aliocha va chanter devant un feu de cheminée, réconciliant le son direct et la musique extra-diégétique. Était-ce un moyen de terminer le film sur une bonne note ?
P. L. : Pour moi, c’était un moyen pour elle de s’exprimer et de dire : j’aimerais tant être ailleurs (dans un ice cream parlour comme disent les paroles de cette magnifique chanson de John Grant) ! La musique est indissociable de mon cinéma, mais n’est jamais utilisée pour guider le spectateur. Elle n’est pas là pour le prendre par la main et lui indiquer qu’ici il faut être triste et là apeuré, etc. Elle fait partie de mes films comme elle a fait partie de mon enfance et de mon adolescence comme trames sonores de ma vie sentimentale et affective. Aujourd’hui, je n’arrive plus à écouter de la musique sans penser à autre chose qu’au prochain film. C’est ma plus grande source d’inspiration. Et j’en écoute toujours autant.