En Polynésie, vers 1930. La jeune Reri a été déclarée vierge sacrée, mise à l’écart de l’autre sexe. Mais elle a un amoureux, Matahi. Transgressant le tabou édicté par l’ordre social et religieux, refusant le joug de cet ordre « moral », ils fuient ensemble d’île en île, traqués par le redoutable émissaire du roi. Celui-ci parvient finalement à les rejoindre. Il oblige alors Reri à embarquer dans son voilier, tandis que Matahi rentre de pêcher l’huître perlière.
Belle allégorie, en plan rapproché au fort impact, de la « descente en enfer » subie par Reri, soumise à la rude mainmise patriarcale, quand elle doit s’enfoncer dans la cale du voilier, sombre cellule où elle va être comme emprisonnée.
Le bateau vogue vers la passe permettant de quitter l’atoll. Matahi, ayant trouvé le mot d’adieu laissé par Reri, se lance à sa poursuite. Il traverse à la nage le lagon, puis court pour franchir la bande de galets entourant l’île, replonge et nage de toutes ses forces parmi les puissantes vagues océanes dans l’espoir de rattraper le voilier.
Tout ceci au fil d’un découpage alterné entre l’embarcation et le jeune homme qui en dramatise l’enjeu, spatialement et temporellement – de même que la musique, menaçante : emporté par l’amour, l’intrépide Matahi parviendra-t-il, malgré le danger, à rejoindre et libérer Reri ? À l’encontre, alors, de la terrible séparation qui leur est infligée par une règle sociale implacable.
Constatant que le nageur se rapproche, l’émissaire royal tire par dessus la tête de Reri le sombre capot qui obture l’entrée de la cale du voilier. Recluse, elle ne pourra pas voir que son amoureux risque tout pour elle, ni la suite des événements.
Nouvelle allégorie, derechef en plan rapproché fortement impactant, qui montre la dure loi patriarcale. La jeune femme passe littéralement à la trappe. Funeste destin, matérialisé sous nos yeux par l’aplat noir du capot qui envahit l’écran en effaçant Reri.
Cet effet de cache, et sa noirceur, signale aussi que l’émissaire est prêt à commettre le pire, tel un criminel masquant son forfait.
Matahi parvient à rejoindre le bateau, saisit un cordage qui traîne dans l’eau. Mais l’émissaire coupe aussitôt la corde.
Troisième allégorie, toujours en plan serré puissamment saisissant, qui donne à voir la terrifiante ignominie de l’ordre social. Car en tranchant, littéralement ici encore, le lien entre les amants, celui-ci les condamne à mort – le jeune homme encourant la noyade, et la jeune femme la réclusion.
Le nageur s’épuise, tandis que le bateau s’éloigne. Bientôt, les flots noirâtres vont engloutir Matahi, alors que le voilier prend le large.
Retour à un découpage alterné, qui assure une forte dramatisation spatiale et temporelle, suivant cette fois un rythme assez lent, au fil de l’épuisement fatidique du jeune homme et de l’éloignement inique de la jeune femme. Avec une musique ralentie, lugubre, écho à la tragédie qui se joue. Dans une noirceur mortuaire où sombre (stricto sensu) l’amant, et avec lui l’amour.
Suprême splendeur formelle : ce découpage s’opère depuis un point de vue bien précis et fort signifiant. La caméra ne se tient ni auprès du nageur, ni à proximité du voilier. Elle est en effet restée au dernier point de l’espace partagé par l’un et l’autre, autrement dit par Matahi et Reri – ce qui rend d’autant plus prégnante leur inacceptable et définitive séparation, imposée par un régime patriarcal inhumain.
Creuser l’espace, et le temps. Car importe aussi fortement la durée du calvaire subi par nos amoureux, que partage ô combien le spectateur, soumis avec eux à rude épreuve. Longue et poignante empathie, face à l’horreur sociale sévissant jusqu’au bout du bout.