« — Mais ce n’est qu’un paradoxe ! dit le Rédacteur en chef.
— Je ne puis pas discuter ce soir. Je veux bien vous raconter l’histoire, mais non pas la discuter. Je vais, continua-t-il, vous faire le récit de ce qui m’est arrivé, si vous y tenez, mais il faudra vous abstenir de m’interrompre. J’ai besoin de raconter, absolument. »
H. G. Wells, La Machine à explorer le temps, 1895, (Chapitre III « L’explorateur revient »).
« Ma complainte n’a pas eu de commencement,
Que je sache, et n’aura nulle fin ; autrement,
Je serais l’anachronisme absolu. Pullule
Donc, azur possédé du mètre et du pendule ! »
Jules Laforgue, « Complainte du temps et de sa commère l’espace », Les Complaintes de Jules Laforgue, 1885.
L’exposition Time Machine – Cinematic Temporalities, qui a débuté le 12 janvier dernier au Palazzo del Governatore de Parme, et l’important catalogue qui l’accompagne présentent en une œuvre-somme et transmédiatique une certaine tradition de l’archéologie des médias à la française.
En effet, le projet témoigne moins d’une passion pour les voyages rétrotemporels de la science-fiction (son utopie de la réversibilité, ses spéculations temporelles post-relativistes, ses paradoxes du grand-père et autres cristaux de temps) qu’un engouement pour la propriété même du temps machinique, sa malléabilité et sa transformation en « temporalités cinématiques[11] [11] D’après Mary Ann Doane, The Emergence of Cinematic Time : Modernity, Contingency, the Archive, Harvard University Press, Cambridge, 2002. » par les appareils optiques. Son trajet est celui d’une conversion de l’imaginaire classique de « voyage dans le temps » en hypothèse d’une « manipulation du temps » rendue effective à l’ère du cinéma et des machines d’enregistrement visuel ou sonore du temps qui l’ont précédé.
L’exposition entend ainsi mettre en espace un concept avancé par les tenants français de l’archéologie des médias, inspirés notamment de la German Media Theory : la possibilité, grâce aux machines, de réaliser un certain nombre de manipulations de l’axe temporel. Réactivant alors le sens premier de la Time Machine de Herbert George Wells (publié en 1895), et célébrant l’invention d’une machine à temps comme on dirait une machine à coudre, l’exposition oscille en permanence entre un dévoilement des puissances animistes du cinéma et de la temporalité filmique conçue comme flux (via la figure tutélaire de Jean Epstein) et la recherche d’une démonstration conceptuelle de la convergence entre la représentation du temps par la machine, sa « vision » singulière (analogique puis numérique), et la rupture de la linéarité temporelle (empruntant à Friedrich Kittler la notion centrale de time-axis manipulation). L’exposition fait alors de la mise en scène de ces machines qui organisent, selon la formule d’Epstein dans L’Intelligence d’une machine, un « tête-à-queue de l’univers[22] [22] Jean Epstein, L’Intelligence d’une machine in L’Intelligence d’une machine, Le Cinéma du Diable et autres écrits, Écrits complets vol. V, 1945-1951, dir. Nicole Brenez, Joël Daïre, Cyril Neyrat, Independancia, Paris, 2014, p. 30. » , la réalisation cinématographique et technique de la « romance scientifique» d’H. G. Wells.
L’exposition se divise en quatre parties, réparties sur deux étages, chacun organisé autour d’une salle centrale. Au rez-de-chaussée, le parcours débute dans l’une d’entre elles, au milieu de laquelle sont alignées des machines issues des collections de la Cinémathèque française – une machine à coudre, un fusil chronophotographique, un des trois modèles restant du kinétoscope d’Edison – et une édition originale du roman d’H. G. Wells. Sur le mur du fond, un montage de séquences issues de classiques du cinéma de science-fiction. La visite se poursuit dans l’aile Est du palais, dans la section Flows, regroupant des vues Lumière de fumées s’échappant de cheminées d’usines, des photographies de nuages prises du pied du mont Fuji ainsi que bon nombre de vagues : celles d’Ange Leccia dans La Mer (1991) qui semblent s’écouler à l’envers, les time lapse de la plaine marine de Jeffrey Blondes dans Loire à Chouzy (2019), des extraits du Tempestaire (1947) de Jean Epstein et son remake numérique, le Tempestaire (2020) de Jacques Perconte et ses rouleaux de pixels infinis, créé pour l’occasion. La section suivante, Instants, dans l’aile Ouest, se présente comme une collection d’observations scientifiques permises pour la première fois par la chronophotographie et le cinématographe, issues de fonds d’archives constitués d’expérimentations en balistique, d’analyses du comportement de divers liquides et des premiers time lapses ayant permis d’étudier la pousse des plantes en accéléré.
À l’étage, les visiteur·euses parcourent la grande salle le long d’une coursive parsemée d’écrans, récapitulant les grands procédés de manipulation temporelle utilisés à des fins narratives au cinéma. Le parcours reprend par l’aile Est et la section Remontages, laissant la place aux exercices de manipulation du temps les plus fameux de l’histoire du cinéma – et de l’image en mouvement – avec la partie 1a des Histoire(s) du cinéma de Godard (1988) et Schnittstelle (Interface, 1996) de Harun Farocki, deux films dans lesquels les cinéastes, à la table de travail, montent et démontent, à vue, les rushs et les durées, tandis que derrière l’horloge à pellicules de Rosa Barabara (Stage Archive, 2011), le 24 Hour Psycho de Douglas Gordon (2013) égrène, à raison de deux par secondes, les images du film de Hitchcock. La dernière partie de l’exposition, Oscillations, est consacrée à une réflexion sur la capacité qu’a le cinéma de nous rendre contemporain·e, de nous faire cohabiter avec des temps a priori incommensurables à nos perceptions humaines : le temps géologique de l’œuvre de land art de Robert Smithson Spiral Jetty et le temps filmique des versions cinématographiques de l’artiste (1970) et celle de Tacita Dean JG (2013), le temps fulgurant d’un métamorphose, avec les tours de magie coctaliens du Testament d’Orphée (1960) ou les manifestations fantomatiques des pellicules brûlées de Bill Morrison dans Light is Calling (2004), et s’achève sur la dernière œuvre en date de Grégory Chatonsky, Je ressemblerai à ce que vous avez été (2020), faisant dialoguer une intelligence artificielle et une terre brûlée de part et d’autre d’un fossile de corps humain désarticulé.
La machine à modeler le temps
En ouvrant physiquement l’exposition par la généalogie des appareils de manipulation du fil et de la bande (depuis la machine à coudre jusqu’à la scotcheuse) et en plaçant le catalogue sous l’éminent patronage du théoricien des médias allemand Friedrich Kittler, l’exposition et le catalogue s’affirment immédiatement comme le répondant version Mediawissenchaft des possibilités science-fictionnelles ouvertes par le court roman wellsien.
L’archéologie des médias et la théorie allemande des médias – dont Antonio Somaini comme Emmanuel Alloa sont les passeurs en France via la collection « Médias/Théories » qu’ils co-dirigent (avec Emanuele Coccia et Emanuele Quinz) aux Presses du réel – empruntent à L’Archéologie du savoir foucaldienne, pour la dépasser, l’effort de mise au jour des conditions d’existence des discours : « L’archéologie signifie ici explorer les raisons de fond qui expliquent qu’un objet, une expression, un discours, dans le cas qui nous intéresse, un dispositif de médialité ou d’une habitude d’utilisation est susceptible de naître, d’être repris et de se maintenir dans une situation culturelle donnée[33] [33] Jussi Parikka, Qu’est-ce que l’archéologie des médias ?, UGA Éditions, Grenoble, trad. Christophe Degoutin, 2017, p. 38. . »
Informée par le matérialisme médiatique de Kittler, l’archéologie des médias fait de l’a priori technique présidant à toute formation discursive sa condition d’existence princeps : les productions discursives et leurs conditions de possibilité dépendent elles-mêmes de régimes inscriptifs, du réseau de technologies et d’institutions médiatiques qui permettent, dans une culture donnée, de sélectionner, de sauvegarder et de traiter des données signifiantes. Pour le dire autrement, « si l’histoire est la science de ce qui s’est passé, l’archéologie des médias en est la métaphysique, si l’on entend par métaphysique la science de ce qui est premier. Elle explore les conditions à partir desquelles toute histoire – y compris de l’art et de la littérature – peut s’écrire[44] [44] Emmanuel Guez in Jussi Parikka, op. cit., p. 17. . »
Ce changement de paradigme (la déduction de la superstructure culturelle par l’infrastructure médiatique) n’est pas sans conséquence : elle implique pour Kittler une nouvelle généalogie téléologique des médias du XIXème siècle, qui place la capacité de synthèse mathématique comme horizon ultime de la médialité. C’est cette transformation de l’information en une donnée intégralement computable qui a pour effet, selon Kittler, la possibilité même d’une nouvelle action sur les enregistrements optiques ou sonores : devenus du code, ils deviennent préhensibles. Si le sens est évacué de ce code en tant que signification (elle est indifférente pour la machine), s’y substitue la question du sens comme direction : c’est à condition que la bande audio ou vidéo redevienne écriture (qui en tant que spatialisation du temps, discrétise un flux continu) que le retour en arrière, que la vie à l’envers promise par les frères Lumière devient possible.
Ce sont là les deux directions de la théorie kittlérienne que rappelle Emmanuel Alloa dans un article substantiel, fondant l’armature conceptuelle de l’enquête historique proposée par Somaini dans le premier chapitre :
D’une part, les médias technologiques vont au-delà d’un simple redoublement du monde, ils prennent possession du réel lui-même, traitant son matériau comme un code. « Pour l’ordinateur, la différence entre la réalité et sa représentation disparait », il devient « impossible de différencier la visualisation de la nature de la production de la nature : d’où l’idée que le média technique rend possible aussi bien l’enregistrement que l’invention du temps[55] [55] Emmanuel Alloa, « Spaced-out Time. On Time Axis Manipulation » in Time Machine: Cinematic Temporalities, dir. Antonio Somaini, Éline Grignard, Marie Rebecchi, Skira editore, Milan, 2020, p. 65, notre traduction. . »
D’autre part, en représentant le temps sous une forme spatialisée, ils rendent possible sa manipulation à un niveau encore impossible à l’âge des médias symboliques comme l’écriture. « Time axis manipulation therefore presupposes (to the horror of philosophers) that time-serial data be referred to spatial coordinates. »
Dès lors, dit Alloa, le temps machinique converge avec le rêve d’une machine à remonter le temps (« Machinic time converges with the dream of time machine[66] [66] Emmanuel Alloa, ibid., « Time axis manipulation presupposes a past that has been written down, but that like any text, might be rewritten. Now, the ability to rewrite the past also directly entails rewriting the future, both of which are achieved by converting temporal coordinates into spatial ones. If technology is a form of time management, management itself boils down to a form of spacing time. » »).
Débordant largement le cinéma, le concept de time axis manipulation chez Kittler est alors défini comme une Kulturtechnik, une opération médiatique commune à plusieurs médias et se manifestant dans chacun de manière différente : il désigne les opérations de manipulation qui construisent une manifestation spatiale du temps pour rendre la possibilité de le déstructurer, voire de l’inverser.
Pour une « archéologie du futur »
Faire l’archéologie des médias, ce n’est pas seulement entretenir la nostalgie des dispositifs optiques et sonores du passé, mais examiner la double anachronie de leur modernité à l’époque de leur création, et surtout leur modernité virtuelle, celle qui produit dans notre présent de nouvelles images encore invues.
Comparé par Jussi Parikka à la mouvance esthétique du steampunk, cette uchronie exploratoire des possibilités sociales et techniques qui découleraient de la faveur accordée au charbon sur le pétrole, l’archéologie des médias « s’intéresse moins à la découverte des modèles universels du progrès technologique qu’à l’expérimentation d’alternatives, à la formulation d’idées originales et à l’exploration de voies nouvelles qui ne relèvent pas du mainstream. » « [Se concentrant] sur le XIXème siècle, la pierre angulaire de la modernité en ce qui concerne la science, la technologie et la naissance du capitalisme des médias. […] l’archéologie des médias s’intéresse aux fouilles dans le passé afin de comprendre le présent et l’avenir[77] [77] Jussi Parikka, op.cit., p. 32. . »
L’exposition dans son ensemble, telle qu’elle est retracée une première fois par l’article inaugural d’Antonio Somaini, prend ainsi comme point de départ le hasard objectif de la contemporanéité de la « romance scientifique » de Wells et de la présentation du cinématographe par les frères Lumière pour explorer la passion esthétique et scientifique qui s’empare du XIXème siècle. Mais la fin de ce premier essai semble déjà figurer l’empan du compas ouvert par l’exposition et la suite de l’ouvrage, en interrogeant le point de convergence entre la manipulation temporelle dont il dresse d’abord quelques généalogies techniques (inversion, ralenti, time-lapse…) et la « vision » de la réalité que l’on peut obtenir d’un réseau de neurones simulés par les dernières avancées technologiques de l’intelligence artificielle. Ce parcours du « voyage dans le temps » s’achève en effet au seuil de la possibilité que laisse entrevoir les flux d’images générés par les réseaux de neurones adversariaux (GAN) de produire des images prédictives, la machine imaginant la poursuite statistiquement réaliste d’une image interrompue.
L’investigation de cette promesse d’une « archive du futur », pour reprendre le titre de Fredric Jameson, mobilisée par des artistes aussi divers que Hito Steyerl (This is the Future, 2019), Jacques Perconte (Le Tempestaire) ou Grégory Chatonsky (Je ressemblerai à ce que vous avez été) – auxquels pourraient se joindre encore des artistes comme Julien Prévieux ou Abelardo Gil-Fournier –, traduit le renversement complet des méthodologies scientifiques prédictives. Les acquis théoriques de la science moderne sont remplacés par le traitement inductif des données précédemment rassemblées. Par exemple, la prévision météorologique par analyse de données visuelles est plus efficace que l’explication physique de la science météorologique. Congédiant la méthode explicative fondant la prédiction de l’avenir sur la déduction des lois naturelles, notre image du futur se construit sur la régularité induite d’un corpus de données préalablement accumulées.
Le concept kittlérien de time-axis manipulation, fondé sur cette médiatisation de la matérialité du monde telle qu’elle est perçue par les instruments optiques et sonores, trouve alors sa manifestation la plus éclatante : le monde naturel n’est plus alors constitué par la matière, mais par l’information extraite de sa médiation audiovisuelle et devenue une donnée traitable par l’intelligence artificielle.
La mer, qu’on voit penser
Car outre le roman de Wells, c’est bien à partir du Tempestaire d’Epstein que semble se déployer la lecture française de la théorie de la time axis manipulation. La première section de l’exposition, intitulée Flows et dédiée aux expérimentations temporelles menées sur des captations de flux naturels – volutes de fumée, ressac des vagues – s’attache à exposer la pensée espteinienne du cinéma, prêtant à celui-ci la capacité de changer la nature de ce qui est filmé en agissant sur sa durée. Ralenties, les vagues prennent l’allure d’immuables contreforts rocheux ; accélérée, une écharpe de brume semble presque animée d’une volonté propre. Ce pouvoir animiste du cinéma, rappelle Philippe Dubois, est qualifié par Epstein de « quatrième dimension » du médium, libérant les spectateur·ices du rythme ordinaire des choses et de la linéarité du temps en les faisant accéder à une conception liquide de la durée. Ainsi, la première section de l’exposition, faisant dialoguer des œuvres ayant trait à la mécanique des fluides – des manipulations de la Manche du Tempestaire de 1947 au coulées de pixel du Tempestaire de 2020, réalisé par Jacques Perconte – rappelle l’affinité particulière de l’image cinématographique avec les états précaires de la forme, que rappelle Epstein dans Le Cinéma du Diable :
« Les aspects stables, les formes fixes n’intéressent pas le cinématographe. […] Révolutionnaire, le cinéma l’est – essentiellement, infiniment et d’abord – du fait de son pouvoir de faire apparaître partout le mouvement. […] Le monde de l’écran, à volonté agrandi et rapetissé, accéléré et ralenti, constitue le domaine par excellence du malléable, du visqueux, du liquide[88] [88] Jean Epstein, Le Cinéma du diable in op. cit., p. 112-113. . »
En effet, dans les sections suivantes de l’exposition, les œuvres ayant transité par cette quatrième dimension du cinéma en ressortent dans un état proche de la fusion. Pellicules brûlées dont l’halogénure d’argent se met à fondre (Bill Morrisson, Light is Calling, 2004), fichiers altérés dont les pixels se mettent à dégouliner, éclaboussures des corps liquides traversés par une balle de pistolet ou de bulles de savon éclatées laissent apparaître matériellement l’altération de leur temporalité propre par les time axis manipulations qu’elles ont subies.
Si ces transmutations multiples ne sont pas sans conséquences sur les images manipulées, en témoignent les changements d’état – voire de règne[99] [99] « Le trait principal du cinéma est son animisme et le passage entre les règnes minéraux, végétaux, animaux et humain », écrit Epstein en 1935 dans l’essai « L’intelligence d’une machine ». Aussi l’animisme d’Epstein tient-il, selon Elcott, dans l’idée que le cinéma dévoile l’âme des choses « Look ! Life and souls are everywhere. To become visible, the souls of animals, plants, and humans required only the proper tempo, fortuitously furnished by cinematic time axis manipulation. » Noam M. Elcott, “The Master of time: Jean Epstein’s nonhuman Time Axis Manipulation” in Time Machine, op. cit., p. 173. – des choses filmées, l’appareil filmant lui-même n’est pas exempt de métamorphoses. L’âme n’étant pour Epstein qu’un épiphénomène du temps dont la condition de l’apparition n’est autre que l’accélération – le ralentissement condamnant à l’inertie et l’inertie, à l’impossibilité pour la pensée d’émerger –, l’accélération de la machine elle-même serait à l’origine de la naissance d’une conscience :
« Le cinématographe ne fut d’abord qu’un regard enregistreur, s’intéressant superficiellement à tous les spectacles du monde ; puis on l’employa, ici, à l’analyse des mouvements rapides, et, là, à la découverte des mouvements lents ; en même temps ou plus tard, on lui apprit à grandir l’infiniment petit, à rapprocher l’infiniment lointain ; enfin, à cet œil, on adjoignit, après bien des tâtonnements, une oreille et un organe d’élocution. Et, tout à coup, on s’aperçoit qu’ainsi a été créé une sorte de cerveau mécanique partiel, qui reçoit des excitations visuelles et auditives, qu’il coordonne à sa manière dans l’espace et le temps, et qu’il exprime, élaborées et combinées, sous une forme souvent étonnante, d’où commence à se dégager une philosophie riche, elle aussi, en surprises[1010] [1010] Jean Epstein, op. Cit., p. 91-92. . »
De l’animisme des premiers écrits d’Epstein (rappelés par Philippe Dubois et Marie Rebecchi) à l’animation, donc, serait le parcours sous-tendant Time Machine et qui en expliquerait l’aboutissement : Je ressemblerai à ce que vous avez été de Grégory Chatonsky. Si le sol lunaire qui défile sur l’un des deux écrans qui la composent fait écho à la dernière aventure du voyageur du temps de Wells, qui échoue, dans un avenir lointain, sur une Terre désolée rongée par l’entropie, l’installation dévoile aussi les rêveries numériques d’une machine prenant la forme de deep dream en perpétuelle mutation et commentées par une voix robotique. Comme l’utopie réalisée du cinéma selon Epstein, issue des fluctuations temporelles des éléments naturels dont découlerait la faculté d’imaginer, cette « machine intelligente » ouvre, pour nous, l’accès à un autre type de perception se déployant sur l’écran et à une autre conception de la durée par ses visions infinies et toujours inédites.
Ainsi apparaît le lien qui unit le Tempestaire de Perconte, au début de l’exposition, à la machine à rêves de Chatonsky, qui la conclut – rappelant la gémellité chez Epstein du Tempestaire (1947) et de L’Intelligence d’une machine (1946), remarquablement démontrée par la comparaison approfondie qu’en donne Noam M. Elcott[1111] [1111] Noam M. Elcott, op. cit., p. 180-184. . Au-delà de la dimension générative des deux œuvres, leur conférant une temporalité surhumaine, celles-ci font le pari de manipuler le rythme de la nature – le flux du mouvement des vagues pour l’une, le flux de la mémoire pour l’autre – en le donnant à penser à la machine.
Débordements : Votre œuvre, Le Tempestaire, se trouve dans la première partie de l’exposition Time Machine intitulée « Flux ». Quel sens donnez-vous à l’expression « time machine » ?
Jacques Perconte : D’abord, vient à mon esprit la fameuse machine à voyager dans le temps. Mais rapidement je me dis que la véritable machine à voyager dans le temps, c’est l’image, le résultat produit par l’imagination. Cela a d’abord majoritairement été porté par la parole, puis par le texte, puis par la photographie, puis par le cinéma, puis sont venus les jeux vidéo… Mais j’ai été touché jeune par une autre interrogation : comment au sein de la représentation cohabitent et interagissent des formes temporelles différentes. C’est quelque chose que l’on trouve littéralement dans mes premiers travaux[1212] [1212] Voir : http://www.technart.fr/ncx/nc/dem.html . Cette perspective m’a conduit vers l’image-temps et l’image-mouvement, et expérimentation après expérimentation vers ce que je fais aujourd’hui. Le Tempestaire, l’œuvre que je présente dans l’exposition, est un film infini. C’est une œuvre générative. C’est-à-dire qu’elle se fabrique au fur et à mesure de son fonctionnement. C’est au départ une collection d’images tournées un jour de tempête au Cap Fagnet en Normandie, préparées pour la diffusion selon des modalités de compression vidéo altérées de manières différentes. Je les travaille avec certaines typologies de codecs[1313] [1313] COmpresseurs/DECompresseurs vidéo dans ce cas, de type mpeg. utilisés couramment par l’industrie pour les usages grands publics. La compression est ce qui facilite le stockage et le transport des images (en mouvement ou pas) par la réduction de la quantité d’information qui les définissent. Cette réduction fonctionne souvent autant spatialement que temporellement. Pour garantir la lisibilité des contenus malgré les économies faites[1414] [1414] Il faut bien comprendre que la vidéo est quelque chose qui en informatique demande beaucoup de ressources : espace disque, bande passante, temps de calcul processeur… la compression permet en réduisant à la fois le poids des images dans l’espace et le temps de réduire certaines dimensions pour faciliter la diffusion. Cela entraîne une dégradation de la copie. Les compressions mpeg fondent la plupart de leurs modèles d’économie de l’information sur des règles liées à la perception humaine de l’image pour hiérarchiser les formes et les altérer en maintenant à priori une certaine qualité sur ce qui serait important au détriment du reste. , des méthodes structurent et maintiennent la conformité avec l’original. En contrecarrant ces méthodes, on révèle la nature de ces images, et, quel que soit le mode de lecture, l’image que le spectateur voit est une actualisation du résultat d’un calcul. Que l’on aille vers le passé ou vers le futur, l’image continue sa course au présent et les moments s’interpénètrent. C’est là que commence le jeu avec ces images, le temps n’y a pas cours. L’ordre n’y est qu’une donnée comme une autre qui ne tient que par l’imposition (et le maintien) de règles. Et filmer la nature ne peut se faire qu’en acceptant que l’on ne puisse pas raconter ce qu’elle est. En l’enregistrant, on enferme la puissance de ses vibrations dans un système qui ne peut pas les contenir. Seulement, peut-être qu’il y a les traces de ses forces en passant en-deçà de la forme bâtie de l’image et de son ultra haute définition. Parce ce que pour moi, ce qu’il y a à raconter, ce n’est pas ce commentaire rassurant qui explique ce qu’il faut voir, c’est notre capacité à libérer la beauté des formes et des a priori. Ces traces dans l’image, elles naissent en nous quand nous percevons les images et que dans l’abstraction formelle, à la limite de la figuration, nous sentons la présence d’un oiseau, la force d’une vague, la pierre d’un rocher alors que nous ne les voyons pas.
D. : Dans un texte qui vous était consacré, en 2014, Nicole Brenez qualifiait votre travail sur la matière numérique de l’image par les mots de Jean Epstein sur le cinéma : « brouiller l’ordre qu’à grand-peine nous avions mis dans notre conception de l’univers. » Depuis, la figure d’Epstein semble vous avoir accompagné au point qu’en 2020, vous vous confrontez à ses images (et non plus seulement à sa théorie) en réalisant votre propre Tempestaire (projeté non loin de l’original dans l’exposition). Quelle a été l’influence d’Epstein sur votre travail ?
J. P. : Je ne peux pas parler d’influence directement comme quand je pense à Lynch, Cronenberg, ou Grandrieux dont les films m’ont accompagné quand je commençais vraiment mon chemin. Pour moi, Epstein, peut-être plus que tous les autres cinéastes, fait un cinéma où le sublime découle du désordre, un cinéma où le chaos est l’expression de la rencontre des forces naturelles et de la technique. Il naît de cette tension une immense puissance poétique. Mais le cinéma d’Epstein me tient aussi comme un rêve, il est là comme un imaginaire abstrait, il est à côté de celui de Tarkovski. Quelque chose d’eux plane dans la nécessité que j’ai à faire des films, et dans l’assurance que j’ai, de ne pas savoir où je vais.
D. : De vos Impressions à votre Tempestaire normand, vous vous fondez sur des prises de vue naturelles – et souvent aquatiques – pour interroger l’aléatoire mathématique et l’imprévisible informatique. Pourquoi vous tourner vers ces thèmes, en apparence très éloignée de l’imagerie numérique, comme supports pour ces questionnements ? Comment la mécanique des fluides informe-t-elle votre conception du numérique ?
J. P. : Ce ne sont pas tant les liquides qui m’intéressent, que les mers, les océans, et l’eau, le vent, la flore, la terre, la roche, le vent, le corps des montagnes, des plaines, des forêts. Je suis en quête de quelque chose de magique que je ne connais pas et que je ne comprends pas. Je dirais que rien de la nature ne peut résonner avec l’implacable stabilité de l’informatique, qui même si elle permet de modéliser l’imagination, ne peut produire artificiellement que l’image qu’on lui demande de faire. Et si elle semble nous surprendre, c’est que nous ne voulons que ça. Mais la nature, c’est tout autre chose. Elle ne surprend pas, elle saisit, elle ramène au présent. Et peut-être que la technique, la technologie, totalement humaines, permettent de la montrer quand on s’aventure à aller chercher dans les retranchements de nos certitudes, les traces de l’incompatibilité. C’est peut-être là où les contingences soulignent ce différentiel, que le geste libre qui fait a priori n’importe quoi, mais pas vraiment n’importe comment, saura sans doute être à l’origine d’images qui raconteront quelque chose du monde. En tout cas, c’est ce que j’imagine.
Débordements : Votre installation Je ressemblerai à ce que vous avez été se trouve dans la quatrième partie de l’exposition Time Machine intitulée « Oscillations » et constitue l’aboutissement du parcours du spectateur ou de la spectatrice. Quel sens donnez-vous à l’expression « time machine » ?
Grégory Chatonsky : J’interprète cette position dans la narration que tente de construire cette exposition collective comme une reprise et un excès. Une reprise tout d’abord parce que les logiciels d’intelligence artificielle (même si ce terme est contestable) avec et sur lesquels je travaille parviennent à automatiser la ressemblance et appartiennent donc à l’histoire de l’image industrialisée. Ils se nourrissent des images passées. Un excès ensuite parce que cette industrialisation est à un second degré qu’on pourrait nommer réflexif : l’automatisation de la mimésis produit matériellement ce qui était jusqu’alors une expérience de pensée, des médias de médias. Cette métabolisation produit de nouvelles possibilités et une nouvelle forme de réalisme. Les images produites sont réalistes, mais en un tout autre sens que celles photographiques : non parce qu’elles sont la trace d’une lumière et d’un « avoir-été » mais parce qu’elles sont l’induction statistique d’une mémoire. Peut-être cela ouvre-t-il aussi à de nouvelles machines temporelles dont le modèle ne serait pas celui du siècle passé : des machines algorithmiques capables de reprendre et transformer nos mémoires médiatiques accumulées sur le réseau. Il ne sera donc plus question d’une synchronisation de nos flux de conscience aux flux mécaniques, mais d’un possible s’ouvrant à partir de l’hypermnésie des données massives à laquelle nous participons tous depuis une quinzaine d’années.
D. : Le visiteur ou la visiteuse qui entre dans la pièce y découvre un étrange cercueil de verre entouré d’écrans. Quelle relation existe-t-il entre le corps démembré – ou en cours d’assemblage – qui s’y trouve et le dispositif audio-visuel autour de lui ?
G. C. : Les sculptures sont un démembrement, ou si on veut des organes sans corps. Il y a en elles quelques choses de brisées et en même temps, comme vous l’avez remarqué, peut-être en cours de reformulation ou de recomposition : table d’opération et table de montage. Ces fragments de corps ont la particularité d’être creusés du dedans. J’ai doublé les organes et je les ai creusés par eux-mêmes. Ainsi le visage est creusé par son double, la main garde la trace d’une autre main permettant d’y enfoncer ses propres doigts, le dos permet au torse de s’y placer, etc. Le fragment n’est pas seulement scindé du dehors, mais du dedans à la manière d’une hantise.
Il y a donc ces organes et en dessous cinq écrans sur lesquels glissent une fumée. Ils sont la réinterprétations d’Histoire(s) du cinéma et en particulier de la partie « Le contrôle de l’univers », mais c’est moins le cinéma dans son rapport au XXème siècle qui m’intéresse ici que le Web dans sa relation au conflit entre la Terre et les mondes : « Internet de l’histoire ». J’essaye, en utilisant des images glanées sur le réseau, de reconstituer cette histoire du réseau. On y voit le lac noir de Baotou où les déchets des terres rares sont déversés, les containers et les cargos qui amènent les marchandises, les centres d’Amazon les distribuant, les écoulements technologiques, organiques et naturels, des machines qui déforestent, creusent et transforment la Terre.
Entre ces organes sans corps et ces technologies qui affectent la Terre, il y a une relation trouble qu’on peut voir sur les deux écrans se faisant face avec d’un côté une Terre minéralisée, inanimée et morte et de l’autre une intelligence artificielle, mais je préférerais parler d’imagination artificielle, qui produit de nouveaux organismes végétaux, animaux, de nouveaux paysages, de nouvelles techniques à partir de millions de photographies. La surface de la Terre est morte tandis qu’une machine tente de se souvenir de ce qu’a été cette Terre disparue et par un tel souvenir, elle produit une nouvelle Terre, une Terre qui n’a encore jamais eu lieu. Le démembrement du corps et sa possible recomposition est analogue à cette Terre minéralisée qui rêve ce qu’elle aurait pu être. Par ces analogies, j’essaye de déconstruire la distinction entre nature et technique.
D. : Ce corps physique est dédoublé par de multiples figurations de corps à l’écran – des corps féminins y font régulièrement apparition, de même qu’une sorte de maquette anatomique. Dans le casque, une voix féminine rassemble ces figures discontinues et semble signaler l’émergence d’une conscience. Quel est le statut de l’être hybride ainsi formé ?
G. C. : Vous êtes arrivés à un moment où il y avait ces corps, mais à d’autres ce sont des végétaux, des pierres ou des formes infigurables. Vous parlez d’une maquette anatomique et je regrette de ne pas avoir été là pour voir cette forme étrange que je ne connais pas. J’aime mettre en place des dispositifs dont je ne peux anticiper toutes les formes et qui m’excèdent, même si j’en connais à peu près le spectre de possibilités.
Même si l’imagination artificielle est une machine temporelle, elle l’est d’une manière toute différente du cinéma. Elle ne produit pas une temporalité de la répétition et du destin avec un début, un milieu et une fin dont l’infinité est celle des divergences interprétatives. Sa temporalité est unique : ce que vous avez vu ne se reproduira peut-être jamais à l’écran. La qualité du temps y est donc toute différente.
L’être dont vous parlez a un statut incertain : est-ce une machine (avec toute la question de l’usage de la voix féminine pour figurer les ordinateurs, on se souvient de Mother dans Alien) ? A-t-elle une conscience ou répète-t-elle inlassablement le même texte ? Est-ce la Terre elle-même ? Un être humain ? Il s’agit d’une métamorphose ou d’un change, pour reprendre ce concept cher à Catherine Malabou, entre des éléments traditionnellement opposés.
D. : D’ailleurs, quel type de relation vouliez-vous tisser entre l’auditeur·ice et l’intelligence artificielle par l’intermédiaire d’une écoute individuelle par le biais d’un casque (plutôt qu’une diffusion par hauts-parleurs) ?
G. C. : Une voix s’adresse et le dispositif du casque implique un acte (le prendre) et une meilleure qualité sonore. Le casque unique permet aussi de jouer sur cette dimension présente dans notre dialogue : vous avez entendu des récits que jamais je n’entendrai. Le casque confirme l’impossibilité d’une expérience collective et est donc fort différent des hauts-parleurs du cinéma et du type de temporalisation qu’ils impliquent. Nous n’aurons jamais la preuve de pouvoir mettre en partage un phénomène.
D. : Dans “Le Robot qui rêvait”, en 1986, un personnage d’Isaac Asimov dote un robot d’un cerveau au fonctionnement fractal, « se rapprochant peut-être du cerveau humain », s’avérant capable de rêver. « Mais qui aurait pensé qu’il existait une couche inconsciente sous les méandres évidents du cerveau positronique, une couche qui n’est pas nécessairement gouvernée par les Trois Lois ? » Et vous, comment faites-vous rêver les machines ?
G. C. : La voix qu’on entend est une voix de synthèse qui lit un texte automatiquement généré par un réseau de neurones artificiels. Celui-ci a appris à produire des rêves à partir d’une base de données de 20 000 rêves compilés et retranscrits à l’Université de Californie par Adam Schneider et G. William Domhoff. Il ne s’agit pas d’une fragmentation de l’existant à la manière d’un cut-up, mais d’un apprentissage statistique : les rêves de la machine ne sont pas dans la base de données mais s’en inspirent. Ainsi, la machine rêve nos rêves et les erreurs faites n’en sont pas, parce qu’on admet que le rêve déraille, défaille et que ses incohérences sont autant d’éléments à interpréter.
J’aime cette idée d’une intelligence artificielle « se rapprochant peut-être du cerveau humain », car tout tient dans le peut-être ou le als ob et c’est ce doute quant au statut de son fonctionnement qui autorise l’imagination. Peut-être que l’intelligence humaine n’est que cela. Peut-être que l’intelligence artificielle n’est pas humaine. L’intelligence n’est pas une chose en soi, mais le résultat d’une affectation. On dit de telle personne qu’elle est intelligente et de soi-même on le dit aussi comme d’un autre selon un dédoublement que nous expérimentons tous.
Il me semble peu pertinent de se demander si l’IA est véritablement intelligente car cela présuppose que nous saurions ce que l’intelligence est et que celle-ci est anthropocentrique, selon le mythe de la transparence réflexive du sujet. L’IA est une occasion pour briser notre hégémonie, pour questionner le statut de la conscience et pour moi, parce que je suis artiste sans doute, de revenir à cette question posée et délaissée ensuite par Kant dans la première édition de la Critique de la raison pure : l’imagination n’est-elle pas le fondement de l’intelligence, un fondement infondé ?
D. : Durant notre observation/écoute, la voix de la rêveuse n’a eu de cesse de faire le récit de situations traumatiques extrêmement violentes (bavure policière, tentative de viol, course-poursuite). Est-ce le fruit d’un machine learning orienté ou, au contraire, y voyez-vous un hasard signifiant ?
G. C. : Si cet épisode traumatique de la machine n’est pas systématique, son récit est parfois d’un plus grand calme, la fréquence des récits dans la base de données qui a servi à alimenter le logiciel a son rôle. Je ne sais s’il faut opposer l’orientation de l’IA et une certaine part de hasard que je préférerais nommer contingence.
Si les sciences humaines critiquent souvent l’IA du fait de ses biais, c’est-à-dire de son manque de neutralité ou de sa black box qui entraînerait son opacité, je crois qu’il est temps de déconstruire ces arguments car d’une part ils supposent que quelque chose sans biais ou orientation pourrait exister et d’autre part que quelque chose de transparent et parfaitement compréhensible serait possible. On comprend que ces arguments d’autorité concernent moins l’IA qu’une certaine préconception du fonctionnement interne de celui qui critique.
Les réseaux de neurones artificiels sont un lieu où la programmation et la contingence ne sont pas contradictoires parce que ces dispositifs sont en même temps en eux-mêmes et pour nous. Ils tremblent à cette frontière et c’est aussi pourquoi la signification, le fameux « faire sens » dont beaucoup sont friands, s’infonde dans et par la contingence.
D. : En 2016, Microsoft lançait sur Twitter un chatbot baptisé Tay incarnant une jeune fille de 19 ans. Cette IA, censée apprendre de la communauté internet et adapter son comportement en fonction des interactions avec les utilisateur·ices, a dû être retirée après seulement 16 heures de fonctionnement en raison de la quantité de messages sexistes, homophobes et racistes qui l’avaient irrémédiablement façonnée. Comment avez-vous pensé le genre de votre IA ?
G. C. : Si l”histoire de Microsoft doit être questionnée dans la mesure où les entreprises du GAFA sont en même temps les promoteurs de l’IA et les premiers à siéger à des comités d’éthique en dénonçant les dangers, il y a une autre façon d’en faire le récit ; je crois qu’il y a là quelque chose 1/ de la figure de l’idiot qui répète 2/ du sadisme de l’humain par rapport aux machines. Ce dernier point m’intéresse parce qu’il est présent dès le test de Turing dans sa seconde version et parce qu’on en retrouve les traces ici et là, par exemple là.
Cette question du genre m’intéresse bien sûr et plutôt que de neutraliser celle-ci comme dans les tentatives de voix de synthèse dégenrée, je préfère passer d’un genre à un autre. Une voix de femme, un corps d’homme ou l’inverse. Le différend sexuel est un lieu de passage et c’est cette relationnalité plutôt que des identités distinctes qui m’intéresse parce que celles-ci me semblent illusoires.