Pacific Rim Uprising, de Steven S. DeKnight (sortie le 21 mars 2018). Pris en étau entre Black Panther et Ready Player One, Pacific Rim Uprising devrait avoir ce qu’il mérite, soit une attention très modérée de la part du public et des critiques. Mais le charme est brisé si méticuleusement qu’il mérite presque qu’on s’y attarde. Le film d’origine, signé Guillermo del Toro, transcendait son fragile argument – monstres géants contre robots géants – de deux manières : en se constituant, comme ce serait le cas de La Forme de l’eau, en hommage au cinéma d’antan (en l’occurrence les kaiju eiga, dont Godzilla est l’avatar le plus célèbre) ; et en portant à son point de perfection le cinéma du futur, c’est-à-dire en laissant reposer le film entier sur une exigence absolue quant au rendu de la moindre image de synthèse. Des rouages déployés de la mécanique aux tressaillements monstrueux des muscles, en passant par l’entrelacement des faisceaux lumineux et des éclaboussures, le film valait comme symphonie de micro-événements autant qu’illustration spectaculaire d’un deuil.
De l’océan Pacifique animé à la main, il ne reste plus aujourd’hui qu’un plan joli comme un souvenir, lorsqu’un géant sort des flots devant l’opéra de Sydney et que subliminalement, les vagues découpées en imitent l’architecture. Ce qui fait de Steven S. DeKnight le tâcheron par excellence, c’est que rien n’excelle ensuite cette image sortie des mers : sous un soleil idiot facilitant le travail d’animation – fini le ruissellement de la pluie, finis les reflets de néons – les trouvailles de mise en scène reviennent pointer sans le moindre souffle, et ce jusqu’au malaise lorsqu’au final, on se retrouve à devoir s’enjailler du spectacle de personnages traumatisés. La scène de la fillette devant un monstre est en effet rejouée ici, mais alors qu’on ressentait chez Del Toro une réelle détresse face au massacre, on est cette fois à la fête foraine (littéralement), et la disparition de la famille n’est plus qu’un frisson utile au scénario.
A l’époque de Pacific Rim, seuls cinq ans s’étaient écoulés depuis le dernier kaiju eiga hollywoodien, Cloverfield ; qui en 2008 représentait pour la première fois depuis le 11-Septembre l’horreur de voir des immeubles s’effondrer en pleine métropole américaine (suivraient Transformers 3, puis toute la mode du destruction porn, de Man of Steel à San Andreas en passant par 2012 et le Godzilla de Gareth Edwards). Comme dans La Guerre des Mondes de Spielberg surtout, on imaginait encore la destruction du point de vue de témoins incarnés, cloués au sol, même si Pacific Rim se permettait quelques plans “trichés”, volés au milieu des titans, trahissant leur nature de simulations informatiques – ceux-là même qui envahissent la suite. Le prologue raconte d’ailleurs qu’en cinq ans, une génération a déjà passé. Or Pacific Rim Uprising ne se contente pas de faire le portrait de cette génération “née pendant la guerre” de spring breakers et autres starship troopers immunisés, elle regarde le monde à travers leurs yeux. Malheureusement, avec le sentiment de l’horreur, celui du beau a disparu aussi.
C.B.
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Annihilation, d’Alex Garland (diffusé à partir du 12 mars sur Netflix). Lena est la seule rescapée d’une mission d’exploration. Après l’apparition d’un étrange mur miroitant ayant avalé tout un escadron et recraché un seul de ses hommes – son mari –, elle avait rejoint quatre femmes chargées de découvrir ce qui leur était arrivé. Lena ne sait pas expliquer pourquoi ni comment elle en est sortie seule. Le film se souvient alors à sa place, par l’emboîtement de deux flash-backs, l’un relatant sa vie de couple, l’autre son expédition. Derrière le mur, les femmes découvrent une végétation et une faune inédites, ainsi que les restes de la mission précédente. Ces révélations ne constituent cependant pas l’intrigue principale du film. Moins que les raisons du miroitement et de ses dévorations, ce sont celles de l’engagement de chacune qui importe ici. Se demander pourquoi elles y sont allées, dans Annihilation, est une autre manière de poser la question la plus élémentaire qui soit : comment ça va ?
C’est justement une psychologue qui est chargée du recrutement des troupes. Selon elle, toutes sont mues par un désir larvé d’auto-destruction. Atteinte d’un cancer, elle enrôle une ancienne alcoolique, une mère ayant perdu son enfant et une doctoresse dont le bras est strié de cicatrices ; Lena, quant à elle, est rongée par le remord d’une liaison adultère. Toutes laisseront leur peau derrière le miroitement. La Lena qui en ressort n’est en effet guère plus qu’un résidu d’elle-même. Des premiers mots du film (« What did you eat ? ») à son dénouement (un vortex en forme de sphincter qui va recracher cette Lana digérée), Annihilation dessine le trajet de personnages cherchant à se débarrasser d’eux-mêmes, à se déféquer. Le psychanalyste Jacques Lacan définissait le concept d’analité – Lenalité – comme fantasme du sujet pour sa propre élimination. On en trouvera le développement dans son séminaire Le Transfert. Sa lecture pourrait s’avérer éclairante pour poursuivre l’analyse du transfert opéré entre Lena et son double. Sinon, on pourra se contenter d’une question posée par l’une des ses sœurs d’armes : « Did you lose your shit ? » ; et de regarder Annihilation comme un film où les personnages finissent tous au fond du trou.
S.L.