Fast & Furious 7, James Wan

7 remarques

par ,
le 8 mai 2015

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1. Il y a quelque chose de merveilleux au fait que toute la scène finale de Fast & Furious 7 repose sur une incohérence du scénario : les héros sont traqués par un drone qui reconnaît leurs visages grâce aux caméras placées absolument partout – dans les téléphones, les rues, partout. Il leur suffirait d’enfiler un masque pour y échapper, une cagoule, ou même un collant DIM. Mais les héros de F&F ne sont pas des super-héros. Ils ne portent pas de masque. Sauf que Paul Walker est mort.

2. Paul Walker est mort et on a reconstitué son visage en images de synthèse, avant de le plaquer sur le crâne de ses frères, qui servent ici de doublure. On a également plaqué le visage numérique de Paul Walker sur les corps de nombreux cascadeurs, ce qui se serait de toutes façons produit, même s’il avait été là pour le voir. La technique est très répandue à Hollywood où, bien avant la résurrection visuelle de Walker, les réalisateurs se sont accoutumés à faire travailler de véritables créatures de Frankenstein, corps composites mêlant diversement prises de vue réelle et effets numériques : voir le visage de Christopher Lee sur le corps des escrimeurs dans Star Wars: Episode III, de Natalie Portman sur celui d’une danseuse étoile dans Black Swan, de Tom Cruise sur celui d’un acteur censé incarner son clone dans Oblivion, ou encore ceux de Georges Clooney et Sandra Bullock, seuls vestiges de la présence des acteurs dans l’environnement entièrement numérique, costumes compris, de Gravity. Aujourd’hui le visage suffit à faire l’acteur, car nous fonctionnons à la reconnaissance faciale – côté corps, la chose a été standardisée. Le personnage redevient persona, ce masque porté par les acteurs dans le théâtre antique.

3. Résultat : les visages sont de toutes façons, encore vrais et déjà faux – de la pâtée pour drone. James Wan signe cette irréalité en citant, lors du combat Statham / Diesel, le bleu-gris et les chœurs hystériques qui marquaient l’affrontement final de Matrix Revolutions – combat symétrique entre Keanu Reeves et Hugo Weaving qui n’était d’ailleurs plus qu’une lutte de programmes. Vieille théorie : il y a presque 10 ans, on s’interrogeait déjà sur l’hypervisibilité des visages faits masques dans Miami Vice, et sur le retour au réel via la castagne dans La Vengeance dans la peau. Fast & Furious 7 anabolise le tout à tel point qu’on jurerait voir quelque chose de nouveau. L’originalité du film tient plutôt à son final, aux acteurs subitement devenus vrais lorsqu’ils font leurs adieux au personnage de Paul Walker. Très beau moment, lorsque sur une route théorique, une voiture pilotée par un visage en images de synthèse s’arrête juste en face d’une voiture conduite par un acteur qui n’est plus en train de jouer – les adieux du personnage de Vin Diesel à celui de Paul Walker étant nettement ceux de l’acteur à son partenaire, ses adieux officiels sous les feux de la caméra. Face au fantôme, l’acteur tombe le masque. Sa tristesse est vraie.

4. Routes théoriques : dans Retour vers le Futur 2, sorti en 1989, le voyage vers l’an 2015 était annoncé par cette réplique : “Des routes ? Là où nous allons, nous n’avons pas besoin de routes.” Forcément : en 2015, les voitures voleraient. Dont acte. C’est exactement ce qui se produit avec Fast & Furious 7. Alors qu’à la fin du 6, les bolides commençaient à quitter le plancher des vaches, tractées par un Antonov au décollage, ils roulent cette fois pour de bon dans le ciel, à la verticale. La gravité n’intéresse plus personne. On ne veut voir que de belles carrosseries, avec du mouvement autour ; on enlève donc la route. Le cinéma d’action se permet aujourd’hui de ces saillies théoriques, que viennent embrasser des travellings circulaires souvent bien sentis : les derniers Fast & Furious déploient tout un art du travelling circulaire, nécessaire lorsqu’on filme des voitures lancées à pleine blinde, puisque le travelling latéral qui les accompagne annule l’impression de vitesse, et qu’il n’y a rien de plus statique qu’un panoramique (même un plan fixe ne donne pas cette impression d’être cloué au sol).

5. Que ceux qui ont l’impression d’avoir cinquante ans alors qu’ils n’en ont encore que trente se rassurent: non, le monde n’a pas autant changé que ça, et ce Hollywood maxi-numérique est encore et toujours celui de Spielberg et Lucas, cités à tour de bras plus que n’importe quels autres. On sait que de nouveau Jurassic Park et Star Wars se dirigent droit sur nous. Sauf que Fast & Furious 7, c’est déjà Jurassic Park, déjà Star Wars, depuis les cascades au-dessus du ravin jusqu’aux interventions providentielles du sidekick. James Wan est né en 1977, ce qui lui donne 16 ans au moment du premier Jurassic Park. Comme ses aînés, lui non plus n’a d’autre ambition que de prendre la forme du serial pour en faire du spectacle à gros budget, dénué du moindre esprit de sérieux. Le serial, ici, coûte déjà cher, et en 2015 “gros budget” signifie 150 millions de dollars au minimum, avec casting exponentiel. Mais Fast & Furious 7 se permet aussi de doper Boulevard de la Mort, de lui piquer Kurt Russell, de lui piquer surtout cette absence totale de honte à l’idée de déployer des trésors d’intelligence au service de quelque chose d’aussi in-intellectuel que possible – des grosses voitures, des jolies filles, de la musique qui swingue. Une honte qui, auparavant, aurait alourdi le style, l’aurait poussé vers des facilités commerciales et décevantes, un respect inquiet du cahier des charges ; mais enthousiasme et désinhibition donnent des ailes à un film qui se permet du coup les saillies théoriques évoquées plus haut.

6. Tout le monde est un peu mort. Michelle Rodriguez, qui rend visite à sa propre pierre tombale au début du film. Vin Diesel, à qui on administre un massage cardiaque à la fin. Paul Walker, décédé pendant le tournage. Gisele, sacrifiée à la fin de l’épisode précédent, Han, à l’enterrement duquel on assiste ici. “No more funerals”, répètent les acteurs. Gag : l’enterrement du méchant, promis au début, n’a pas lieu, puisque celui-ci survit – c’est qu’il faudra bien revenir dans Fast & Furious 8. Pire: Paul Walker survit lui aussi – et lui aussi reviendra sans doute. On ne fabrique pas un visage de synthèse aussi parfait pour ne pas s’en resservir au moins une fois. Une chose est sûre : Fast & Furious 7 est ce film où les gens ne savent pas mourir. Ils essayent (Dwayne Johnson, deux fois). Ils n’y arrivent pas.

7. Le cinéma est vu ici comme un mouvement de foules. Fast & Furious 7 est le premier film de l’histoire à rapporter, bon toutou, un milliard de dollars de recettes en 17 jours seulement. Même Titanic, même Avatar avaient eu besoin de plus de temps. C’est-à-dire que jamais autant de monde ne s’était simultanément senti aussi impatient de découvrir un produit culturel. Le secret tient à une technique de pêche. La drague, c’est fini. Maintenant, les industriels pêchent à la palangre : une longue ligne dérivant sur des kilomètres, hérissée de centaines de hameçons. Massacre assuré. Que vous soyez GTA V, Need for Speed ou Mario Kart, il y a un hameçon pour vous. Que vous soyez Jason Statham, Dwayne Johnson, Vin Diesel ou Michelle Rodriguez, il y a un hameçon pour vous. Que vous soyez latino, afro-américain, arabe, indien, caucasien, japonais, philippin, il y a un hameçon pour vous. Mêmes les enfants peuvent aimer parce qu’on ne voit pas de sang, tandis que les grands-mères s’attacheront au discours familialiste du film. La liste de ces films-palangres sortis très récemment est déjà longue : Avengers 2, Lego Movie, Expendables 3, X-Men: Days of Future Past, Fast & Furious 7 et, bientôt, Batman VS Superman. On pourrait dévaluer ces films a priori en se disant qu’ils sont fabriqués par des algorithmes. Sauf que ça n’est pas le cas. Joués par des images de synthèse ? Sans doute, mais il reste des humains derrière – le superviseur des effets spéciaux de Weta Digital, chargé de digitaliser ici le visage de Paul Walker, Joe Letteri, est l’un des orfèvres du tyrannosaure du premier Jurassic Park. Ressusciter les dinosaures, ressusciter les acteurs : le travail est le même, ce n’est jamais qu’un dessin. Les images de synthèse n’ont jamais été aussi peu coûteuses, et aussi nombreuses. On pourrait y voir une énième concrétisation de Matrix, qui voyait chaque partie du réel remplacée par son logiciel. Les humains sont toujours là cependant, il suffit de ne pas regarder les films avec des yeux de drone pour s’en convaincre.

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Fast & Furious 7, un film de James Wan, avec Vin Diesel (Dominic Toretto),
Paul Walker (Brian O'Conner), Jason Statham (Deckard Shaw), Michelle Rodríguez (Letty Ortiz).

Scénario : Chris Morgan / Photographie : Stephen F. Windon / Montage : Christian Wagner / Musique : Brian Tyler

Durée : 137 mn

Sortie : 1 er avril 2015.