Les films à dispositif sont dangereux. Le plus souvent, le fameux dispositif qui justifie la mise en scène est exploité chichement ou artificiellement. Les cinéastes s’imposent une rigidité qui nuit à la fois à l’émotion et à la réflexion. Au spectateur, il ne reste que la fatigue devant un procédé qu’on reconnait facilement mais qui varie peu, et qui est encore moins critiqué, ou retourné à l’intérieur même du film. Le prétendu dispositif devient une forme de pitch stylistique qui distingue mais ne propose rien. Très heureusement, ce n’est pas le cas de The Guilty : le dispositif évolue et devient, lentement mais sûrement, un moyen pour interroger la représentation de la conscience et de la responsabilité.
Le film se développe en trois temps. Au premier temps, le cinéaste impose le dispositif : un policier, une table d’écoute, des appels téléphoniques, des interlocuteurs différents que le spectateur ne verra jamais, une caractérisation des climats et des personnages par le son d’ambiance. La mise en scène est rivée à la texture de la voix et à la transmission du son. Le policier devient une sorte de relayeur ; il relance la fiction, élabore des hypothèses, enquête en laissant les gens parler. C’est la partie la plus théorique, et finalement la moins intéressante car elle nous laisse admirer le déploiement d’un savoir-faire, la façon dont un cinéaste peut exploiter abstraitement certaines contraintes. Le récit de culpabilité et de tribunal que le scénario ajoute paraît alors lourd et superflu. Cette partie comporte toutefois des moments intéressants, lorsque l’écoute et le son sont suspendus, que la conscience se laisse absorber, que la voix dans sa quotidienneté devient pressante, presque autoritaire.
Au second temps, le scénariste montre sa malice et impose sa part de surprises, de méprises ou d’erreurs d’interprétation. C’est l’influence peut-être de Conversation secrète. On peut écouter aussi attentivement que possible, on est toujours abusé par sa bonne conscience ou par son souci de faire le bien. Cela ne devient vraiment intéressant que lorsque le spectateur comprend à quel point ce que le policier échafaude est fragile. Le cinéaste oppose alors le visible et le sonore, ce qu’on croit voir grâce au son et ce qui est donné pour réel. Le sonore paraît incomplet pour élaborer une représentation solide, infaillible de ce qui est, mais le visible est tout aussi fragile. Le son devient un espace des possibles, et très souvent, on se prend à fermer les yeux, à se demander si le film vaut vraiment le coup d’être vu. Il faudrait alors que le spectateur parle danois.
La troisième partie montre au contraire le travail de l‘image : pas tant dans l’utilisation de la lumière ou dans la violence du montage que dans la maîtrise de la durée des plans. Alors, le film prend tout son sens : il n’est pas la mise en place d’un suspense, mais l’examen d’une prise de responsabilité. L’Autre est une voix qui nous ordonne d’agir et de faire. Le policier ne parle qu’à des personnages chez qui il remarque ses failles et ses angoisses. Ce sont eux, en fait, qui relaient ses doutes, bien plus que lui ne relaie leur récit. L’acmé du film n’est pas une révélation ou un twist mais l’acceptation d’une prise de parole. Le policier n’est plus obligé d’écouter mais se résout à parler et à convaincre. Cette dimension morale est belle, et le cinéaste sait la représenter en montrant soit un visage, soit une nuque ou une main. Les dilemmes de la conscience ne sont pas incarnés exclusivement par le visage humain, mais par la position d’un corps, la torsion d’un cou. L’acteur est à ce titre très convaincant. Il n’y a plus vraiment un dispositif, mais un circuit entre la parole, l’Autre qu’on ne peut voir et la voix qui nous rappelle à nos actions. C’est, selon Möller, le circuit de la conscience humaine.
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