Alors que l’épisode inaugural voit une Ferrari traverser la verrière du Louvre, au quatrième, notre héros fuit avec sa complice au volant d’une Twingo. Voilà qui résume assez bien la courbe d’une série dotée d’une carrosserie italienne, mais qui peine à dépasser les quatre chevaux : la faute à un scénario calamiteux, à des seconds couteaux élimés et des rebondissements prévisibles – un comble pour un héros qui se targue d’être un maître de l’illusion.
Pourtant, les premiers épisodes ne vont pas sans soulever quelques promesses, à commencer par un mariage bienvenu entre film de casse et compréhension du monde social. En effet, loin de l’imagerie commune d’un Arsène en frac, la force d’Assane Diop, lecteur invétéré de l’œuvre de Leblanc, joué par un Omar Sy convaincant et convaincu, est de savoir se fondre dans le flux du nouveau sous-prolétariat invisible. La série surprend par son attention aux agents d’entretien qui vont et viennent au Louvre par des couloirs et portes séparées, aux espaces exigus de la prison de Bois d’Arcy ou à la multitude de livreurs à vélo qui sillonnent la capitale. Plus qu’un argument social ou un quelconque effet de réel, la série a l’intelligence, dans sa première moitié, de mobiliser la circulation et l’invisibilité sociale propre à ces travailleurs et déclassés pour offrir à son héros autant de moyens de disparaître à sa guise[11] [11] Bien aidé, il est vrai, par des ficelles scénaristiques grossières. La confrontation des témoins ayant eu affaire aux différents alias d’Assane, et débouchant sur des portraits robots radicalement opposés, est d’un ridicule confondant, tant les déguisements du gentleman cambrioleur se résument la plupart du temps à des lunettes ou un bonnet. La liste des invraisemblances narratives témoigne d’une paresse d’écriture rare, indigne des moyens mis en œuvre. .
L’effort mérite d’être signalé, tant il relève du grand écart avec son modèle littéraire. Une illustration d’une nouvelle que lit Raoul, le fils d’Assane, nous montre Arsène derrière les barreaux, conservant monocle et haut de forme. Dans cette aventure, le cambrioleur se fait également interner volontairement pour les besoins d’un coup fumant, mais sous sa véritable identité, au vu et au su de tous. Loin de lui l’idée de partager la condition des autres détenus anonymes : il se fait livrer ses repas par le restaurant voisin. On est loin des plateaux où crachent les matons et des coups de surin en promenade.
L’autre force d’Assane, c’est une capacité de prévoyance hors du commun, qui lui donne « toujours un coup d’avance ». De la trahison des voyous à la corruption des policiers ou des gardiens de prison, notre héros connaît les comportements de ses contemporains, anticipe leurs actions et les intègre à ses plans. Une métaphore revient à plusieurs reprises : ce monde est un jeu, avec ses règles, qu’il faut connaître pour mieux les subvertir. Cette image du jeu dit bien comment l’écriture semble s’arrêter au milieu du guet : les inégalités sociales pointées par la série, et sur lesquelles s’appuie son personnage, ne viennent pas des règles mêmes, mais de quelques joueurs mal intentionnés. Ainsi de la police : si elle est à la botte des puissants, ce n’est pas lié à son fonctionnement institutionnel, mais parce que quelques individus font pression sur ses cadres. De même, Pellegrini, qui personnifie à lui seul le « Grand-Capital », est un patron philanthrope, qui « paye ses impôts en France ». Bien qu’un accessoiriste ait jugé bon de laisser traîner un livre de Piketty sur la table de la journaliste Fabienne Bériot, ce ne sont pas les désastres sociaux provoqués par l’existence de telles fortunes qui posent problème, mais les sorties de piste (vente d’armes, arnaque à l’assurance) d’un protagoniste immédiatement dépeint comme antipathique, raciste et paranoïaque.
Cette lecture individualisante est finalement exemplifiée par ce héros solitaire qui, pour arriver à ses fins, fait feu de tout bois. Des petits mafieux crétins qu’il envoie en prison aux badges dérobés à ses « collègues » du Louvre, les conséquences de ses larcins semblent ne jamais l’effleurer. Le scénario épouse finalement cette morale utilitariste, en introduisant et en sacrifiant à chaque épisode des adjuvants caricaturaux pour la seule nécessité de l’intrigue, à l’image de la malheureuse journaliste d’investigation, qui avait pourtant le potentiel d’être un personnage complexe. Placée sous le patronage de Zola – joli petit gag : son chien « J’accuse » aboie dès qu’il entend « Pellegrini » –, elle aurait pu apporter à ce feuilleton à vocation populaire une vraie dimension politique : on aurait aimé voir Lupin prendre appui sur elle pour décrire et affronter un véritable empire financier, à la place de cet inoffensif patron-mafieux d’opérette, qui a le bon goût de négocier en personne ses armes avec des terroristes, qui plus est sous l’œilleton opportun d’un caméscope amateur[22] [22] On appréciera au passage le traitement du travail d’enquête, qui confine au mépris, et l’absence totale de contre-pouvoir journalistique, puisque l’ensemble des médias, presse et télé réunis, obéissent au seul Pellegrini. .
Mais de toute évidence, l’objectif était ailleurs. En voulant tout à la fois s’inscrire dans l’ombre d’Arsène, et donner un coup de neuf à sa mythologie, les auteurs ont oublié que l’une des inspirations (inavouées) de Leblanc était l’anarchiste Marius Jacob. Lecteur de Reclus et de Kropotkine, ce dernier considérait sa bande – les « Travailleurs de la Nuit » – comme des prolétaires du crime et reversait un pourcentage de ses astucieuses rapines à la cause et aux camarades. Quant à Lupin lui-même, le cambriolage lui est moins un moyen de s’enrichir qu’un exercice de style et il a lui aussi tendance à distribuer aisément ses gains de-ci de-là – facette du personnage mollement reprise ici[33] [33] La série donne l’impression de ne pas assumer le côté transgressif de son inspirateur, et cherche à tout prix à moraliser son héros. Quand il libère un détenu pour prendre sa place, il lui rappelle qu’il le gardera à l’œil et le fera tomber s’il replonge. Ses victimes apparaissent toutes comme des personnages négatifs, comme s’il fallait que la bourgeoise qu’il détrousse soit nostalgique des colonies pour que le scénario “l’autorise” à le faire. Et bien sûr, la quête de la vérité sur le père et le kidnapping final achèvent de tirer la série de ses enjeux sociaux vers les démons personnels. . Plus encore, il lui arrive de s’impliquer personnellement dans des affaires diplomatiques, à la manière d’un aristocrate défendant secrètement les intérêts de l’Etat. A l’inverse, Assane semble avoir fait sienne une autre idéologie lorsqu’il déclare en se débarrassant de son bleu pour s’échapper du Louvre en costard : « Vous entrez balayeur et vous sortez millionnaire ». Voilà une ambition en phase avec les mythes de son époque.