« Nous vos nouveaux propriétaires et les futurs propriétaires de tous les lieux culturels fauchés, nous allons les réorganiser, les rentabiliser, les sécuriser. Et pour vous qui aimez l’art, nous vous ferons une belle déco, avec des palettes en bois pour satisfaire votre envie de lieux alternatifs, pour les bobos », déclare Bane devant le stade médusé dans Batman, Dark Knight Rises, ou plutôt, dans le sous-titrage de son allocution, détournée par les occupant·e·s de La Clef dans un ciné-tract. Car la prise du Groupe SOS sur le dernier cinéma associatif de Paris se resserre dangereusement. Depuis les derniers rebondissements de la lutte que nous rapportions en janvier, de bonnes nouvelles et une moins bonne étaient à l’ordre du jour de la conférence de presse de La Clef Revival.
La moins bonne d’abord
Le délai de six mois obtenu en appel par l’association Home Cinéma est arrivé à son terme, ce qui signifie que les forces de l’ordre peuvent être à tout moment mandatées pour expulser les occupant·e·s, d’autant plus qu’une clause suspensive stipule bien que la vente, bien que conclue, ne pourra être effective que lorsque le cinéma sera vide, autrement dit, l’empochement des millions du Groupe SOS est conditionné par l’expulsion.
Le Groupe SOS, quant à lui, s’est enfermé dans un mutisme total qui semble laisser deviner une stratégie du géant de « l’économie sociale et solidaire » consistant à attendre que tous les recours juridiques et associatifs soient épuisés pour pouvoir se poser en sauveur du lieu, et pourquoi pas, d’une série d’autres lieux culturels indépendants durement frappés par la pandémie.
Les bonnes nouvelles
L’enjeu est alors, pour l’association Home Cinéma, de faire de son activité débordante une force contre le géant en papier glacé. La longue fermeture des établissements culturels n’a pas empêché La Clef Revival de lancer sa radio éphémère au micro de laquelle se sont succédé·e·s plusieurs intellectuel·le·s et artistes (Françoise Verges, Bernard Friot, Pascale-Dominique Russo, Michel Chion…) et à laquelle nous participions avec notre tout premier podcast, son fanzine, le Studio 34 permettant de proposer à de jeunes cinéastes un accompagnement à la création durant toutes les étapes de la fabrication de leur film en présence de professionnel·le·s proches de La Clef, des ateliers d’initiation, la Petite évasion qui propose des ateliers dans les écoles et aux centres de loisirs municipaux…
Les soutiens continuent ainsi d’affluer, de la part d’artistes, d’habitant·e·s du quartiers constituant le collectif « Laissez-nous La Clef » et de citoyen·ne·s qui ont massivement répondu à l’appel à dons. La souscription populaire a désormais dépassé le seuil crucial de 100 000 euros, permettant la création du fond de dotation Cinéma Revival et fournissant une base de discussion avec des mécènes plus importants dont les dons ouvriront, à terme, la possibilité d’un prêt bancaire. Une fois rachetée, La Clef sera administrée suivant une formule tripartite choisie par les occupant·e·s de La Clef (évoquée dans notre précédent article) : le fond de dotation possédant les murs, désignant une association usagère pour la gestion des lieux, le tout accompagné par un conseil consultatif garantissant l’indépendance des deux instances, idéalement composé d’organisations extérieures qui aujourd’hui conseillent et guident les occupant·e·s dans leur réflexion (la foncière Antidote, La terre en commun, le Clip…). Cette structure a pour mission de séparer l’argent du pouvoir qui lui est attaché – y compris l’argent des mécènes – et de distinguer la propriété foncière de la propriété d’usage. Car l’enchère subite du Groupe SOS (propulsant le prix demandé par la CSE de 1 million d’euros à 4 millions, auxquels se sont ensuite ajoutés les 200 000 permettant de sécuriser la vente) posée sur la table avec la seule connaissance de la surface au sol (600m² dans le 5e arrondissement de Paris) sans que la moindre visite des locaux n’ait été effectuée, laisse présager une confiance inébranlable dans la rentabilité que pourra constituer cet espace à l’avenir… Un cinéma n’est pas, par définition, un fond de commerce très onéreux à l’achat, ni très profitable à l’exploitation (d’où le prix de vente modique si l’on considère uniquement la surface au sol), aussi, l’achat de La Clef constituerait-il un coup immobilier certain pour SOS qui pourrait exiger les loyers exorbitants, des prix de location élevés sans parler de la revente.
Le fond de dotation Cinéma Revival, lui, n’aura pas à se préoccuper de rentabilité. Il pourra ainsi aider d’autres structures associatives précarisées par le marché locatif parisien. Si la Mairie s’est désengagée du combat – outre son « soutien moral » réaffirmé en mai – en renonçant à préempter (PS : contre, LR-LREM : abstention, FI-EELV-Génération.s : pour), certain·e·s élu·e·s ont cependant conscience de l’avenir qui se dessine pour les lieux culturels à Paris. Avec la « course à l’échalote locative », le développement du modèle Airbnb, la spéculation immobilière et plus récemment, la pandémie, seuls risquent de subsister les lieux institutionnels perfusés par l’État, les galeries privées de haut standing et les multiplex. Les projets socio-culturels d’émergence tels que Main d’Œuvres à Saint-Ouen, le Lavoir Moderne ou la Flèche d’Or – et bientôt, La Clef Revival – sont pourtant plus que nécessaires au paysage culturel parisien, à la jeune création et à la diversité en matière de politique culturelle. La lutte continue !
Pour continuer de soutenir le fond de dotation Cinéma Revival : https://www.helloasso.com/associations/cinema-revival