La révolution n’est pas un concours de pets

A propos des Visiteurs : la Révolution, de Jean-Marie Poiré

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le 3 janvier 2017

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Printemps 2016. Je passe devant la façade d’un cinéma, et mon œil est attiré par une affiche hideuse. Je n’ai plus un rond, alors je me vois mal aller au cinéma. Surtout pas pour Les Visiteurs : la Révolution. J’erre en ville depuis le début de l’après-midi, tous mes amis semblent avoir disparu, et les visages des inconnus me renvoient dans les limbes. Le soir est là, je passe sur la place de la mairie, où des gens se réunissent pour discuter. Nuit Debout. Je les observe, les mains dans les poches, immobile. Je garde mes distances, un brin amusé par la naïveté qui se déploie à longueur d’interventions, mais aussi épaté par le courage des garçons et des filles qui se livrent, toutes tripes dehors. Sur leurs désarrois, leurs malheurs, mais aussi leurs rêves. Je trouve ça beau, alors je filme, avec la caméra que j’ai embarquée sans trop savoir pourquoi. Ça me permet, sans doute, de mettre une barrière pour ne pas m’effondrer. Je vois passer les gens, une bonne partie snobe sans complexe les bouseux assis sur les pavés. Certains de ces passants trop pressés, peut-être, vont voir Les Visiteurs : la Révolution. Je n’en sais rien. Le film que j’ai tourné, lui, personne ne le verra. Ça, c’est presque certain.

Qui est allé voir Les Visiteurs 3 ? S’il s’agit du public des premiers épisodes de la série, des nostalgiques de ma génération, et bien je peux dire sans trop m’avancer qu’ils n’ont pas une connaissance approfondie des événements historiques qui servent de cadre au film – et je m’inclus dans le lot. Pour les jeunes trentenaires, qui ont grandi avec Jacquouille la Fripouille et Godefroy de Montmirail, la Terreur, c’est d’abord une terrible confusion. Les jacobins, les girondins, la plaine et les montagnards ne nous évoquent que vaguement des différences idéologiques. Cela, Poiré et Clavier en ont probablement conscience. Il ne s’agit pas, alors, de s’attacher à savoir si le film est conforme à la “réalité historique”, mais de définir précisément quelles perspectives idéologiques se condensent en ses images. Car ce que cherchent à faire les personnes aux manettes des Visiteurs 3, sous couvert de grosse pochade à base de pets et de rots, c’est d’abord de distordre les perceptions des spectateurs pour les conformer à leurs idéaux politiques.

Les Visiteurs 3 prend d’emblée le parti-pris de la simplification, en inventant une figure centrale à la Révolution nommée Robespierre. On peut parler d’invention, tant tout ce qui à trait à ce personnage relève du fantasme le plus pur. On s’étonne ainsi de la manière dont la sorcière, qui prend en charge la voix off du film, va présenter l’homme politique :  « Robespierre a pris le pouvoir. On le surnomme l’Incorruptible. Il dirige tout ! Au nom du redoutable Comité de Salut Public ! » Poiré ne fait pas dans la demi-mesure, comme à son habitude : ces quelques phrases sont prononcées d’une voix d’outre-tombe, accompagnées d’accords sépulcraux. Pour renforcer encore l’effroi produit par la tronche crayeuse et fermée de Robespierre, on ajoute un plan gore à base de têtes coupées. Pour ceux qui n’auraient pas compris, Robespierre, c’est le Dark Vador de la Révolution. Un boogeyman classique, qui se nourrira d’ailleurs d’un boudin métaphoriquement confectionné avec le sang de ses victimes et beuglera des choses comme : « Je suis l’incarnation de la Terreur! ».

En caractérisant ainsi Robespierre, il s’agit d’abord de donner un visage – terrifiant – à la Révolution. Mais il s’agit aussi de nier l’idée même d’un mouvement populaire : Robespierre est le seul responsable de ce qui est présenté comme un massacre. À aucun moment il n’est fait état dans Les Visiteurs 3 des raisons qui auraient pu pousser le peuple à se soulever. Ce qui est montré, ce sont les morts violentes d’hommes d’églises apeurés et de gentes dames sans défense. La Révolution est uniquement présentée comme une période sanglante et inhumaine, durant laquelle on décapite à tour de bras. Le spectateur est placé dès les premières scènes du côté des aristocrates, enfermés dans des geôles comme du bétail sur le point d’être emmené à l’abattoir.

Il règne, du début à la fin du film, une ambiance délibérément mortifère. L’écran est poisseux, la bande-son beugle une lente agonie. Robespierre ressemble à un cadavre ou à un vampire, Marat est couvert de pustules, les corps déréglés débordent de pus et de merde, et les visages des héros, à force de fréquenter cette époque trouble, se déforment monstrueusement. Les secrétions sont verdâtres, les peaux comme plastifiées, le film est moite d’une transpiration fiévreuse. Ce que veut montrer Poiré, c’est que la Révolution fut une maladie pour la France : de grands angles frénétiques en panoramiques tordus, Les Visiteurs 3 est travaillé par un virus politique.

Agglutinés autour du corps délabré de Robespierre en une masse vile, les révolutionnaires ont dépeints comme des bourgeois fainéants qui manipulent le peuple, et cherchent d’abord à s’accaparer les richesses d’autrui. Ainsi, Marat, « l’Ami du Peuple » est un être maladif et hypocrite, qui considère, au fond que « citoyen » et « serviteur » sont synonymes. Son seul but est de voir des statues érigées en son honneur, et de se prélasser dans une baignoire. Sa présence, conjuguée à celle de Jacquouillet – le couard descendant de Jacquouille, marié à la sœur de Robespierre – vise à souligner la main-mise d’une bande d’incapables ivres de richesse et de gloire aux commandes d’un massacre à grande échelle.

Pour parfaire le tableau, les sans-culottes – incarnés par Marie-Anne Chazel et Pascal N’Zonzi – sont d’infâmes tordus à moitié décérébrés. Ils passent l’essentiel du film à monter des coups foireux, à se disputer ou à parler de cul. Ils sont également présentés comme les ancêtres des tenants actuels du multiculturalisme, auquel s’oppose fermement Godefroy le Hardi, qui grogne, en voyant un Noir : «Les Sarrasins sont parmi nous!» En dehors de ce couple, le peuple est singulièrement absent.

Les aristocrates, quant à eux, sont devenus excessivement raffinés, perdant par là même leur courage et leur abnégation à servir le Roi et Dieu. Une opposition est ainsi développée entre Godefroy le Hardi et son descendant Gonzague de Montmirail. Gonzague est pleutre et attifé de tissus délicats, tandis que Godefroy se met à genoux, récite une prière et hurle : « Le Roi est mort, vive le Roi! » avant de partir sauver seul le monarque. La France actuelle manque simplement de chevaliers au regard torve et à la foi aveugle, capables, on l’aura compris, de botter le cul aux racaillons des té-ci – nos sans-culottes à nous.

La consternation le dispute à l’ennui, mais le spectateur se réveille lors de l’épilogue. Après quelques péripéties inutiles à base de pets et de rots, les deux personnages principaux sont transportés dans la France de l’Occupation, et l’on retrouve, bien évidemment, un autre membre de la famille de Jacquouille. Celui-ci est un collaborateur actif, partisan de l’Europe que bâtissent ensemble les nazis et le maréchal. En choisissant d’ajouter cette scène, Poiré et Clavier ne se contentent pas d’ouvrir la saga vers un potentiel nouveau volet, mais proposent une analogie troublante entre la Révolution et la collaboration, puisque Jacquouillet faisait partie des révolutionnaires. Le corps de Clavier devient le lieu de démonstration d’une équation stupéfiante, que l’on pourra résumer ainsi : Pauvres = Révolutionnaires = Collaborateurs. Bien évidemment, le descendant de Godefroy est lui du côté de la Résistance, dont il dirige apparemment un réseau. On l’a compris, c’est aux preux chevaliers que la France doit confier les rênes de sa destinée.

Quelques mois après la sortie du film, tout le monde, ou presque, a oublié Nuit Debout[11] [11] Voir également la série de textes que Débordements a consacrée aux images de Nuit Debout : Allons-y ! : L’âge des metteurs en place*Le zbeul ou rienL’écran des affrontementsImager le peuple
De l’usage des caméras en manifestation.
comme Les Visiteurs 3. Il n’y a pas eu de révolution. Se profile en revanche une élection présidentielle qui risque de remettre le fait religieux au centre de la vie politique. Que Poiré et Clavier se rassurent, les gueux et les manants restent dans le hors-champ, et des visages bien plus effrayants que celui de leur Robespierre de pacotille se déploient en continu dans l’espace médiatique.

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