Monster Hunter, Paul W. S. Anderson

Des grands et des petits

par ,
le 5 mai 2021

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Paul W. S. Anderson est-il un grand ou un petit cinéaste ? Ça dépend à qui vous demandez : à ses défenseurs qui en font le modèle d’un vulgar auteurism de série B, post-moderne et avant-gardiste, ou à ceux qui rient devant la bêtise de ses films, qui ne consentent qu’à en sauver un ou deux à leurs yeux un peu moins mauvais que les autres (Event Horizon, le plus souvent). Sa filmographie, à peu près ignorée par la critique de cinéma institutionnelle, oscille entre adaptations de jeux vidéo et films de science-fiction à petit budget. Paul W. S. Anderson a cependant trouvé sur certains sites internet (de ses fans sur le réseau social cinéphile Letterboxd à la plateforme Mubi, qui a publié sur Notebook quelques articles à son sujet [11] [11] Accessibles ici ou . ) une forme de légitimité qu’il ne recherchait peut-être pas, lui qui dit s’intéresser principalement aux réactions du public et au succès commercial de ses films [22] [22] « I don’t make films for critics and I’m not particularly interested in what they have to say and they don’t have a bearing on my audiences. I’ve always positioned myself as a populist filmmaker. People see my films and they cheer and they clap and they are the kind of movies I like to see myself. Audiences are my barometer. », dit-il dans une interview. . Un travail reste à faire sur l’étrange réception de l’œuvre de ce cinéaste britannique.

Ses films, justement, ont toujours à voir avec la question du grand et du petit : ils racontent tous à leur manière la rencontre de personnages faibles (en puissance ou en nombre) avec une force qui les dépasse absolument, de l’état policier de Shopping à l’éruption volcanique de Pompeii en passant par la superpuissance de l’entreprise Umbrella et son armée de zombies dans Resident Evil. C’est souvent de cette confrontation que naît la force politique ou théorique de ses films, leur contenu pseudo-révolutionnaire (la lutte contre l’autorité dans Shopping, l’émancipation des esclaves dans Pompeii) ou réflexif (tout le dispositif de Resident Evil : Retribution qui fonctionne comme un grand studio de tournage), mais aussi leur grande force émotionnelle : Paul W. S. Anderson sait aussi créer en quelques traits des personnages forts, rendant leur combat contre des forces titanesques encore plus saisissant. Et l’on pourrait évidemment, en s’amusant un peu, faire de cette confrontation du grand et du petit la profession de foi du réalisateur, qui semble toujours reproduire, avec un budget moindre, les grands succès du cinéma américain (notamment ceux de Ridley Scott : Event Horizon évoque Alien, Soldier serait un « spin-off » de Blade Runner, Pompeii a un sujet proche de Gladiator…). Des versions « bis », moins larges, mais peut-être plus profondes, où la richesse formelle est inversement proportionnelle à la « qualité » de l’écriture. Anderson pourrait aisément être désigné comme un artisan formaliste s’étant donné comme objectif de chercher à chaque instant une forme d’hyper-stylisation ou de frénésie, de créer un effet de sidération esthétique constant, quitte à évacuer rapidement des scènes moins spectaculaires, celles qui lui laissent peu l’occasion de donner à voir sa virtuosité (il n’y a pas ou peu de scènes d’exposition dans ses films, leurs univers fantastiques étant le plus souvent résumés dans un préambule prenant la forme d’un monologue ou d’un texte défilant). Ni « worldbuilding », ni ample récit : ne compte que le rythme, l’énergie sensorielle qui se dégage des images. Cette sidération trouve aussi sa source dans la dimension abstraite des films : faite de grilles, de plateaux et de plans construits autour de formes géométriques, sa mise en scène est précise, milimétrée, certains diraient algorithmique ; c’est peut-être cette réunion d’un travail d’artisan hollywoodien et d’une précision géométrique dans la mise en scène qui pousse quelques critiques à le comparer à Fritz Lang [33] [33] On trouvera un exemple de cette référence régulière à Fritz Lang dans un des articles de Notebook cités ci-dessus, ou encore dans un article publié dans la revue canadienne Cinema Scope : « the simplistic but elegantly mounted layout of Resident Evil showed Anderson as a descendant of the geometric-style tradition running from Fritz Lang to John Carpenter » (disponible ici). .

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Monster Hunter, assurément, est un petit film – un film minuscule. Nouvelle adaptation d’un jeu vidéo (après Mortal Kombat et la série Resident Evil), il s’agit d’un film où cette lutte de David contre Goliath se fait littérale (l’histoire est celle d’un groupe de soldats américains transportés dans un monde parallèle peuplé de créatures gigantesques), mais où, étonnamment, elle n’amène ni possibilité critique, ni terreau théorique, ni force émotionnelle. Voilà un film où il n’y a à peu près rien : on a beau voyager entre les univers, c’est toujours un désert de sable qui s’étend sous nos yeux – les personnages eux-mêmes, lorsqu’ils passent de « notre monde » à un autre, pensent seulement s’être déplacés de quelques centaines de mètres. Difficile, d’ailleurs, de parler de personnages, tous vides d’identité ou de vitalité. Même le personnage principal, Artemis (Milla Jovovich), est identifié et caractérisé par des signes codés que le film n’interprètera jamais : une alliance gravée « Forever » conservée dans une petite boite en métal, des tatouages de dates et de lettres, tout cela n’étant que la trace d’un passé auquel il est impossible de croire (tout comme on peine à croire que ce film donnera lieu à une « suite », ce qu’il semble pourtant annoncer de bout en bout). Les évènements sont sans intérêt, les objectifs que les personnages doivent atteindre (tuer un monstre, atteindre un lieu) ne prennent jamais chair et semblent toujours parfaitement arbitraires.

Certes, les autres films d’Anderson ont aussi une part d’arbitraire dans leurs récits fait d’objets-clé à atteindre et de retours en arrière (ses films donnent une expression cinématographique au principe vidéoludique du backtracking) ; leurs personnages y sont aussi rarement particulièrement fouillés, simples avatars plus proches du cosplay que d’êtres psychologiquement complexes. Mais Anderson sait aussi creuser à l’intérieur de ces univers et de ces personnages superficiels en faisant de leur artificialité un accès vers une autre profondeur : peu importe qu’ils soient vides tant qu’ils laissent assez d’espace pour permettre des projections diverses et variées. À mesure que les films Resident Evil avancent, le personnage d’Alice devient de moins en moins humain (super-pouvoirs, clones…), mais il devient aussi une sorte de réceptacle émotionnel pour le spectateur, qui peut voir dans sa quête une analogie de tout geste libérateur ou de n’importe quelle recherche d’identité. De même, les motivations risibles de la société malveillante Umbrella (« contrôler le monde ») permettaient d’y voir une caricature prenant abstraitement la place de n’importe quelle institution à abattre (l’ordre social, les entreprises multinationales, la bourgeoisie…) [44] [44] En cela, les films de Paul W. S. Anderson (notamment les Resident Evil) doivent beaucoup à The Matrix, la « matrice » de la trilogie étant déjà le socle d’une multitude d’interprétations politiques, philosophiques ou esthétiques possibles plutôt qu’un signe guidant avec précision la signification du film. . Cet espace laissé au spectateur n’est pas qu’un espace vacant, mais bien un espace creusé au sein des images, construit méthodiquement par cette esthétique de l’abstraction et de la netteté. Malheureusement, aucun personnage, aucun décor de Monster Hunter ne contient assez d’espace pour pouvoir créer ce rapport privilégié avec le spectateur : ils ne sont pas seulement creux, ils sont plats.

Monster Hunter est en quelque sorte un film de Paul W. S. Anderson vidé de sa substance, de sa richesse. La matière même semble avoir disparu des mondes fantastiques qu’il s’amuse à fabriquer : lui qui aime habituellement filmer des effets de particules (de l’eau, de la poussière) ne s’amuse que très peu avec ce monde ensablé. Sans sujet, le film va de scène en scène, de cliché en cliché, en marchant vers cette grande tour fantastique sans jamais y croire, et sans jamais l’atteindre d’ailleurs. Ne subsiste plus que son plaisir d’un cinéma d’action de bonne facture, où cette lutte du grand et du petit n’est plus l’objet d’un désir de cinéma plus grand mais la finalité de sa recherche ; tout n’y est qu’un prétexte.

Dans ce désert vain et convenu, sans or ni pétrole, on trouve tout de même quelques idées, preuve qu’il y a bien un être humain derrière la caméra et que nous ne sommes donc pas tout à fait dans le pilotage automatique de blockbusters plus imposants [55] [55] Tendance bien décrite dans les articles de Camille Brunel sur Débordements, à propos, par exemple, du « désastre » de Godzilla 2 : King of the Monsters (« Plus personne pour s’occuper des plans : seuls comptent les personnages »), ou encore du « vide absolu » d’Avengers : Infinity War. . Subsistent quelques fragments, quelques scènes, quelques taches de couleur qui trouvent leur place sur des monochromes blancs (le sable) et bleus (le ciel) : des plaques de verre noir créées par le souffle d’une créature cracheuse de feu (l’occasion de beaux échanges entre les soldats, « How do you melt sand ? »), une voiture qui se retourne (par deux fois), une explosion de craie rouge… Autant de plans qui donnent à ressentir, par touches, la créativité plastique qui irriguait les autres films. Il s’agit maintenant, pour Paul W. S. Anderson, qui reste un ingénieux metteur en scène, d’habiter un vide immense et d’y trouver la manière la plus saisissante de donner à voir deux ou trois monstres : ni plus, ni moins.

Le film a au moins cette vertu pédagogique : démontrer le talent de metteur en scène de Paul W. S. Anderson autant que la vacuité de ce talent lorsqu’il est mis au service d’un film sans enjeux, sans personnages, sans intérêt. Monster Hunter n’est qu’un petit film sur de très gros monstres réalisé par un petit termite farberien que l’on se plaît, quand il fait de beaux films, à transformer en grand cinéaste : bref, une confusion entre l’infiniment petit et l’infiniment grand. Est-ce une découverte, ou une platitude ? Une prouesse, ou un échec ? Eh bien, ça dépend à qui vous demandez.

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Monster Hunter, un film de Paul W. S. Anderson, avec Milla Jovovich (Artemis), Tony Jaa (Hunter), Ron Perlman (The Admiral), T.I. (Lincoln).

Scénario : Paul W. S. Anderson / Image : Glen MacPherson / Montage : Doobie White / Musique : Paul Haslinger

Durée : 103 minutes.

Sortie française (VOD) : 28/04/2021.

Illustrations : Monster Hunter / Resident Evil, Shopping / Monster Hunter