Torture porn. L’horreur postmoderne

Porno ou pas ?

par ,
le 29 mars 2016

En juin dernier, Pascal Françaix écrivait pour nous un beau texte d’hommage à Christopher Lee dans “Trop de tombeaux pour Dracula“. Nous le retrouvons aujourd’hui à l’occasion de la publication de son essai Torture porn. L’horreur postmoderne chez Rouge profond. Afin d’introduire le lecteur non averti aux problématiques qui ont déterminé l’apparition de l’expression torture porn, Jean-Sébastien Massart revient sur l’article fondateur du critique David Edelstein, publié en 2006 dans le New York Magazine.

***

« I didn’t understand why I had to be tortured »

(David Edelstein, “Now playing at your local multiplex : torture porn”)

En février 2006, le critique américain David Edelstein décrivait son malaise devant une nouvelle catégorie de films qui, dans le sillage de Saw de James Wan (2004), colportaient dans les multiplexes américains une horreur malséante et obscène. Ces films – Hostel d’Eli Roth, The Devil’s Rejects de Rob Zombie et Wolf Creek de l’Australien Greg McLean – le critique allait les ranger sous l’appellation torture porn. Si l’expression correspond à une esthétique aujourd’hui bien connue et repérable (décor carcéral, scènes d’humiliation et de mutilation, rapports de domination plus ou moins consentis), son apparition dans le discours critique en 2006 peut s’expliquer par un réflexe conservateur. Pour Edelstein, ces films opéraient un déplacement moral dangereux, dont l’une des sources remonterait à la scène de torture de Reservoir dogs (Tarantino, 1992), désignée dans l’article comme l’une des matrices possibles du torture porn.

Edelstein constate à propos de cette scène qu’elle ne nous dit plus le point de vue exact que nous habitons : celui du policier torturé ? celui du sadique qui le torture ? En jouant avec la responsabilité morale de ce qui est représenté à l’écran, en transformant même la scène de torture en show, puisque le bourreau incarné par Michael Madsen danse joyeusement sur Stuck in the middle with you, Tarantino ouvrait la voie à ce que Pascal Françaix appelle dans son livre l’horreur postmoderne, c’est-à-dire une horreur sceptique et sans socle moral, dont la violence extrême et le nihilisme n’ont pu manquer de tourmenter la critique américaine. A l’époque, aujourd’hui lointaine, du slasher, la même critique a pu s’offusquer de la violence explicite de certaines scènes de meurtre, avant de comprendre que la logique du slasher était fondamentalement la sienne : sur le modèle d’Halloween et de Vendredi 13, le slasher avait fait du tueur un garant de l’ordre moral, soldat masqué du puritanisme sanctionnant à coups de couteau les poussées libidinales de la jeunesse américaine des années 70-80.

Il serait difficile d’en dire autant des torture porn des années 2000-2010 : sur quelle moralité se fondent en effet les expériences monstrueuses du scientifique de The Human centipede (Tom Six, 2010) ou le tournage du snuff movie dans A Serbian Film (Spasojevic, 2010) ? Ces films, tournés en Europe, s’éloignent nettement de la bienséance américaine, ils pourraient presque justifier les arguments d’Edelstein, tant l’horreur qu’ils représentent paraît gratuite, affranchie de toute moralité : presque innocente, en somme.

A lire attentivement l’article d’Edelstein (on le trouve en ligne sur le site du New York Magazine) on s’aperçoit que le critique soulève des questions passionnantes sur l’horreur contemporaine. Il est sans doute le premier à déceler le rapport entre l’esthétique carcérale de Saw et d’Hostel et les images horribles d’humiliation et de torture venues de la prison d’Abou Ghraïb. Il est aussi le premier à poser la question de la propagande implicite orchestrée par la série 24, qui consacre une saison entière à justifier la torture au nom de la menace terroriste. Autrement dit, Edelstein comprend dès 2006 que la torture horror est un phénomène esthétique majeur, qui déborde largement le cadre du cinéma de genre : les débats qu’ont suscités les scènes de torture de Zero dark Thirty (Kathryn Bigelow, 2013) ou d’Heli (Amat Escalante, 2014), le calvaire subi par la jeune lycéenne de Despues de Lucia (Michel Franco, 2012) ou, sous une forme plus grotesque, celui de Daisy Domergue dans The Hateful 8 (Tarantino, 2016) montrent à quel point l’imaginaire du torture porn s’est infiltré dans le cinéma d’auteur – il faudra peut-être un jour se demander pourquoi le récit de calvaire est devenu une fable si récurrente et si universelle.

Dans l’extrait qu’il propose généreusement à Débordements, Pascal Françaix aborde la question de l’amalgame entre horreur et pornographie. Le qualificatif de porn qui a été accolé à la torture horror du milieu des années 2000 explicite le désir – très conservateur – de renvoyer des films jugés déviants dans les marges de la distribution. Rétrospectivement, la croisade semble avoir été gagnée puisque le torture porn s’est éteint commercialement après la fin du cycle Saw (en 2010) et ses réalisateurs les plus emblématiques sont revenus vers des formes d’horreur plus classiques, James Wan en rendant hommage à L’Exorciste (Conjuring, 2013), Rob Zombie en réalisant un prequel d’Halloween (2007) et Eli Roth en reprenant le scénario de Death Game dans Knock knock (2015) et celui de Cannibal Holocaust dans Green inferno (2015). L’obscénité a disparu dans le champ actuel de l’horreur mainstream, mais elle a existé si puissamment à travers le torture porn que l’expression réprobatrice de David Edelstein s’est imposée dans le vocabulaire critique.

Il est clair que Pascal Françaix ne souscrit nullement aux analyses conservatrices d’Edelstein, pas plus qu’il n’entend repérer, dans le corpus de films qu’il commente, les échos d’Abou Ghraïb ou de la politique sécuritaire qui a caractérisé le double mandat de George W. Bush, entre 2001 et 2009. Son approche du genre est parfois gender lorsqu’elle aborde les relations de soumission/domination inscrites dans le schéma du torture porn, mais elle dépasse la lecture gender pour questionner plus largement les rapports de sexe à travers le prisme de l’horreur. Parce qu’il pose une relation de pouvoir entre deux personnages réduits à des rôles – le bourreau et la victime – le torture porn libère des pulsions érotiques, travesties plus ou moins consciemment sous des formes diverses, des plus mainstream (scènes d’humiliation et de mutilation représentant le tout-venant du torture porn) aux plus expérimentales (décor réduit à une table médicale dans NF 713, fétichisme du vomi dans la trilogie Vomit gore de Lucifer Valentine).

Reprenant les analyses de Linda Williams dans Hardcore (1999), Pascal Françaix explique que le cinéma d’horreur a pu être assimilé à la pornographie dans la mesure où il procède à un transfert de la pulsion érotique vers le spectacle horrifique. De nombreux films du début des années 80 ont exploré cette contiguïté des genres : L’Eventreur de New York (Fulci, 1982), Dressed to kill et Body double (De Palma, 1980 et 1984) notamment. Mais ce point de vue doit être nuancé car si les effets cathartiques sont comparables, ce qui est représenté à l’écran diffère radicalement. Sauf à supposer que le torture porn soit un authentique snuff movie – et beaucoup de torture porn jouent sur cette frontière, le plus connu d’entre eux étant A Serbian Film – la torture horror s’inscrit dans un régime de simulation (donc de fiction) alors que la pornographie repose, par principe, sur la non-simulation. Autrement dit, c’est l’articulation du réel qui différencie la pornographie de l’horreur.

Dès lors, les réflexes défensifs exprimés dans l’article d’Edelstein portent moins sur la représentation de la torture en elle-même – Edelstein fait d’ailleurs feu de tout bois, englobant dans le torture porn des films tels qu’Irréversible (Noé, 2002 ) ou La Passion du Christ (Gibson, 2004) – que sur le nihilisme de films n’offrant même plus au spectateur une identification possible à une éventuelle final girl, ce personnage de guerrière qui échappait à l’hécatombe dans les slashers des années 80-90. Le problème que pose le torture porn réside essentiellement dans son implicite. Pascal Françaix remarque que la nudité est presque inexistante dans l’ensemble du cycle Saw, tandis que dans Hostel, les parties érotiques et horrifiques du film sont nettement différenciées. Une lecture attentive de la plupart des films de torture mainstream – et c’est à cette tâche que s’emploie le livre de Pascal Françaix dans deux chapitres majeurs, l’un consacré à Saw, l’autre à Hostel – révèle donc que l’amalgame établi entre l’horror et le porn est nié par les films eux-mêmes, qui s’inscrivent souvent, à l’image de Saw, dans la tradition de l’horreur puritaine issue du slasher.

Mais Saw n’indique qu’une tendance générale et parmi le corpus de films analysés dans le livre, on trouve des exceptions passionnantes. A Serbian Film en est une : en faisant de son personnage principal un ancien hardeur plongé à son insu dans le tournage d’un snuff movie qui défie tous les tabous (nécrophilie, pédophilie), le film joue remarquablement sur la réputation sulfureuse qui caractérise le genre, élaborant un dispositif de distanciation (celui du film dans le film) pour rappeler au spectateur qu’il se situe bien dans un espace d’artificialité – l’esthétique du film, très stylisée, n’ayant rien à voir avec celle d’un snuff. Mais ces précautions étant prises (on voit souvent des techniciens ou des caméras dans le champ), le film s’autorise une transgression sans limite et s’achève sur un épilogue d’un nihilisme absolu.

Dans une perspective assez proche, bien que le film soit nettement plus expérimental, NF 713 (China Hamilton, 2009) travaille à réduire son dispositif carcéral à un décor presque théâtral (un fond noir, une table de médecine) pour accuser l’artificialité de l’espace créé entre le bourreau et la victime. C’est un exemple fascinant à deux points de vue : d’abord parce que le torture porn est mis à nu, réduit, par l’exercice de style, à son essence (un bourreau et une victime). Ensuite parce que le film, qui a intellectualisé son projet, rend problématique la question de l’artifice et de la non-simulation. Dans un décor qui rappelle le cabinet dentaire de Marathon Man, le réalisateur joue le rôle du bourreau, il fait subir à sa victime (l’actrice Niki Flynn) des attouchements de plus en plus poussés. Pascal Françaix note très justement que le film s’inscrit sur le terrain de la violence sexuelle : « Le docteur Mueller [China Hamilton] apparaît moins comme l’incarnation d’un pouvoir répressif que comme un vieillard libidineux dont le principal objectif est de soumettre Eleanor [Niki Flynn] à ses fantaisies sadiques ». Cas fascinant, NF 713 part du cadre du torture porn pour le transfigurer en un jeu érotique proche du rituel S.M, interrogeant le désir féminin à rebours de la perspective féministe classique – puisque la confusion entre l’actrice et le personnage d’Eleanor rend le film particulièrement retors si on l’aborde d’un point de vue gender. L’actrice ayant déclaré que « le jeu de rôles [était] au moins aussi important pour [elle] que le châtiment corporel », Pascal Françaix conclut que « NF 713 permit à la comédienne de concrétiser les fantasmes masochistes indissociables de sa démarche créatrice […]. Le film propose une remise en cause des codes de réception du cinéma horrifique et, à plus forte raison, du torture porn […]. La torture, rapidement dépouillée de ses alibis idéologiques, n’apparaît plus seulement comme un dérivatif à l’acte sexuel, mais comme un rituel érotique avéré […]. Notre résistance à cette notion (d’où résulte notre investissement émotionnel) ne peut être attribuée au spectacle lui-même, mais à notre capacité à dépasser notre culpabilité de témoins d’actes qui ne se font pas, même pour de faux. »

David Edelstein n’a sans doute jamais vu NF 713, mais les réflexes défensifs qu’il appelle de ses voeux dans son article reflètent la même défiance à l’égard de ce qui est inconvenant, de ce qui ne se fait pas, de ce qui ne doit pas être montré dans les mutiplexes.

La critique française s’est tellement désintéressée de la torture horror qu’elle n’a jamais cherché à analyser la réception de ces films et à poser clairement la question de leur ambiguïté : ambiguïté de leur rapport à la morale puritaine et patriarcale, incertitude de leur position sur les rapports de sexe – boulet éternel du cinéma d’horreur, toujours soupçonné de misogynie. L’une des qualités majeures du livre de Pascal Françaix réside dans le soin et la clarté avec laquelle il analyse les problèmes de réception que posent ces objets bizarres et dérangeants que l’on a désignés sous le nom de torture porn – et l’intelligence avec laquelle il démonte les contradictions de leur discours. Grâce à ce livre, le cinéma d’horreur contemporain, que l’on a souvent dénigré un peu vite en France, est restitué dans son foisonnement comme dans le trouble qu’il continue de susciter au regard des convenances sociales et morales.

Jean-Sébastien Massart

torture_porn_02.png

Forgée dans une intention dénigrante, l’expression torture porn emploie le second terme afin d’accroître la défiance d’un public déjà hostile à l’idée de supplices physiques. L’effet cumulatif est d’une efficacité redoutable, mais il s’opère au détriment d’une juste appréhension du sous-genre. En tant que représentation explicite d’actes sexuels, la pornographie est absente du torture porn. S’il en allait autrement, les films ne bénéficieraient pas de la distribution commerciale classique qui leur est reprochée. Le terme porn est ici employé dans une acception plus large, comme la « représentation de détails obscènes dans certaines œuvres littéraires et artistiques » (définition du dictionnaire Larousse). Étymologiquement, l’obscène désigne ce qui ne saurait être porté sur la scène publique (ob-scène), et doit être maintenu dans la sphère privée – ou, plus radicalement, faire l’objet d’un refoulement. Est taxable d’obscénité ce qui procède d’un « complet mépris du clivage public/privé[11] [11] Laura Kipnis, Bound and Gagged : Pornography and the Politics of Fantasy in America, Durham, Duke University Press, 1996, p. 171. » – un aspect fréquemment invoqué dans les études consacrées à la pornographie. La représentation explicite de la sexualité (et de ses organes) constitue un manquement à ce clivage, auquel s’ajoute l’exhibition du corps souffrant, malmené, morcelé, avili ou mort. Dans cette optique, les multiples atteintes à l’intégrité du corps illustrées par le torture porn, ses chairs malmenées et ses démembrements, participent d’une obscénité que les garants de l’éthique et les censeurs sont fondés à qualifier de pornographique. Toutefois, souscrire à cette dénomination implique une adhésion aux critères de ce qui est ou non représentable, une reconnaissance de ce qui est ou non obscène, et, partant, un acquiescement à une régulation de l’art par l’éthique qui indispose de nombreux analystes du cinéma d’horreur.

Le bien-fondé de l’appellation torture porn est en outre contredit par une autre caractéristique de la pornographie : sa représentation d’actes non simulés. Il n’y a pas plus de tortures réelles dans le sous-genre que d’ébats sexuels authentiques. Comme l’écrit un opposant à l’emploi du label, « s’il s’agit de torture porn, c’est au pire (au mieux ?) du softcore[22] [22] Reginald Williams, « Torture Porn : Why this Horror Genre Moniker is a Misnomer », site Blogcritics, 2008, consulté le 5.09.13. ». Dans son essai Hardcore, rédigé en réponse aux croisades féministes anti-porn, Linda Williams s’interroge sur l’assimilation du cinéma d’horreur à la pornographie, tout en reconnaissant que les deux genres participent d’une « frénésie du visible » – « le spasme involontaire de la douleur culminant dans la mort », dans le cas du premier, qui « peut être pensé comme un substitut pervers du spasme involontaire et invisible de l’orgasme, si difficile à visualiser dans le corps de la femme[33] [33] Linda Williams, Hardcore : Power, Pleasure, and the « Frenzy of the Visible », Berkeley, Los Angeles, University of California Press, 1989, p. 194. ». En d’autres termes, le cinéma d’horreur opère un déplacement du plaisir dans la douleur.

Williams formule cette réflexion dans le cadre de son analyse du film Snuff de Michael et Roberta Findlay, objet de virulentes protestations de la part des féministes, qui en firent un emblème de leur campagne anti-pornographique – alors qu’il s’agissait d’un film d’horreur, qui plus est d’une risible médiocrité. Dans la scène finale – ajoutée par le producteur à une bande tournée cinq ans plus tôt par les Findlay (Slaughter) –, la caméra s’éloigne de la scène filmée (le meurtre d’une femme enceinte, allusion directe au meurtre de Sharon Tate par les disciples de Charles Manson) pour révéler le plateau de tournage et l’équipe du film. Le réalisateur propose à son assistante de lui faire l’amour, puis l’attaque subitement, lui entaille l’épaule, lui sectionne les doigts, lui coupe une main à la scie électrique, et l’éventre sous le regard de la caméra, portée par un opérateur complice. Cet épilogue extradiégétique (filmé par le réalisateur de films pornographiques Carter Stevens) fut vendu par le matériel publicitaire comme un métrage snuff, ce que dément la grossièreté des effets spéciaux. Cette procédure visait à convaincre les critiques que « si ce qu’ils avaient vu auparavant était de la violence factice relevant du cinéma d’horreur, ce qu’ils voyaient maintenant était de la violence réelle (hardcore) appartenant au genre pornographique. L’obscénité particulière de cette dernière séquence résidait ainsi dans le remplacement pervers d’actes sexuels hardcore et pornographiques, qui débouchent traditionnellement sur une pénétration, par la violation et la pénétration de la chair même[44] [44] Ibid., p. 192. . »

Colva Weissenstein mitige l’amalgame horreur/pornographie étudié par Williams, en soulignant que la seconde est « liée à l’articulation du “réel” », tandis que, « pour sa part, le film d’horreur est l’espace de l’artificialité[55] [55] Colva Weissenstein, Negotiating the Non-Narrative, Aesthetic and Erotic in New Extreme Gore, thèse soumise à l’Université de Georgetown, Washington, 2011, p. 85, consultable en ligne sur le site de l’Université de Georgetown. ». Non seulement les supplices présentés par le torture porn sont simulés, mais ils défient régulièrement toute prétention au réalisme, par leur extravagance et leurs effets ostentatoires de mise en scène. Ils s’inscrivent plus volontiers dans la tradition du Grand-Guignol – la franchise Saw en est un parfait exemple, tant sur le plan esthétique que narratif – que dans celle du cinéma vérité, même si quelques films (le cycle des faux snuffs) imitent le style de ce dernier, ou prétendent à l’exactitude scientifique (The Human Centipede et sa délirante expérience soi-disant validée par un authentique chirurgien).

On peut en revanche contester l’argument de Reginald Williams, pour qui les ingrédients et les ressorts classiques de l’érotisme occupent un espace très restreint dans le torture porn. « La présence d’un sein ou d’un cul nus rendent-ils un film pornographique ? » interroge-t-il. « Un fauteuil pour deux [Trading Places] et Retour à la fac [Old School] sont-ils de la comedy porn ? Et qu’en est-il d’American Beauty ? Doit-on le rejeter dans le genre drama porn ? Comment appellerions-nous la franchise Halloween selon les critères d’Edelstein[66] [66] Reginald Williams, « Torture Porn : Why this Horror Genre Moniker is a Misnomer », op. cit. ? » Pour l’auteur, la nudité est certes présente dans le sous-genre, mais moins dans « l’intention délibérée de provoquer l’excitation sexuelle du public », pour reprendre une définition de la pornographie[77] [77] Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, http://www.cnrtl.fr/definition/Pornographie. , que comme un élément périphérique, qui du reste ne conduit pas à une « extase sexuelle ou à un (réel) orgasme ».

Ce constat ignore le processus de transfert des tensions érotiques dans le spectacle gore, signalé par Linda Williams. Il néglige la corrélation étroite maintenue par quelques films entre sexe et violence physique, en particulier dans les déclinaisons asiatiques du sous-genre et dans de nombreuses productions underground. Si la plupart des torture porn américains se montrent timides dans leur composante érotique, d’autres ne manquent pas d’utiliser la nudité en tant que source d’avilissement et de vexation, comme un condiment essentiel à l’impact des scènes de torture. L’occurrence est plutôt rare dans la production mainstream – la franchise Saw est pratiquement dénuée d’érotisme et ne fait aucune allusion à des tortures sexuelles – mais elle alimente les deux premiers opus de la série Hostel – bien que le premier film soit clairement divisé en deux parties : l’une érotique, l’autre horrifique, qui ne se fondent qu’incidemment au niveau du sous-texte homophile – et s’exprime avec force dans maintes productions plus confidentielles.

Le rejet ou la contestation de l’appellation torture porn et de son dérivé, le Gorno, ont incité quelques commentateurs à lui trouver des variantes plus appropriées, tels que New Extreme Gore, Torture Films ou Torture Horror. Je n’utilise pour ma part la formulation d’Edelstein qu’en raison de son implantation désormais établie dans le vocabulaire cinéphilique, et non pour ce qu’elle induit de moralisme et de confusion conceptuelle. En tant que divulgatrice de l’obscène, et donc perturbatrice des clivages traditionnels de goût, de culture et de pratiques sexuelles, la pornographie apparaît comme une forme d’expression non seulement légitime, mais potentiellement progressiste. Ce n’est certes pas l’opinion de ceux qui associent son nom à la nouvelle mouvance du cinéma horrifique. Prêtant à la pornographie tous les méfaits de l’illicite, ils en font un épouvantail dont la défroque leur sert à revêtir toute œuvre ou ensemble d’œuvres s’opposant à l’observance des tabous sociaux qu’ils promeuvent. L’expression torture porn ne s’est imposée que par la volonté de stigmatisation des critiques et du public conservateurs, ainsi que des censeurs. Je n’y souscris nullement dans cette optique.

torture_porn_01.png

Les images sont extraites de Hostel (Eli Roth, 2005).

Nous remercions Pascal Françaix et les éditions Rouge profond de nous permis de publier cet extrait de Torture Porn. L'Horreur postmoderne.