Sparring, de Samuel Jouy (sortie le 31 janvier). À la fin de Sparring, hommage est rendu à des boxeurs inlassablement montés sur le ring malgré des records de défaites. Steve est de ceux-là, semi-amateur de 45 ans qui persuade un coach de se faire embaucher comme sparring-partner d’un champion. Son talent est d’encaisser, même mal. Fatigué, peu endurant, peu rapide, il ne semble bon qu’à être malmené par ses adversaires. Qu’importe. À ce petit jeu, il est le meilleur, celui qui a vu le plus de chandelles. Premier film de l’acteur Samuel Jouy, Sparring vaut d’abord pour son casting, agencé comme un grand entraînement. Ici, tout le monde est débutant et vétéran, novice dans une discipline et maître dans l’autre. Filmer un réalisateur, Mathieu Kassovitz (qui dit n’être comédien que par « hobby »), ou l’ancienne gloire de la boxe anglaise Souleymane M’baye (qui trouve ici son premier rôle) est une manière de mettre chacun dans la double position de l’amateur et de l’expert, celle en somme de Steve.
Jouy ne filme jamais son personnage comme un misérable ou une bête curieuse ; et même s’il est comparé à une mouche par l’un de ses camarades, tout Sparring semble être réglé sur cette échelle : celle d’un dérisoire qui, s’il ne s’ignore pas, ne s’excuse heureusement jamais de l’être. Le dérisoire est ailleurs, à l’image de ce casino où machines et tables de jeux fonctionnent sans personne autour et dans lequel Steve cherche, déambulant en survêt, son nouveau lieu de travail. Jouy dit avoir filmé les combats de Sparring comme s’il les observait à travers un microscope. Il y a plus encore de ça dans sa manière de filmer Kassovitz, sa peau parsemée de poils, ses yeux noirs tombants mais alertes, sa façon de bouger son nez cabossé, de se reposer et de se mouvoir. Une mouche, ni ridicule ni brave, qui fait juste sa vie en se prenant des coups. Sparring est ainsi, comme l’air célèbre joué maladroitement au piano à la fin du film : de guingois. Premier film qui apprend à se tenir, mais pas sur sa jambe d’appui, un peu mal. C’est très bien comme ça.
S.L.
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Three billboards, de Martin McDonagh (sortie le 17 janvier). Trois panneaux décharnés à la sortie d’Ebbing, Missouri supportent les vestiges d’un monde qui voulut se confondre avec une certaine image du bonheur – le visage d’un poupon rosâtre cohabite avec la promesse de vacances au bord d’un lac, une marque de café demeure suspendue non loin d’un mot désormais orphelin, « chance ». La route même que bordent ces panneaux n’est plus guère fréquentée. C’est là pourtant que Mildred Hayes va décider d’interpeller sa communauté, essaimant dans le paysage une question qui restera sans réponse : « Violée pendant qu’elle agonisait / et toujours aucune arrestation / pourquoi, Chef Willoughby ? » Sans réponse, mais pas sans effet. Si les policiers abandonnent vite leurs velléités de rouvrir l’enquête sur le meurtre de la fille de Mildred, ils travaillent par contre assidûment à faire taire les accusations d’incompétence. Est-ce ce rapport entre public et privé, justice et deuil, qui intéresse Martin McDonagh ? Seulement dans la mesure où il y trouve un moteur pour organiser des confrontations verbales et physiques de plus en plus violentes. Si Mildred a choisi de placer là son message, soit en contrebas de sa maison, il est d’ailleurs possible que ce soit d’abord pour en être la première spectatrice. Le rouge sang servant de fond à sa question est pour elle une manière de maintenir à vif la colère. Comment sortir d’un tel cycle, si la vérité comme la justice demeurent hors d’atteinte ? En allant au fond de la bêtise, de la mesquinerie, de l’abjection. Car telle est la réponse – navrante – de McDonagh. Navrante parce qu’il n’est capable de tirer ses effets comiques que du ressentiment et de l’humiliation. Navrante encore en ce qu’il condamne ses personnages à une sinistre mécanique de la rédemption, la bonté n’ayant chez lui d’autre voie que la disgrâce. Ainsi de ce flic raciste, bête et méchant qui ne trouve à se racheter qu’une fois le visage à moitié brûlé. Vieille morale : le mal inhérent à l’humanité doit s’inscrire dans la chair pour être conjuré. Nouveau cynisme, qui commence lui-même à dater : cette inscription doit faire rire. Three billboards est bien l’envers du paradis publicitaire tombé en désuétude. Rien de plus.
R.N.
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Gaspard va au mariage, d’Anthony Cordier (sortie le 31 janvier). Gaspard va au mariage a été tourné au zoo du Reynou, en-dessous de Limoges. A la suite de Laetitia Dosch, qui reprend son rôle de vagabonde rayonnante et faussement paumée (après Jours de France de Jérôme Reybaud et Jeune Femme de Leonor Serrail), le spectateur découvre la fratrie chargée d’hériter du parc : Félix Moati, Christa Théret et Guillaume Gouix. Le zoo est un parc à symboles, évidemment. Proches des bêtes et des clichés qui leur sont associés, les membres de la famille sont tous plus ou moins les esclaves de leurs bas instincts.
Dans son rapport aux animaux, Gaspard a deux grands frères : Des nouvelles de la planète Mars, de Dominik Moll, et Petit Paysan, d’Hubert Charuel. Cette fratrie-là redoute certes les changements réclamés par le militantisme animaliste mais, chose suffisamment rare pour être soulignée, elle ne les déteste pas. Anthony Cordier déplore en effet lourdement la fin des zoos comme Petit Paysan déplorait la mort de l’élevage “à l’ancienne”, chacun croyant voir planer la menace de la disparition de toute relation à l’animal – comme dans cette scène où le père de Gaspard, obligé de fermer boutique, tombe à genoux après le crépuscule en disant : “le zoo, c’est notre lien à la sélection naturelle… aujourd’hui les gens ne jubilent plus, ils critiquent… ils n’écoutent plus l’histoire qu’on leur raconte, ils ne comprennent plus. C’est juste une histoire d’animaux captifs…” Et la scène de se conclure sur le thème du reniement de Saint-Pierre dans La Passion selon saint Mathieu de Bach, comme si s’opposer à l’enfermement des animaux revenait à renier le darwinisme. Cette angoisse du vide censé suivre un monde où le commerce des animaux viendrait à s’effondrer était déjà présente chez Dominik Moll, où François Damiens avait affaire à un fils devenu végane. Mais Moll pas plus que Cordier ne concluent sur un retour en arrière. A chaque fois, nulle animosité, juste l’angoisse de l’enfant à qui on vient d’enlever les roulettes de son vélo et doute momentanément de pouvoir continuer à rouler. Ici Cordier parle viande, cadre une bétaillère à une station-service, conclut son film sur un mariage avec une végétarienne opposée à la captivité : il y a chez ces réalisateurs titillés par la question animale un fatalisme sympathique qui rend surtout curieux de découvrir leurs œuvres à venir.
C.B.
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Pentagon papers, de Steven Spielberg (sortie le 24 janvier). Il y a quarante ans, Peter Biskind pouvait considérer Les Dents de la mer comme un film « post-Watergate ». Si le maire Larry Vaughan était bien le « Nixon d’Amity », il avait cependant moins agi par vénalité que par faiblesse – en dissimulant une attaque de requin, son souhait avait surtout été de préserver une saison touristique indispensable à la vie de ses administrés. La dimension critique, présente dans le livre de Peter Benchley, se trouvait effacée par les flots rougeoyants d’un spectacle voulu fédérateur. Que s’est-il passé pour que Nixon, dans Pentagon Papers, devienne cette silhouette maugréant menaces et insanités depuis le bureau ovale ? Spielberg, bien sûr, est devenu un cinéaste politique. Cette conscience, qui a commencé à se forger dans les années 1980 (La Couleur pourpre) et s’est de plus en plus affirmée (Lincoln,…), vaut même comme marqueur dans une œuvre désormais capable d’alterner (et parfois d’entrelacer) le léger et le grave, le divertissement et l’Histoire. Voilà du moins pour la version officielle. D’un film l’autre, Spielberg a en réalité recours aux mêmes instruments rhétoriques : Nixon est simplement devenu le requin – une force destructrice finissant par condenser tous les maux et dont l’expulsion doit faire office de purge sociale. Inutile, pour autant, de refaire au cinéaste un procès en simplisme. Ce serait cacher le plaisir que suscite malgré tout cette candeur. On relèvera juste qu’au jeu de la transposition entre le passé et le présent, Nixon et Trump, transposition si transparente que personne n’a manqué de la souligner, quelque chose s’est perdu : la guerre, c’est-à-dire l’impérialisme. Le Vietnam, où le film débute, s’efface au profit d’un récit où l’affirmation d’une femme va de pair avec l’éloge de la démocratie formelle. Avec cet effacement se perd en même temps la possibilité d’une analogie avec la « guerre contre la terreur » – qui a, faut-il le rappeler, largement survécu à la présidence Bush. C’est à travers cette articulation que Spielberg aurait pu échapper aux éloges et aux blâmes individuels pour se confronter à ce qui survit de tyrannique dans chaque administration, et se nourrit si bien de l’idéalisme américain. Mais cela aurait exigé plus que de la bonne conscience.
R.N.