Hérédité, d’Ari Aster (sortie le 13 juin 2018). Il y a dans Hérédité deux histoires. La première est celle d’un corps fraîchement inhumé et volé par des profanateurs. Porté disparu au début du film, celui-ci ne réapparaîtra qu’à la fin dans un grenier. Entre deux, le père de la famille Graham cache aux siens ce sordide événement. C’est en effet la dépouille de la grand-mère qui a été enlevée. Mise de côté (il n’y a ni enquête ni suite données à l’affaire), cette histoire laisse place à d’autres difficultés. Ramenant d’urgence sa petite sœur Charlie d’une soirée où elle s’est intoxiquée, Peter la tue dans un accident de la route. Une fois chez lui, il se couche sans mot dire. Ses parents ne découvriront l’horreur qu’au petit matin. D’une histoire à l’autre, il est ainsi question de dissimulations, et si Hérédité est encore un film d’épouvante dans lequel la vie d’une famille bascule dans l’horreur, celle-ci est surtout la manifestation d’une incommunicabilité. D’où, certainement, que les personnages s’étranglent ou s’étouffent bien souvent. D’où, également, que le mal surgisse alors que la mère, Annie, renonce à se rendre à un groupe de parole.
Ari Aster réalise donc un film où ça communique mal, notamment entre ses deux histoires. De la profanation aux malheurs de la famille Graham, et comment tout cela finit en un sacrement démoniaque, il y a quelque chose qui ne passe pas très bien. Ces cahots relèvent toutefois d’une certaine logique. Si le corps de la grand-mère a bondi de part et d’autre du film, et de six pieds sous terre à un grenier, c’est qu’Aster s’intéresse moins à la continuité qu’à la saute. L’accent mis sur les passages du miniature au grandeur nature, par l’entremise des maquettes que modélise la mère, en est l’exemple le plus probant. On saute d’une échelle à une autre. Une histoire disparaît et ressurgit. Le gimmick du film (un claquement de langue) sonne lui aussi comme si quelque chose permutait (du réel au fantastique). Ainsi Aster élabore une image de la filiation tout en coupures. La famille Graham a alors, avec Hérédité, un film à son image : profondément démembré.
S.L.
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Sans un bruit, de John Krasinski (sortie le 20 juin 2018). Le dispositif, tel qu’il est mis en place dès le début du film, est très fort : supprimer les dialogues superflus, supprimer aussi les actions grandiloquentes et tonitruantes, et reconstruire un blockbuster à partir ni du geste, ni du grandiose, ni du n’importe quoi, ni du bruit inutile et parasitaire, mais du son, du souffle, du silence et de toutes les nuances possibles. Est-ce réussi ? Si l’on se place du point de vue d’un blockbuster, oui : Krasinski trouve une modestie, une simplicité, une forme de retenue assez rares. La sécheresse de la mise en place et la cruauté qui peuvent en résulter évoquent le classicisme de John Carpenter, ce qui est une référence racée et élégante. Les créatures ne viennent que tardivement, et elles sont moins privilégiées que les peurs d’enfant. Si l’on se place au niveau de la fiction, on peut cependant regretter des ellipses trop faciles, un principe de mise en scène qui n’est pas assumé jusqu’au bout, des facilités qui font perdre de vue l’axe (le poids des culpabilités au sein d’une famille, la peur du son pour canaliser les non-dits et les reproches qu’on n’ose pas s’adresser à soi-même), une évolution un peu heurtée du mélodrame aux conventions de la parodie. Il est touchant quand même que la disparition des dialogues ouvre la voie à un film finalement nostalgique, qui recherche le langage du cinéma muet comme une mise à nu des stimuli de l’action effrénée. L’ouverture vers l’americana, le resserrement autour de la cellule familiale donnent un sentiment d’élégie et d’exaltation du paysage américain qui n’est finalement pas si éloigné d’un romantisme primitif. On peut retenir l’aspect Alien de la seconde partie, on peut aussi, et c’est mon cas, apprécier les commencements du film où s’associent l’illimité et la perte, le souffle comme une promesse et comme une menace, le cinéma muet comme une origine et un horizon.
J-M.S.