À chaque début de printemps nous sommes ramenés à la même réalité : nous sommes des plantes. Il nous suffit de quelques jours de soleil et de chaleur pour que notre humeur s’allège, pour que nos problèmes et nos inquiétudes s’estompent. Oui, nous sommes toutes et tous des plantes, de simples et belles plantes que le soleil réchauffe et qui profitent de la lumière pour grandir – c’est la leçon d’humilité annuelle. Mais avant le début du printemps, il y avait la fin de l’hiver ; et comme tous les ans nous avons tourné en rond, en surchauffant pour la dernière fois nos maisons, en hésitant sur la veste à mettre sur nos épaules (il va pleuvoir, mais il faut chaud, mais il fera peut-être froid…) pour aller voir des films dont bien peu nous ont vraiment excités. Toutes ces banalités pour dire que Débordements a aussi souffert des dernières gelées hivernales, entre la déprime saisonnière, les semaines fort occupées et ce mois de février dont nous avions oublié la brièveté… Conséquence : un numéro double, sans pause estivale comme excuse – nous espérons qu’il n’a pas trop manqué à ceux qui préfèrent lire nos articles ainsi rassemblés. Mais heureusement Débordements est aussi une plante (un arbre ?) qui profite du printemps, et nous croyons constater ces jours-ci un retour de la vitalité des derniers mois. En avril, nous accueillerons en effet des plumes nouvelles (des jeunes pousses ?), des surprises, des rattrapages des mois précédents – des bourgeons.
Cet étalement hivernal va cependant bien avec le contenu de ce numéro, tant nos textes abordent des sujets tout en nuance de gris, du « mélanogramme » alien au noir et blanc de Lav Diaz, en passant par la grisaille de Clermont-Ferrand (Viens je t’emmène) et l’obscurité de Gotham City (The Batman). Les nouvelles du monde, elles, sont un peu tristes : La Clef délogée, L’abominable cherchant à partir vers d’autres horizons. Pointent, discrètement, quelques couleurs : la chaleur du 16mm de Petite Solange et ses décors nantais, la brillance inattendue de la banlieue parisienne de Nous (qui s’ouvre sur un magnifique lever de soleil), ou bien, encore plus printanier, des arbres qui sortent de terre pour marcher – encore des végétaux humains…
Nos réjouissances printanières sont cependant un peu empêchées par un monde maintenu dans une sorte d’esprit hivernal constant : ce lundi une nouvelle vague de froid – la dernière de l’année peut-être ? – s’est installée, et avec elle la consigne d’économiser l’énergie afin de ne pas avoir à puiser dans les réserves de gaz, réserves mises en péril par une guerre qui ne sera pas moins terrible malgré le retour des beaux jours. On nous reparle aussi, un peu, d’une pandémie que nous nous efforcions d’oublier, et qui pourtant, cet hiver, a plus tué en quelques jours que les accidents de la route en une année. On se retiendra, enfin, de commenter le printemps électoral, presque universellement considéré comme ennuyeux – nous aurons peut-être plus à dire à la fin du mois d’avril. Disons tout de même cela : que nous sommes, toutes et tous des plantes, que tous les ans le printemps vient nous le rappeler, et qu’il vaudrait mieux ne jamais l’oublier.
Pierre Jendrysiak