Les textes qu’on écrit… et les autres
La fin de l’année – scolaire, qui compte encore en années civiles ? – est toujours le lieu d’un phénomène unique en son genre, qui surpasse en étrangeté les déformations spatio-temporelles qui ont cours aux abords des trous noirs, le comportement de la matière noire et les intrications quantiques. Ce paradoxe appelé « fin d’année » se reconnaît à une sorte d’accélération du cours des choses mêlée d’une décélération subite des événements conduisant invariablement à cette prise de conscience quasi métaphysique : « Juillet ! Déjà ! »
Le métabolisme humain répond alors à cette expérience brutale de la relativité générale par une sorte de transe méditative propice à l’introspection, et fatalement, aux regrets. Chez la·e critique de cinéma, cette affection se traduit bien souvent par un rembobinage de l’année écoulée en compagnie des films et des textes : ceux qu’iel a vu, ceux qu’iel a écrit, mais surtout (et bien pire) ceux qu’iel n’a pas eu le temps de voir et ceux qu’iel n’a pas eu le temps d’écrire.
Par les fenêtres du train qui ramène l’autrice de ces lignes là où le temps – si l’on en croit le poète – dure longtemps, et la vie sûrement, plus d’un million d’année, le paysage se pare des couleurs de ces images abandonnées dans les tiroirs, entre les copies à corriger, les cours à préparer et parfois même, la thèse à rédiger. Les jaillissements multicolores du pourtant tant attendu Dr. Strange de Sam Raimi, dont le voisinage avec No Way Home était si bavard, le vert glauque de Men d’Alex Garland, dont il y avait tant à dire en regard de l’épouvante contemporaine, les pastels passées de Licorice Pizza ou The Souvenir. Et tout ça, sans même parler des entretiens, podcasts, essais et autres programmations qui peuplent nos fantasmes cinéphiles.
L’exhaustivité n’étant pas de ce monde (et la critique professionnelle non plus), sans doute faut-il faire le deuil de tous ces textes restés à l’état d’idées passagères, d’intuitions fugaces ou de discussions autour d’un verre. Sans doute faut-il également se réjouir de nos existences multiverselles au sein desquelles persiste cette petite « fonction critique » dont parlait Serge Daney. Il est en tout cas absolument certain qu’il faut se réjouir de l’existence de ce coin de cyberespace depuis lequel nous vous offrons ce numéro, ce petit coin d’Internet qui donne toute latitude à nos idées – sans limite, qu’elles s’expriment en signes ou en injonctions – dès lors qu’elles ont le temps de se matérialiser et dans lequel nous sommes toujours ravi·es d’inviter des plumes amies ou des propositions inattendues*.
Dernier numéro avant l’été, donc, où se croisent ami·es de toujours, nouvelleaux ami·es, membres originels et recrues plus récentes, au gré des festivals et rétrospectives, sorties et ressorties en salle, recherches par et dans les images…
Bonne lecture, reposez-vous bien, Débordements revient à la rentrée.
*Inattendues et moins attendues que le portrait du critique de cinéma numérique en éternel adolescent récemment proposé par la série Irma Vep. Pour rire un peu, photogrammes :
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Occitane Lacurie