Le non-retrait de la réforme des retraites, ainsi que la fin de la revue Trafic (à laquelle nous avons rendu hommage), on retardé la publication de ce .pdf – et ce retard le rend bien fourni. Dans ce numéro printanier, on pourra, entre autre, prendre des nouvelles de la lutte du cinéma La Clef, lire les compte-rendus de trois festivals : les rencontres du moyen métrage de Brive, le CLaP et le Réel 2023 (ce dernier enrichi d’entretiens), ainsi que des critiques de films ou de séries. Et si l’on peut voir, dans ces derniers, des liens avec l’actualité politique du pays (du Paris assiégé de John Wick : Chapitre 4 à la fin du monde de The Last of Us en passant par les Brigades Rouges dans Esterno Notte), ce numéro ne dit mot de notre tentative d’action concrète, à notre échelle, à travers notre caisse de grève en ligne, qui a permis de collecter quelques centaines d’euros afin d’accompagner celles et ceux qui luttent en cessant le travail (et en abandonnant une partie de leur salaire). Cet édito est donc l’occasion de remercier nos lecteurs et lectrices pour leurs dons, qui ne tarderont pas à être reversés à une caisse de grève. Et d’appeler, à notre échelle toujours, à continuer la lutte.
D’un côté, l’action concrète, de l’autre, la réflexion théorique, écrite ? Il y avait certes dans les sorties cinéma quelques films qui auraient pu directement évoquer la lutte : Relaxe coté documentaire & Sainte-Soline, L’établi coté fiction & monde du travail. Mais en réalité il y avait du cinéma partout, sur les réseaux sociaux en particulier ; ce n’est pas à Débordements que l’on va ignorer la cinégénie des feux de poubelles. En sortant des cinémas, en y entrant, nous avons hésité à publier des « Carnets de grève », afin de partager notre sidération face aux agressions sexuelles dont la police se serait rendue coupable lors de gardes à vue, face à la brutalité à travers laquelle une réforme des retraites inutile et injuste est imposée, face au silence d’un gouvernement que certain·ne·s, y compris des intellectuel·le·s qu’on ne saurait soupçonner d’accointance terroriste, n’hésitent plus à comparer aux gouvernements autoritaires de Hongrie, de Pologne ou d’Israël. C’est peut-être justement la gravité de la situation qui nous retient, l’impression que tous les commentaires d’images seraient trop loin de l’exigence du moment. On pourrait alors se contenter de mots, de slogans pourquoi pas ; il y en a des magnifiques, d’autres très drôles. « Il va faire tout noir chez toi », par exemple.
Après les bourgeons et le premier mai, le monde du cinéma a lui aussi son printemps, qu’on appelle « Festival de Cannes ». L’an dernier, la Palme d’or était attribuée à Ruben Östlund, pour ce que Thierry Frémeaux décrivait lui-même comme « Une grande moquerie générale de ce que nous sommes devenus » ; comme pour prolonger la blague, Östlund est cette année Président du Jury. Le film d’ouverture, quant à lui, n’aurait pas pu mieux tomber : un fort douteux Jeanne du Barry de Maïwenn avec Johnny Depp en Louis XV. Ouvrir ce rassemblement mondain, déconnecté du reste du monde, et pourtant difficile à éviter pour celles et ceux qui veulent garder un œil sur le cinéma, avec un film consacré à la cour versaillaise, où le roi est interprété par un symbole de la haine anti-féministe en ligne, voilà une image frappante de l’état de déconnexion de Cannes en 2023 (sans parler du maintien en compétition du film de Catherine Corsini, Le Retour, alors que la réalisatrice est accusée d’avoir couvert des agressions sexuelles ayant eu lieu sur le tournage du film). On songe déjà à un possible contrechamp : que l’appareil de projection, le 16 mai, cesse soudainement d’être alimenté en électricité.
Pierre Jendrysiak
Cliquer sur l’image pour télécharger Débordements_19.pdf :