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Novembre 2021

par ,
le 1 novembre 2021

War on Music

Débordements a plusieurs fois guetté les signes cinématographiques issus des mouvements sociaux, pendant Nuit Debout ici et , en soutien aux journalistes malmené·es et intimidé·es pendant les Gilets Jaunes ailleurs et en défendant de manière renouvelée ses positions critiques : « pas de combat qui ne soit déjà, par avance, immiscé dans un champ plus large de luttes ».

La série de projections entamée depuis octobre de cette année au cinéma Le Saint-André-des-Arts ne s’excepte pas de cette attitude critique et attentive : elle fera place ce mercredi 1er décembre à un double-programme musical, composé du récent film de Nabil Djedouani Rock Against Police (2019), projeté en compagnie de 93 la belle rebelle (2011) de Jean-Pierre Thorn. Film hommage au mouvement du même nom, Rock Against Police (RAP), le film de Djedouani retrace les ardeurs et les luttes de ces concerts de protestation débutés en 1980 à l’égard des expulsions discrétionnaires et des violences policières perpétrées contre la jeunesse immigrée des banlieues. Plusieurs concerts-débats avaient su s’appuyer sur la « culture rock » revendicatrice de ces années-là pour articuler à l’esprit de révolte musical un fond révolutionnaire. Le film de Jean-Pierre Thorn, sous-titré « Histoire de la musique en banlieue » est sur la même longueur d’ondes, qui ne conçoit pas le récit de la créativité musicale de ses habitant·es sans la mise sur le devant de la scène de leurs revendications politiques.

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Mais en programmant ces deux films, nous ne savions pas alors à quel point l’actualité donnerait raisons à leurs réalisateurs. Car, après la censure d’une œuvre de l’artiste italien Paolo Cirio, présentée au Fresnoy – Studio national des arts contemporain en octobre 2020, le Ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a récemment récidivé en demandant le 15 novembre 2021, en direct sur le plateau de CNews, la fermeture du compte Instagram d’un groupe de rap du 8ème arrondissement lyonnais, dont les membres, rayés de jaune et noir, se font appeler les Daltons. Sans que l’on sache si la menace du premier des policiers a été mise à exécution, le collectif a communiqué le 25 novembre ne plus pouvoir diffuser de vidéo en ligne sur leur chaîne.

Les récentes prises de positions de ce collectif à géométrie variable (chacun·e peut endosser la chasuble du bagnard, témoignant une fois de plus de la plasticité extrême des mouvements sociaux pour lesquels la vêture fait le slogan), dans les médias, mais aussi directement via des vidéos live sur son compte Instagram daltons_69, faisait pourtant la part belle à des clips musicaux humoristiques. Mais aux provocations de circonstance des premiers temps – poursuivant malicieusement la pratique des « rodéos urbains » qui avait propulsé la polémique jusqu’au niveau national – s’était peu à peu substitué un discours plus politique, apostrophant le ministre Darmanin mais aussi témoignant de sa solidarité avec d’autres luttes des quartiers ghettoïsés de Lyon.

« S’organiser à partir du rock » écrivaient les rédacteur·rices du journal-tract éphémère Rock Against Police, comme le rapporte Nabil Djedouani dans un texte programmatique. Pour ce mouvement, le concert n’était plus vu « comme fin en soi mais comme lieu de valorisation de la dynamique sociale des groupes de rock. La transcription politique de cette dynamique, y compris par la Super 8, la vidéo, la photo débouche sur un nouveau réseau qui lui ouvre sur d’autres créneaux d’interventions : logement, prison, expulsion [11] [11] Nabil Djedouani, « Rock Against Police, le film. La résidence ‘frontières’ du GREC au Musée de l’histoire de l’immigration », Hommes & Migrations, 2019/4 (n° 1327), p. 161-166. URL : https://www.cairn.info/revue-hommes-et-migrations-2019-4-page-161.htm . »

N’est-ce pas une dynamique semblable que celle que cherchent à lancer les forçats lyonnais, intervenant eux-mêmes dans une prison, où ils se sont fait connaître en envoyant des colis à un de leurs confrères incarcéré par-dessus les têtes des matons, dans la rue où ils participent à des rassemblements d’aide alimentaire pour les sans-abris, ou même plus récemment encore durant les protestations qui ont suivi la venue du journaliste Jean-Marc Morandini et du président par intérim du Rassemblement National Jordan Bardella dans le quartier populaire de La Guillotière, en cours de gentrification accélérée ? La bataille médiatique, entamée le 8 novembre sur le plateau de l’émission « Touche pas à mon poste » de Cyril Hanouna, fait désormais rage alors que le dispositif judiciaire se referme peu à peu.

Quatre peines de prison viennent d’être prononcées ce vendredi 26 novembre pour condamner les rodéos urbains à Bron, dans la banlieue de Lyon, mais aussi pour des tirs de mortier durant la manifestation contre l’extrême-droite. Ces sanctions iniques, qui témoignent, si cela était encore nécessaire, de l’asymétrie des peines prononcées contre la délinquance selon le quartier où celle-ci sévit, prouvent du même coup l’argument avancé sur le plateau d’Hanouna. Renvoyer l’image de l’assignation médiatique (les habitants des quartiers seraient tous des « récalcitrants ») en revêtant la tenue du taulard révèle les politiques racistes menées dans ces banlieues, en dévoilant du même coup comment les garants de l’ordre réagissent lorsqu’on les conforte à considérer les habitants des quartiers comme autant de candidats potentiels à la prison.

Barnabé Sauvage

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Images : Rock Against Police de Nabil Djedouani ; montage de posts Instagram du compte daltons_69