Le film Paria nous a totalement saisis. En sortant de la salle, nous avons essayé de formuler entre nous l’expérience du film et, assez rapidement, l’évocation de l’acteur interprétant Momo est devenue insistante. Nous découvrions Gérald Thomassin à l’écran et ne savions absolument rien de sa biographie.
Nicolas Klotz et Elisabeth Perceval ont pris un moment pour discuter avec nous le lendemain de la projection. Nous proposons ici quelques fragments de ces échanges, permettant d’appréhender, par éclats, les acteurs de Paria.
L’écriture de Paria est passée par beaucoup de rencontres avec des personnes de la rue, après des jours et des nuits passés au CHAPSA (Centre d’Hébergement et d’Assistance aux Personnes Sans-Abri) de Nanterre. Une sorte de machine d’écriture s’est mise en route. Le prolongement de l’écriture, c’était la recherche d’acteurs, avec Stéphane Batut, dans la rue, et les gens venaient et passaient la journée avec nous.
On proposait des textes, des parties de scénario, on commençait à répéter avec eux. Nicolas les filmait et petit à petit s’organisait une espèce de troupe de cinéma qui était quasi exclusivement, à part Gérald Thomassin et une ou deux autres personnes, des personnes vivant dans la rue. Cela dit, Gérald était tout près de cette situation, de ces vies. On amène vers la caméra des gens dont les histoires sont très dures, mais aussi ultra-romanesques et on prépare le film par rapport à la mémoire, aux déplacements. Ils étaient doués, une forme de simplicité sidérante se manifestait dans leur jeu.
Ils parlaient sans arrêt. S’il y a bien des gens qui s’expriment, ce sont eux.
Ils ne faisaient que ça, leurs corps, là où ils étaient dans la ville, leurs déplacements, leur regard, ils hurlaient. Ils hurlaient de leurs corps, de leur situation.
Parfois de leur parole.
Le rôle du cinéma, c’est de filmer…
Ce hurlement !
Ceux qui hurlent, ceux qui se taisent, la joie aussi qu’il y a chez eux.
Quant à Gérald Thomassin, c’était une rencontre quasi-amoureuse. Thomassin, tu peux difficilement ne pas l’aimer… Une fois, nous nous sommes dit que c’était un gaz rare, qu’il existe à une certaine altitude et si tu es plus bas, il n’est pas là.
Gérald Thomassin (Momo, dans le film), c’était l’initiateur de Cyril Troley (Victor), parce que Cyril n’avait jamais joué. Il l’a pris sous sa coupe pour l’initier. Il voulait lui transmettre quelque chose qu’il avait reçu de Jacques Doillon sur Le petit criminel.
Ce qui était très étonnant, quand il est entré dans le bureau où on était en train de faire le casting comme on dit, c’est qu’il était dans un manteau, et très directement le personnage est tout de suite apparu indissociable du vêtement.
Quand Gérald a lu le scénario, il a appelé Elisabeth et lui a dit :
« Comment tu sais tout ça sur moi ? Comment tu connais ma vie ? Comment tu sais pour mon père ? » Elle ne connaissait évidemment strictement rien de sa vie.
Avec Gérald Thomassin, on partageait un truc, après chaque prise… On prononce rarement le mot « coupez », mais, là, souvent, Nicolas le disait, car nous étions pris par sa puissance comique et avions beaucoup de difficultés à retenir nos rires. On a eu une espèce de pari pendant tout le tournage : « Si Nicolas riait avant de dire coupez à cause de Gérald, il lui offrait un calva et si c’est Gérald qui riait il lui offrait un calva. » Tout ceci contribuait à une forme de jubilation. Et il connaissait toutes les situations du film avec une telle précision et un sens très affûté de ces réalités… ça l’amusait, il était aussi dans un rapport au jeu. Il n’était jamais victime dans ce qu’il faisait.
Gérald, c’est Chaplin.
Il est aussi pour nous le double détruit de Jean-Pierre Léaud. Gérald, il a été jeté dans l’arène – en criant.
Et ce cri, il se prolonge, son écho ne s’est jamais volatilisé.