« Que peut le cinéma ? » : la question a tellement été répétée ad nauseam qu’elle prête à sourire – ou à désespérer : rien, ou pas grand-chose.
Lundi matin, une question un peu différente était adressée, très directement, à l’institution phare du cinéma en France : « Que peut le CNC ? ». L’interrogation provient du cinéaste et chercheur Nader Samir Ayache qui avait planté sa tente la veille en face de la porte vitrée du 291 boulevard Raspail, où il avait convié ses soutiens à le rejoindre dès le lendemain matin.

Depuis 2019, le réalisateur d’origine tunisienne et doctorant à l’Université Paris 8 vit sous l’épée de Damoclès d’une OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français). Entre temps, l’occurrence dans le débat public de ces quatre initiales a connu une inflation délirante. Elles déshumanisent un peu plus les personnes sans-papiers qui vivent en France, non seulement sur le plan symbolique, mais aussi matériel, puisque les ministres de l’intérieur successifs n’ont cessé de durcir la dimension kafkaïenne de ce régime de fou. Rappelons-le, plus de 40 000 personnes dans notre pays sont sous le coup d’une OQTF.
Pour elles et pour lui, explique Nader, la France est devenue une sorte de prison, c’est pourquoi il a décidé d’entamer une grève de la faim. Au moment où paraît cet article, treize jours se sont écoulés – c’est au dixième jour qu’a eu lieu cette action symbolique. La secrétaire générale du CNC sort, discute avec les soutiens de Nader, prend des informations, et re-rentre – on l’aperçoit passer des coups de fil derrière la vitre.
Nader explique l’échec de ses différents recours, les fins de non-recevoir de l’administration, les contre-vérités opposées à son dossier. Depuis la mise en place de la « procédure simplifiée » issue de la Loi Darmanin de 2024, les éléments de preuve qu’il faut déjà s’abaisser à fournir pour espérer un permis de séjour ne sont même plus étudiés. Ainsi, le doctorant qui est en train de préparer sa soutenance de thèse à l’heure où nous parlons et qui a réalisé un film dans le cadre de celle-ci (La Renaissance, vu au FIDMarseille 2023), est accusé de « ne pas démontrer assez de sérieux dans ses études ». Peu importe les lettres de soutien de ses professeur·es, son parcours et son investissement associatif : il faut en arriver à mettre ses jours en danger pour espérer être entendu.
Depuis la loi Darmanin qui a fait passer la privation de droits les victimes d’OQTF d’un à trois ans en 2024, Nader a rejoint plusieurs collectifs de lutte pour les droits des personnes sans-papiers. En mars dernier, il confiait son documentaire sur les livreurs à vélo, La Guerre des centimes (2019), au Decolonial Film Festival et Débordements à l’occasion d’une soirée de solidarité pour les Jeunes du Parc de Belleville, organisée à la Flèche d’Or.

Le cinéaste tourne toujours. Depuis la notification de son OQTF, il filme pour se maintenir la tête hors de l’eau, comme une respiration dit-il : « Dans le pire des cas, si ça tourne mal, j’aurai un film. Il parlera de moi, mais aussi des autres. »
Deux procédures – dont on espère qu’elles tourneront bien – sont en cours : un recours au Conseil d’État pour obliger la préfecture à ouvrir son dossier (oui, vous avez bien lu) et une demande d’admission exceptionnelle de séjour, qui lui offrirait trois mois de répit renouvelables (non, vous n’hallucinez pas). Alors en attendant, Nader campe dans sa tante couleur sable devant le CNC caché sous des échafaudages. Il faut espérer que l’institution qui soutient volontiers des projets de films aux ambitions humanistes – tout le monde se souvient de l’émotion suscitée par L’Histoire de Souleymane – ainsi que le milieu du cinéma pèsera de tout son poids pour aider Nader.
En attendant Nader et ses soutiens appellent à un nouveau rassemblement le 21 novembre devant le CNC.