Oubli
Amnésie : comme tout état psychique cela peut faire un sujet de film. Il ne manque pas de personnages d’amnésiques au cinéma : ceux qu’on guérit, comme dans Whirlpool ou Spellbound ; ceux qui recouvrent la mémoire, comme dans Contes de la lune vague ou dans L’Homme sans passé, ou qui au contraire s’avèrent incurables, comme dans Memento. L’amnésie est un formidable scénario, parce qu’elle met le personnage et le spectateur ensemble devant une énigme, celle de la disparition radicale d’un pan d’existence. Scénario qu’en outre on peut tordre, compliquer, replier, par exemple si l’amnésique est à la poursuite de quelqu’un dont en fin de compte il s’aperçoit que ce n’est autre que lui-même : schème borgésien qui est celui de Somewhere in the night comme de La Jetée. Ou bien encore, si l’amnésie est ce qu’un personnage désire mais ne peut obtenir, comme dans Solaris.
Dizaines de personnages privés – pour toujours ou pour un temps – d’un morceau d’eux-mêmes, disparu de leur mémoire. L’amnésie, en effet, ne désigne pas en général une incapacité permanente à se souvenir, mais le résultat d’un accident, d’une maladie, d’un détour de la vie qui en a oblitéré le souvenir. L’oubli comme résultat, l’oubli déjà advenu, au passé : avec l’amnésie l’affaire est jouée, finie. Je cherche aujourd’hui, non pas des représentations de cet oubli achevé et de ses conséquences, mais une autre idée de l’oubli : au présent et en cinéma. On pense toujours au présent en cinéma, et dans les films d’amnésie, c’est aussi un présent que l’on voit, celui de l’oubli installé ou du retour de la mémoire ; mais ce que je cherche c’est l’inverse, cet autre moment où l’on est en train d’oublier. L’oubli lui-même, au présent, comme un processus ; comme ce qui fait perdre de la matière mentale, mais peut-être aussi permet l’émergence d’autre chose[11] [11] Dans sa conférence Filmer/Effacer, dans le même cycle, Hervé Aubron notait que parmi les traits qui distinguent l’humain de la machine intelligente, il y a justement que la machine n’oublie rien : or, cela pourrait bien se révéler être une supériorité de l’humain. . « Oublier » en tant que verbe actif, signifiant non que je subis (la perte d’un souvenir) mais que j’agis (en frappant d’oubli quelque chose). Non une défaillance de la mémoire, mais un processus temporel, qui dure, s’interrompt, se reprend, qui est plus ou moins maîtrisé et a des manifestations très diverses.
C’est presque par définition que les œuvres de fiction sont des symbolisations de cette activité psychique de l’oubli. Comme l’a malicieusement observé Umberto Eco, un récit de fiction est plus certain que la réalité : je peux toujours contester que la NASA a vraiment envoyé des hommes sur la lune, mais je ne peux contester qu’Anna Karénine est morte sous un train. Je ne peux même pas en douter, car cet événement, dès lors qu’il est inscrit dans le roman de Tolstoï, fait partie de la définition même de ce personnage, il ne peut en être séparé. Mais inversement, un récit de fiction n’est jamais complet, il comporte d’innombrables zones d’ombre, puisqu’on ne peut tout dire sur un personnage, un événement, une situation, un lieu, un monde. Je suis certain qu’Anna Karénine est morte sous un train, mais je ne pourrai jamais aller fleurir sa tombe, dont j’ignore le lieu. Plus radicalement, on peut donc dire que la fiction, cette construction imaginaire et contractuelle à laquelle nous sommes si parfaitement dressés, comporte autant d’oubli que d’invention ; des écrivains comme James ou Blanchot ont produit leurs effets d’écriture en y inscrivant expressément cette fonction d’oubli, qui force le lecteur à compléter le récit, en y mettant parfois beaucoup du sien, et le 20ème siècle tout entier a beaucoup expérimenté avec ces jeux de la mémoire et de l’oubli dans la fiction, de Proust à Calvino ou Robbe-Grillet.
Le cinéma évidemment s’est emparé de ces modalités séduisantes du jeu sur l’irréalité, sur le souvenir et son oblitération. J’ai choisi un film dans lequel ce rapport complexe et ambigu à la mémoire et à l’oubli est frappant, parce que c’est un film qui ne se contente pas d’organiser une fiction (c’est-à-dire de donner forme cohérente à notre expérience du monde, laquelle par elle-même est dénuée de continuité et de causalité) – mais qui reproduit des fragments d’expérience réelle, sur le mode qu’on appelle documentaire (appellation dont au passage on vérifiera une fois de plus qu’elle est trop simple). La fiction, en somme, y est le lieu où se manifeste et s’organise l’oubli de la réalité.
Enquête
En avril 1965, un certain Tadashi Oshima, représentant de commerce peu scrupuleux, petit, pas très beau, timide mais doué pour séduire les filles, disparaît au cours d’une tournée dans la région de Fukushima, et reste introuvable. Deux ans plus tard, sa fiancée Yoshie, surnommée la “Souris”, accompagnée d’un journaliste, Tsuyuguchi, suivie par le cinéaste Imamura et une petite équipe, enquête sur ses derniers jours de visibilité, interrogeant les personnes et les lieux. Tel est le scénario de L’Évaporation d’un homme, réalisé au cours de l’année 1967 (je dis tout de suite qu’on ne retrouve jamais Oshima).
Comment filmer un personnage qui s’est évaporé ? ou plus modestement, comment fonder un récit sur un personnage qui n’est plus là ? En 1967, on n’a pas oublié deux films qui ont beaucoup marqué la critique parce que l’un et l’autre a escamoté son personnage principal – une femme, dans les deux cas – vers le premier tiers du récit. On l’a surtout remarqué de Marion Crane et de Psycho, à cause du statut de star de Janet Leigh qui incarnait la protagoniste, mais cela est vrai aussi de L’avventura, même si la star (Monica Vitti) y est, cette fois, celle qui reste. Ces deux œuvres sont si célèbres, si souvent commentées, que nous réalisons mal à quel point il a pu alors paraître culotté de se débarrasser d’une héroïne pour que l’intrigue véritable prenne forme. En même temps, cette décision narrative, quoique arbitraire, reste très simple : on nous présente un personnage, assez longuement pour qu’il existe pour nous, avec un background, une backstory (comme disait Nicholas Ray) et même un projet immédiat : rapporter l’argent volé pour Marion, régler sa situation sentimentale pour Anna. L’escamotage du personnage est d’autant plus violent que ce projet, du coup, reste inaccompli (et même, devient dénué de sens).
L’Évaporation d’un homme est plus radical : Oshima, le protagoniste de l’histoire, a déjà disparu depuis deux ans quand le film commence. Il n’a jamais l’occasion de nous apparaître comme un être achevé, avec un passé, une histoire, des désirs ; tout ce qu’on apprendra dans ce domaine est de seconde main et très incertain, entre rapport de police et photos de vacances. Il apparaît encore moins comme porteur d’un projet, et une bonne partie de l’interrogation à son sujet sera justement de se demander ce qu’il pouvait bien avoir en tête en prenant subitement l’express pour Tokyo au lieu de continuer normalement sa tournée à Fukushima. Imaginons ce que serait Psycho s’il commençait par l’enquête de Sam et Lila ; ou L’avventura qui commencerait avec la recherche d’Anna sur l’île de Lisca Bianca (ce serait sans doute moins différent du film réel, Antonioni nous ayant fait une présentation lacunaire de son héroïne).
Dans ces trois films, un couple enquête sur la disparition d’un personnage introuvable, évanoui dans la foule, « évaporé » comme le dit le dernier des trois. Dans les trois histoires, l’enquête est menée par une femme, proche de la personne disparue, accompagnée d’un homme qui a dans l’affaire un intérêt d’un autre ordre. Dans le film d’Imamura, la répartition des rôles dans le couple d’enquêteurs est tranchée : la fiancée d’Oshima est accompagnée par un professionnel, qui la dirige, la guide, la “coache”, et dont le rôle est d’abord de servir le propos avoué du cinéaste : faire un film, certes, mais aussi enquêter sur un phénomène récurrent dans le Japon de l’après-guerre, les disparitions. Enquêter c’est chercher à comprendre une disparition (« comment peut-on disparaître et rester caché de tous ? »), mais ce peut être aussi chercher à comprendre l’oubli, et idéalement, à le contrer.
L’enquête de Yoshie et Tsuyuguchi est difficile, parce qu’elle doit se déployer dans deux directions très différentes : l’enquête factuelle (où a-t-il été, qu’a-t-il fait, qui a-t-il rencontré, qu’a-t-il dit qui puisse aider à reconstituer le cours des événements ?) et l’enquête psychologique, auprès de sa famille, de ses amis et relations de travail, des femmes qu’il a connues. Marion Crane est un personnage construit, dont nous ne connaissons pas tout, mais qui est sans faille dans le récit : on sait d’elle tout ce qu’il faut en savoir, il n’y a pas de zone d’ombre dans son caractère. Anna est un peu plus complexe, le récit antonionien laisse des trous, qui demeurent jusqu’au bout comme autant d’énigmes, mais cependant nous en savons assez pour le propos de la fiction. Oshima, lui, n’est pas un personnage inventé, et le film ne cesse de souligner ce que cela implique pour le récit : on ne sait pas, on doit trouver des traces, deviner, susciter des témoignages, et finalement ne cesser d’interpréter tout cela. Les motivations d’un personnage réel, qui n’est pas là pour les exposer, sont opaques ; choisir une position d’énonciation qui, pour l’essentiel, est celle des enquêteurs, c’est accentuer cette opacité. D’autant que les enquêtés, en général, sont soit réticents, soit louches (disent-ils vraiment le vrai ?), soit encore ont déjà oublié, tout simplement parce que, comme le dit à la fin l’ex-patron d’Oshima, « la mémoire s’érode en deux ans ». Premier aspect de l’oubli.
Enquêter sur une disparition, ce n’est pas la même chose qu’enquêter sur un crime. Comprendre le déroulement d’un acte criminel peut ressembler à une espèce de mécanique, ou à la reconstitution d’un puzzle, à partir d’indices foisonnants et surtout, pertinents. D’où le succès des enquêteurs rationnels, à la Sherlock Holmes ou Hercule Poirot, mais il existe d’autres sortes d’enquêtes, où l’on ne sait pas à l’avance ce que l’on cherche, où la question n’est pas de reconstituer une mécanique, mais d’imaginer des intentions. On ne sait rien ou presque rien : il faut se constituer un savoir, mais on ne sait même pas quel il sera, dans quelle direction il ira, de quoi il y sera question. Un type d’enquête qu’on pourrait baptiser œdipienne – en référence à la mythique investigation essentielle où l’on ne sait pas ce qui a été commis, ni par qui, ni pourquoi, mais où l’on sait que des raisons vitales sont en jeu.
Oshima a disparu, on ne sait ni pour quelle raison, ni comment, mais cela révèle qu’en outre on ne savait pas qui il était, même lorsqu’on pensait le connaître. Le film organise savamment cette découverte : ceux et celles mêmes qui pensaient le connaître bien découvrent que non, il leur échappait déjà, il n’était qu’opacité et trous d’ombre. Il n’avait jamais été qu’une absence – et l’enquête de Yoshie, Tsuyuguchi et Imamura oscille dès lors entre le schème policier et les voies les plus obscures et les plus irrationnelles, tel le recours à des voyantes (trois au moins). D’un côté, la méticuleuse reconstitution d’une chronologie, « le couteau des certitudes de dates » (Lacan), de l’autre côté, les fumées, les esprits, les vaticinations. Le trop certain et le trop fantastique, entre lesquels, toujours, demeure l’inconnaissable réel – inconnaissable et surtout, redoutable, comme le souligne ce moment du film où, écoutant dans la voiture où elle poursuit l’enquête un témoignage qui l’accable, Yoshie doit descendre pour se calmer un peu, concluant : « Qui cherche à savoir ce qui est désagréable ? » C’est le risque en effet que prend l’enquêteur : l’enquête, sa propre enquête, peut lui revenir dans la figure, le prendre au dépourvu, le blesser. Comme nous allons le voir, la solution est dans l’oubli : mais comme, par définition, l’enquêteur est celui qui fait tout pour ne pas oublier, il va falloir trouver des biais, entre autres narratifs, et ici, pleinement cinématographiques.
Évaporation
Revenons à l’idée d’« évaporation ». C’est plus radical que la disparition – surtout de la part d’un Japonais, pour qui cette idée d’évaporation connote forcément quelque chose de très précis, les humains réduits en vapeur par la bombe A (voir vingt ans après le Pluie noire d’Imamura, et encore, en 1991, la Rhapsodie en août de Kurosawa). Quelqu’un disparaît, soudainement et totalement : il n’en reste rien, aucun élément et presque pas de traces. Ou plus exactement, un certain nombre de traces, mais purement mémorielles, c’est-à-dire teintées de subjectivité. Nous n’avons de lui que deux petits bouts de film, l’un où on le voit manger en famille, l’air détendu, l’autre dans son milieu professionnel, et quelques photos banales, en tenue d’excursionniste ou en maillot de bain sur la plage. Des traces, mais pas des indices : elles ne signifient rien, ne disent rien – rien qui soit rapportable à son évaporation et utile à la comprendre.
L’enquête est engagée avec une visée ambiguë : il s’agit idéalement de retrouver quelqu’un, si possible vivant (d’où le recours à la première chamane) ; mais il s’agit aussi, de manière plus modeste et plus réaliste, d’en dessiner un portrait. L’enquête est aussi un film, et la construction d’un récit lui importe autant ou davantage qu’un résultat concret. Au reste, à défaut de retrouver son fiancé, Yoshie voudrait bien du moins en avoir une image nette, acceptable et compréhensible. Les premiers témoins interrogés sont de bonne volonté, et disent volontiers ce qu’ils pensent, mais, comme on pouvait s’y attendre, ce portrait par bribes n’atteint pas à une vraie consistance. Ce ne sont pas des signes stables, identifiables, mais de petits récits, autant de fruits de l’imaginaire que de sujets interrogés. Des souvenirs, c’est-à-dire des histoires, louches, partielles, pas fiables. Le souvenir de quelqu’un, c’est-à-dire quelque chose comme sa fiction, incomplet comme une fiction, et opaque comme elle : le souvenir ne peut être prolongé au delà de ce qu’il inclut, comme la fiction, et en outre, on ne sait sur quels principes, sur quels présupposés il a sélectionné ce qu’il garde et ce qu’il rejette.
Il y a donc au moins deux disparitions d’Oshima (en fait il y en a encore une troisième, dont je vais reparler) : celle, effective, historique si j’ose dire, d’un homme qui décide de ne plus donner de nouvelles, après un accident de sa vie dont nous ne savons et ne saurons rien ; celle, symbolique et imaginaire à la fois, c’est-à-dire fictionnelle, du héros d’un récit qui tout à coup cesse d’assumer ce rôle. On se souvient de la vitupération de l’écriture par Platon (dans le Phèdre) : « elle ne produira que l’oubli dans l’esprit de ceux qui apprennent, en leur faisant négliger la mémoire. En effet, ils laissent à ces caractères étrangers le soin de leur rappeler ce qu’ils auront confié à l’écriture, et n’en garderont eux-mêmes aucun souvenir. » Le film d’Imamura s’est souvenu de cette méfiance de l’enregistrement, qui vicarie la mémoire mais bientôt s’y substitue et produit l’oubli ; en tout cas, il a rencontré cette même idée, que faire le récit d’un événement ou d’une série d’événements, cela peut aussi provoquer une espèce d’oubli. Cela est vrai, littéralement, de l’héroïne, Yoshie, la “Souris”, qui voulait retrouver son fiancé, puis, plus modestement, le comprendre, puis, plus modestement encore, s’en souvenir – et qui inexorablement l’oublie, comme l’avait bien anticipé sa sœur aînée dès le début, dans un entretien avec le cinéaste auquel succède dans le film un métaphorique plan de chasse-neige, histoire d’enfoncer le clou.
Si Oshima s’évapore, c’est donc dans l’esprit des autres : par lui-même, il n’a ni disparu ni fondu, il continue, là où il est, de coïncider avec lui-même ; son évaporation est une donnée d’expérience (au sens du vécu, pas de l’expérience scientifique). Dire qu’il disparaît deux fois, c’est donc signifier qu’il ne disparaît vraiment qu’en vertu de cette seconde disparition, fictionnelle, symbolique et imaginaire, qui fonde et détermine la première. Tout le mouvement du film, dès les premières minutes, de manière accélérée et, on va le voir, soudain brusquée et transmutée, consiste à démontrer cela. Il y a bien eu évaporation, mais pour en être sûr, il faut la traquer longuement, jusqu’à en faire un récit.
Du vrai dans le faux et vice versa
Il est temps par conséquent de s’intéresser aux moyens que cette enquête s’est donnés. Les années soixante ont été celles de la libération du cinéma documentaire, avec l’invention de la caméra Éclair-Coutant « autosilencieuse » (1960), puis du Nagra synchronisable (1962), et l’apparition de ce qu’on appela le « cinéma direct ». Celui-ci on le sait se caractérise par deux traits essentiels : la légèreté du matériel, permettant d’aller partout, de filmer en marchant, en roulant, de porter la caméra sur l’épaule, et, pour le caméraman, de rester relativement discret ; et le synchronisme entre la caméra et le magnétophone, permettant d’enregistrer de véritables blocs d’espace-durée (y compris leur dimension sonore). Une véritable révolution, engagée au premier chef par l’école québécoise (Brault, Perrault), puis copiée très vite aux Etats-Unis, en France, en Angleterre.
Lorsqu’il entreprend ce film, Imamura a déjà derrière lui une carrière de réalisateur de plus de dix ans. Cinéaste atypique, il vient de se signaler par une série de films qui rompent avec les sujets traditionnels du cinéma japonais, les samouraïs et le thé, pour se centrer de manière crue sur la sexualité, et spécialement la sexualité féminine : La femme insecte (1963), Désir meurtrier (1964) ; son dernier film avant L’évaporation d’un homme, en 1966, s’appelle Les Pornographes, introduction à l’anthropologie. On est à l’époque des « nouveaux cinémas », au Japon comme dans beaucoup de pays, et ce cinéaste de quarante ans se comporte comme un jeune artiste provocateur (comme, au même moment, un cinéaste nommé lui aussi Oshima). Il enchaîne les films choc, mais qui obtiennent davantage de succès auprès de la critique que du public[22] [22] Mathieu Capel me précise que ses films étaient régulièrement classés à la première ou deuxième place des hit-parades de fin d’année dans les revues Kinema Jumpô et Eiga Hyôron. .
Avec L’Évaporation d’un homme, c’est encore un titre choc et un sujet sensationnel (des dizaines de milliers de Japonais disparaissent chaque année : qu’est-ce à dire ?). Mais Imamura y adopte une posture nouvelle pour lui : un petit budget (cinq ou six fois moins que ses films précédents) ; une équipe réduite, avec un opérateur débutant et une caméra légère (Arriflex 16 SP) ; enfin, et pour la première fois, un projet de documentaire. On verra ce qu’il advient de ce projet documentaire avec L’Évaporation d’un homme, mais son film suivant, Les Profonds Désirs des dieux, sera en 1968 une apologie provocante des mœurs des îles du sud japonais, et Imamura apparaît alors comme un des cinéastes qui font tout pour parler du Japon contemporain, dans une après-guerre qui n’en finit pas.
L’Arriflex n’est pas l’Eclair. C’était la caméra reine des années cinquante, et elle ne permettait pas l’enregistrement commode du son synchrone. On a l’impression que, du coup, Imamura non seulement a renoncé au synchronisme mais a pris un malin plaisir à souligner son absence flagrante (au point qu’on voit souvent à l’image une autre personne que celle qui parle). L’idéologie documentaire à l’œuvre ici n’est pas celle du « cinéma direct », encore moins du « cinéma-vérité » de Rouch et Morin. Il ne s’agit pas de se couler dans la vie quotidienne des gens, comme le prônait Richard Leacock, pour les saisir au moment où ils oublient qu’on les filme, et sont véritablement eux-mêmes. Les personnages filmés ici le sont le plus souvent de face, sur le mode de l’interview, du dialogue et même du questionnement, voire de la mise à la question, comme on le verra dans toute la dernière demi-heure du film, qui n’est qu’une longue insistance sur le témoignage crucial du poissonnier. Pas question de les regarder vivre : on les convoque, on les installe (de manière souvent inconfortable), on les fait parler.
L’essentiel, dans ce film qui se conçoit comme une enquête, c’est d’obtenir des résultats, tangibles. On peut de temps en temps se permettre quelques excursus, comme le discours pittoresque du dirigeant de PME qui sermonne ses employés en leur prêchant la frugalité, mais pour l’essentiel, il s’agit de traquer les témoins potentiels, puis de leur faire rendre tout ce qu’ils peuvent exprimer, de les presser comme des oranges. La caméra est là, insistante, mobile aussi (comme en témoigne la variété des cadres, soulignée par un montage qui ne se soucie jamais de raccorder). La caméra sait aussi se faire oublier, et même se dissimuler, lorsque l’espoir d’obtenir une parcelle de vérité est en jeu. (C’est par exemple la longue scène où une ancienne maîtresse d’Oshima est interrogée longuement par Toshie et Tsuyuguchi et filmée par deux caméras, l’une et l’autre cachée.)
C’est Jean Epstein qui, le premier, a émis l’idée que le cinéma avait une vocation judiciaire et véritative : un visage humain, filmé, ne peut mentir, et devient aussitôt une pièce à conviction. « Des tribunaux américains ont déjà reconnu et utilisé légalement ce pouvoir inquisiteur du cinématographe, notamment dans le cas de recherche de maternité », s’émerveille-t-il en 1946, dans L’Intelligence d’une machine. Imamura n’en est pas loin, mais ne trouve pas des preuves dans les visages filmés et leurs émotions ; il fait davantage confiance à un dispositif de mise en scène et de surprise, d’ordre judiciaire et même policier, comme on vient de le voir – restant au fond dans une conception purement langagière (logique) de la vérité. C’est pourquoi, lorsque deux paroles s’opposent, comme à la fin celle de la sœur et celle du poissonnier, il n’y a pas d’issue.
Pourtant, au fil de l’enquête, l’enjeu se déplace, doublement : d’une part, Yoshie, la “Souris”, se met bel et bien à oublier Oshima, comme l’avait lucidement prévu sa sœur, et tombe amoureuse de Tsuyuguchi, l’homme qui enquête avec elle ; c’est d’ailleurs le moment de révéler que ce soi-disant journaliste est en fait un acteur, engagé par Imamura, ce qui jette un premier doute sur le caractère du projet initial. D’autre part, plus fondamentalement, l’enjeu du film se déplace, et devient l’inimitié quasi haineuse entre Yoshie et sa sœur Sayoko. À mesure qu’elle revient sur sa liaison avec Oshima, Yoshie est amenée à interroger certains aspects de la relation de sa sœur avec lui, à soupçonner (ou prétendre soupçonner) que cela a été une relation intime, jusqu’à finalement orienter l’enquête exclusivement dans ce sens. Les enquêteurs recherchent alors, non plus des témoignages sur Oshima, sa personnalité, son dernier voyage à Fukushima, les affaires qu’il y traitait et les femmes qu’il a pu y rencontrer, mais sur le couple putatif Oshima-Sayoko. Ce dernier moment du voyage culmine avec l’interview, déjà évoquée, du poissonnier Ototoya, qui assure avoir vu ce couple se promener ensemble. La longue fin du film, abandonnant l’enquête policière, abandonnant l’espoir de retrouver l’homme disparu, abandonnant même la recherche des causes de sa disparition, ne tourne plus qu’autour d’un élément minuscule : le poissonnier a-t-il, oui ou non, vraiment vu Sayoko se promener avec Oshima ?
Une longue scène d’intérieur réunit alors les deux jeunes femmes, le pseudo-journaliste, le réalisateur et le poissonnier. La discussion, aigre, bute sur l’obstination de l’une et de l’un, les mêmes affirmations revenant en boucle, interminablement – jusqu’à ce que soudain Imamura finisse par intervenir, et casse ce cercle en déclarant que tout cela, au fond, n’a qu’un rapport incertain avec la vérité. Sur l’injonction du cinéaste (qu’il faut de ce moment-là appeler un metteur en scène), les parois de la pièce s’élèvent dans les airs, le décor apparaît pour ce qu’il est, une construction légère dans un immense espace, où passent des ouvriers tandis que la caméra prend de la hauteur et nous découvre le studio où cela était tourné. Ce moment est sans doute le plus célèbre du film, pour des raisons aisées à comprendre. D’abord, il est surprenant, venant de manière inattendue au beau milieu d’une âpre discussion, au moment où elle s’enlise de manière irrémédiable ; en outre, il est spectaculaire, avec le démontage des parois, le recul, l’irruption de la lumière. Mais surtout, il déplace, de manière violente, l’enjeu même de toute l’entreprise – faisant disparaître une troisième fois le malheureux Oshima, qui n’est même plus, désormais, le héros de l’enquête. Depuis un moment, on sentait bien que le sujet du film était devenu, de plus en plus, la personnalité de Yoshie. Comme l’a avoué Imamura dans un entretien un peu ultérieur : « Quand nous faisions L’Évaporation d’un homme, mon équipe et moi nous sommes restés dans la pièce d’à côté de Yoshie Hayakawa durant un an. Elle avait tous les défauts de la terre, et aucun d’entre nous ne pouvait la supporter. Et pourtant, j’ai voulu comprendre pourquoi elle me dérangeait autant, et ça a suffi à me faire avancer. » Mais avec le démontage du décor, le sujet du film, finalement, devient le film lui-même, ou mieux, le cinéma comme machine à faire parler la réalité.
Il s’agissait depuis le début, malgré tous les déplacements d’accent de l’enquête, de s’appliquer à récolter des petits bouts de réalité, et même, des petits bouts de vérité, en espérant en trouver assez pour reconstituer le puzzle. Brusquement, il s’agit de tout autre chose : d’un questionnement des moyens de communication et d’expression, à commencer par le langage, mais aussi le cinéma. « Nous traquons les faits. Mais sous forme de film, cela devient une fiction ! », dit candidement l’ex-patron d’Oshima, devenu lui aussi acteur du film. Je rappelais tout à l’heure le contexte dans lequel travaille un réalisateur confirmé mais expérimental comme Imamura : on est après les Nouvelles Vagues mondiales (y compris japonaise), qui ont mis à mal le régime du récit cinématographique classique ; on est après le cinéma direct, qui a souvent été compris comme l’antagoniste déclaré du cinéma de fiction tout entier. Construire un film documentaire pour le conclure au bout de deux heures par cette pirouette est évidemment un geste délibéré, qui vise à renvoyer dans les cordes les tenants du direct comme ceux de la fiction, et qui ouvre une réflexion vertigineuse sur ce qu’est le récit filmique.
Sans doute, grâce à l’astuce d’Imamura dévoilant (tardivement, après des mois de tournage, tout de même) son dispositif et son point de vue, un doute sérieux est instillé sur la réalité de tout ce que nous avons vu durant deux heures. Doit-on croire que le dernier incident, celui du poissonnier, qui par son caractère insoluble détermine l’irruption du hors-cadre, est véridique et a seulement été exploité habilement, ou qu’il a dès le début été provoqué, mis en scène, voire, qui sait, scénarisé ? Et de fil en aiguille, ne peut-on alors tout remettre en doute : les deux sœurs se détestent-elles vraiment ? sont-elles seulement sœurs, ou des actrices ? et de même pour tous les personnages – jusqu’à Oshima, dont au fond rien, jamais, ne nous prouvera qu’il a bien disparu et même qu’il a bien existé. Rien, ni la mobilité de la caméra, ni le sentiment de présence et d’authenticité que communiquent les visages incessamment filmés, ni la présence insistante du tournage dans le film (entre autres le défaut de synchronisme de la plupart des scènes) ne peut absolument trancher : cela peut être un documentaire, mais « arrangé » et partiellement reconstitué ; ce peut-être la reconstitution méticuleuse d’un événement réel, mais joué ; ou encore, un scénario réalisé en style de reportage (comme, en somme, le fera Cassavetes un an plus tard avec Faces), ce qui expliquerait peut-être certaines incohérences du récit. Le film se qualifie lui-même de « fiction », mais seulement vers la fin, quand déjà tout est joué : le spectateur, lui, reste libre d’y adhérer comme bon lui semble, d’autant que le cinéaste, roué, ne cesse de brouiller les pistes et de semer le doute.
Du moins Imamura a-t-il obtenu l’effet de choc qu’il recherchait. Son quasi-contemporain Oshima Nagisa a noté : « “Je ne comprends pas la vérité”, est-ce que c’est ça le thème ? mais ce n’est pas un thème, parce qu’on peut conclure ça de n’importe quelle œuvre. Cela peut être intéressant pour de soi-disant critiques qui trouvent ça malin, mais si de vrais auteurs en font une question, il faut que ce soit en vue d’une vérité particulière. Il serait désolant qu’un concept frauduleux de ce genre envahisse le monde critique comme une hystérie collective. L’Évaporation de l’homme est un film qui démarre sur l’idée erronée qu’un thème subjectif émergerait à mi-chemin, qui échoue merveilleusement, qui fait un terrible effort pour se racheter, et dont le charme est dans cet effort. En réalité, il faut donc le considérer comme un exemple de documentaire raté. » « Raté », c’est question d’appréciation, mais en effet, le « charme » du film est bien dans ce rétablissement de dernière minute, au moment où tout est perdu : Oshima (Tadashi, pas Nagisa) ne sera jamais retrouvé, on ne sait même plus qui il est, sa fiancée est de plus en plus détestable, on n’en peut plus – et tout à coup on sauve la situation en donnant pour sujet à ce film les moyens mêmes par lesquels il a jusque-là réussi à épier ses personnages. Imamura raconte : « Un peu après, j’ai revu la Souris dans une auberge à Yotsuya. Je me préparais à me faire engueuler avec véhémence, mais en fait, elle était soulagée que toute cette affaire soit enfin finie. J’ai amèrement regretté de n’avoir pas filmé cette rencontre en caméra cachée [souligné par moi]. J’étais là au bord d’un gouffre, devant un psychisme féminin qui dépassait mon entendement… »
Tout film est un oubli
J’en viens donc pour finir à la question de l’oubli, de laquelle je suis parti. L’oubli est ouvertement au cœur de ce film, qui semble même s’être attaché à l’organiser, sur plusieurs niveaux :
– d’abord et tout simplement, Yoshie oublie Oshima ; elle tombe amoureuse de Tsuyuguchi, et simultanément, elle a de plus en plus de mal à penser encore à cet homme disparu comme à l’homme de sa vie ;
– parallèlement, le film oublie son objet de départ, et même, son double objet de départ : une enquête sur la disparition d’un homme, et une réflexion plus générale sur le phénomène de l’évaporation dans le Japon de l’après-guerre ; il se recentre sur la personnalité trouble des deux sœurs, et s’enlise dans l’examen d’un événement minuscule dont le sens est obscur (la promenade supposée) ;
– enfin, en s’avouant comme fabrication, et même comme mise en scène, le film oblitère la réalité sous le récit de la réalité ; le cinéma apparaît, au total, comme un fauteur d’oubli, qui fait s’évanouir (« s’évaporer ») le réel en le racontant.
Pourquoi un film (une enquête filmée) s’avère-t-il incapable de reconstruire ce qu’a été un homme ? Il y a toutes les raisons contingentes qui tiennent au nommé Oshima, à son entourage, aux difficultés objectives de reconstituer la vie de quelqu’un qu’on n’a jamais vu. Il y a aussi tout ce qui tient à la roublardise d’Imamura, à son art de nous mener par le bout du nez, ménageant ici un changement d’humeur, là un retournement dans la conduite de l’enquête, et finalement, abattant ses cartes de réalisateur maître, pour qui importe avant tout d’apparaître comme celui qui dirige le jeu. Au fond, peut-être que, dès le départ, c’était mission impossible (on ne retrouverait jamais l’évaporé), et que le repliement du film sur lui-même était prévisible, inévitable.
Mais il y a plus. Le cinéma n’a qu’une matière, qui est le temps, et sa tâche essentielle est d’en donner une symbolisation, une mise en forme ; pour cela, toutefois, il est limité par ce qui le définit, le rendu de la durée – c’est-à-dire, quoi qu’on en aie, le rendu du présent. On peut sans doute, comme Deleuze, nier que le cinéma soit « un art du présent », mais c’est autre chose (Deleuze réagit contre un cliché critique qui concerne surtout les contenus des films) ; le philosophe, on le sait, a travaillé à détacher le cinéma, comme art et expression, du simple rendu de la durée, et sa notion d’”image-temps” recouvre une construction complexe, mettant en jeu le montage, le scénario et les attentes du spectateur. Mais, « image-temps » ou pas, cela n’abolit pas le fait que chaque plan d’un film rend compte d’une durée présente.
Lorsqu’un film se donne la tâche de pénétrer le passé, il travaille tout simplement à contre-pente, et ne peut y parvenir que par le jeu d’autre chose que le plan : le montage, la mise en scène, le recours au langage, un jeu sur l’énonciation, etc. Que voyons-nous dans L’Évaporation d’un homme ? Une jeune femme part à la recherche de son amoureux évaporé, mais à mesure que la recherche avance, au lieu de se rapprocher l’homme disparu s’éloigne, enseveli sous la masse des récits à son propos, sans jamais aucun trait de réel qui vienne émerger ; même les souvenirs authentiques, vécus, affectifs, sont transformés en récit. Vers la fin, elle l’a oublié, y compris affectivement. Pourquoi ? tout simplement parce que le film n’a cessé de produire de nouveaux petits morceaux de présent, qui n’ont avec le passé que l’on vise que des relations très indirectes ; Imamura l’a parfaitement compris, et son film, habilement, redouble ce mouvement, en passant d’une première visée qui est la découverte d’une vérité à une autre qui est la fabrication d’une fiction.
On voit où je veux en venir, de manière peut-être un peu téléphonée : dans l’affaire, le cinéma, loin d’être une machine à produire de la mémoire, est une machine à fabriquer de l’oubli. Yoshie la “Souris” oublie son amoureux ; en travaillant son passé, en le reparcourant, loin de le rendre plus transparent elle le rend opaque. L’enquête d’Imamura et de Tsuyuguchi oublie son propos de départ, en se laissant entraîner par les accidents du tournage, par l’inflexion inattendue que lui donne l’irruption d’un scénario d’affects (la haine des sœurs) à la place d’un autre (le couple des fiancés).
Mais tout cela, qui est contingent et propre à ce film très singulier, a une portée plus générale. « Really, the things we remember are those we forget. », disait un maître ès paradoxes, Chesterton. Paradoxe profond et qui s’éclaire simplement, si l’on tient compte de l’adverbe (« réellement »). Le réel – ce qui nous est vraiment arrivé, ce qui ne dépend pas de nous, de nos fantasmes et de nos visions, mais existe vraiment – le réel ne peut nous advenir qu’à l’improviste, en contournant les récits que nous avons pu nous faire de lui, c’est-à-dire la « réalité » plus ou moins illusoire que nous avons constituée peu à peu. L’élaboration des souvenirs est la pire ennemie de la vraie mémoire, parce qu’elle mène à en faire des récits et des fictions, c’est-à-dire des déguisements du réel sous une fausse réalité. Sous une autre forme, plus lourde et plus directe, c’est tout l’enjeu du souvenir proustien, cette irruption soudaine, inattendue, immaîtrisée d’un petit morceau de réel sous le vêtement le plus humble, le plus dérisoire, le plus pauvre – un biscuit, un pavé. Le cinéma ne peut pas, c’est sa limite, rendre compte de la madeleine proustienne, parce qu’elle est un conflit purement psychique, entre le réel et l’imaginaire : or, le cinéma est tout entier dans l’imaginaire, même lorsqu’il montre la réalité. Ce que nous souffle le film d’Imamura (et, sur des modes différents, nombre d’autres documentaires) c’est qu’il est même d’autant plus dans l’imaginaire qu’il nous montre la réalité. Le « film de fiction », le film scénarisé, est évidemment un pur produit de l’imaginaire, mais du moins est-il produit en connaissance de cause, et pour être le plus cohérent, le plus logique possible ; le documentaire, qui dépend de circonstances non scénarisées, n’a même pas cette certitude. Il peut lui arriver – c’est le cas ici – de ne pas pouvoir construire de cohérence ni de vraie logique narrative, de ne pas pouvoir donner forme jusqu’au bout à sa réalité, de ne pas pouvoir symboliser pleinement le réel.
Au fond c’est l’idée d’oubli qui est ambiguë : l’oubli est un jeu interne à notre psychisme, mais il est aussi un jeu entre notre psychisme et le réel. Il ressortit à l’imaginaire, à ces récits que nous fabriquons pour comprendre ce qui se passe et ce qui nous arrive ; mais il ressortit aussi à une expérience plus profonde, plus obscure, qui est celle de notre lutte permanente pour saisir l’insaisissable, le réel. Nous devons d’ailleurs oublier pour pouvoir vivre (l’hypermnésie est une pathologie, et c’est sans doute ce que signifiait la métaphore antique du Léthé). Ou, dans les mots plus concis et plus vigoureux de Nietzsche : « toute action exige l’oubli » (comme, ajoute-t-il, tout organisme a besoin d’obscurité). Nietzsche avait en vue, on le sait, l’oubli de l’Histoire, mais ce que nous suggère l’astucieux film d’Imamura, c’est qu’on peut traduire cette formule en constatant que, au fond sans paradoxe, tout film potentiellement repose sur un acte d’oubli.