L’Été dernier, Catherine Breillat

La rengaine de l'été

par ,
le 27 septembre 2023

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Le personnage principal de L’Été dernier, Anne, interprétée par Léa Drucker, se présente d’abord par ses fonctions. Dès le premier plan, nous entrons crûment dans le cœur de son métier, celui d’avocate spécialisée en protection de l’enfance. Une jeune plaignante en larmes se soumet aux interrogations précises de l’avocate qui décortique sa vie sexuelle et affective pour préparer sa défense et que Breillat filme impassible, dans de longs plans fixes, ne laissant que de brefs contrechamps à la jeune fille. Dans le civil, Anne est la mère adoptive de deux petites filles, la seconde épouse d’un DRH, et s’occupe de toutes les tâches ménagères. Ce décor naturaliste, inscrit dans le monde de la bourgeoisie provinciale, est mis en branle lorsque Pierre, son mari joué par Olivier Rabourdin, annonce à Anne qu’il va accueillir son fils, Théo, âgé de dix-sept ans, poursuivi par la justice pour avoir agressé l’un de ses professeurs. Progressivement, Anne et Théo se rapprochent, se lient et couchent ensemble en dépit des interdits.

La confrontation entre une famille bourgeoise et une caricature d’adolescent rebelle du XXIe siècle, les yeux rivés sur son téléphone, qui ne s’exprime que par le mot « cool », laisse entrevoir la faible connaissance de la jeunesse dont Catherine Breillat fait preuve et les insuffisances de son scénario pétri de stéréotypes. À mesure que le récit avance, plutôt souffreteux que sulfureux, le film laisse entrevoir, malgré lui, une somme d’ouvertures possibles que Breillat évacue à force de rester en surface. On peut penser à The Smell of us de Larry Clark lorsque la bande-son passe Sonic Youth lors d’une scène de conduite à l’issue de laquelle Anne plante sa voiture dans un arbre. L’évasion s’arrête et le film retourne brusquement au drame bourgeois. Lorsque, dans la troisième partie du film, Théo révèle à son père et à la justice la liaison qu’il a entretenu avec sa belle-mère, il ne suffit à Anne que d’un tour de passe-passe rhétorique pour manipuler son mari et renvoyer Théo à l’internat puis d’un accord à l’amiable pour régler ses problèmes judiciaires. Le statut du mari reste cependant une interrogation : personnage lisse et inconsistant, Breillat laisse la question de son consentement en suspens. À la fin du film, après avoir couché une nouvelle fois avec Pierre malgré la haine et l’éloignement, Anne revient se coucher auprès de son mari à qui un nouveau mensonge suffit comme excuse. Le dernier plan fond au noir laissant l’éclat de l’alliance de Pierre scintiller.

L’environnement bourgeois de la famille n’est d’ailleurs jamais traité comme un milieu social mais comme un cadre à l’intrigue. Dans Une vraie jeune fille, le monde paysan servait à la fois de support esthétique et narratif aux premières expériences érotiques de son héroïne. À partir de la misère de son milieu d’origine, Breillat construisait une ambiance poisseuse et glauque. Dans L’Été dernier, Breillat préfère, par son récit, montrer l’extase féminine. Au terme de la deuxième scène de sexe avec Théo, la caméra capte l’orgasme d’Anne dans toute sa durée, une veine apparente sur le front de Léa Drucker indiquant la puissance physique du plaisir. Mais la plupart du temps, la mise en scène de Breillat se déploie dans une semi-pudeur tout à fait classique : comme dans n’importe quel autre film, en apparence moins sulfureux, la caméra filme seins nus Léa Drucker mais s’arrête au niveau de la ceinture lorsqu’Olivier Rabourdin se déshabille. En évacuant les problématiques sociales et l’éventuelle satire que le sujet permettrait, Catherine Breillat veut faire du film une affaire de femme. Anne, probablement elle-même victime d’inceste ou de viol dans sa jeunesse, revivrait un amour adolescent avec Théo. L’emprise bourgeoise aiderait Breillat à penser l’interdit auquel se confronte son héroïne à travers des personnages antagonistes. Aussi le film échoue-t-il à procurer un sentiment de danger ou de malaise.

Pour autant, le problème principal du parti-pris de Breillat se situe ailleurs. En interview, la cinéaste fustige un moralisme contre lequel elle érige son film. Mais, en refusant d’inclure une analyse de l’origine sociale de ses personnages dans son récit, la cinéaste n’oppose à l’inceste qu’une idée très vague de la famille qu’Anne cherche à tout prix à préserver. Alors que, bien souvent, dans les témoignages à propos des violences intra-familiales, le discours sur la préservation de la famille s’adresse à l’encontre de la victime, la fautive s’en empare avant toute révélation. La facilité avec laquelle elle parvient à retourner son mari contre son fils et dont elle renoue avec sa sœur, qui a surpris un début d’ébat entre Théo et Anne, résout rapidement les tiraillements moraux de l’héroïne.

Le concept de « moralisme » devient, au fur à mesure du film, un mot creux, à moins qu’on ne le rattache au contexte politique entourant la sortie du film. En parallèle de l’intrigue, Anne suit une jeune fille, probablement victime de violences, qui revient dans le foyer familial. Un jour, alors qu’elle veille à ce que la garde se passe bien, elle comprend que le père a récidivé et appelle immédiatement les services sociaux. Elle s’en voit remerciée par la jeune fille qui lui offre un bouquet de fleur le jour de Noël. Ce Noël en famille marque son triomphe : sa sœur se réconcilie avec elle et son mari lui offre un magnifique bracelet (selon les personnages :la bourgeoisie n’est définitivement plus tributaire du bon goût). Nul besoin de description supplémentaire pour saisir que le film s’inscrit dans un contexte de reflux anti-féministe et réactionnaire après la libération de la parole de Metoo.

En définitive, L’Été dernier s’assimile parfaitement à un type de discours qui se répand dans plusieurs sorties récentes. Le film partage avec Tàr de Todd Field ou Mon Crime de François Ozon la volonté de prendre à rebours le discours de Metoo. En dehors de leur postulat et de leur ton, ces trois films brodent autour du poncif de la femme manipulatrice. Ces films s’édifient à partir du point de vue ou du témoignage de personnages féminins et mettent en scène leur part de mensonges et d’obscurité. Outre la mise en doute du témoignage féminin, ces films ambitionnent de complexifier la prétendue binarité du féminisme contemporain. Pourtant, le pas de côté de ces cinéastes les fait rentrer dans le rang et leur apparente complexité n’aboutit qu’à des idées très générales et résolument creuses. Le dilemme moral de L’Été dernier se résume ainsi : voici une femme qui cède à ses pulsions et qui les réprime. Toute l’apparente nuance provocatrice de Catherine Breillat tend à remplacer les attendus de l’air du temps par un badinage entre un beau-fils et une belle-mère digne d’un mauvais porno. Breillat s’était elle-même illustrée en 2018 en comparant le #BalanceTonPorc à #BalanceTonJuif – vocabulaire identique à celui d’Éric Zemmour – et en salissant le témoignage d’Asia Argento à l’égard d’Harvey Weinstein en pointant sa « jalousie » – la fille du maître du giallo s’est elle-même par la suite retrouvée accusée de détournement de mineurs. De ce contexte politique découle l’ambiguïté et la superficialité de l’intrigue car, à force de nuancer le propos des autres, Breillat perd de vue son propre argument.

Ce discours illustre une certaine tendance des films du milieu à répondre davantage aux angoisses et aux normes du monde du cinéma qu’à son public, à moins que le public que vise Breillat ne se restreigne à son seul producteur et à un public cinéphile si inquiet de la cancel culture qu’il en perd tout jugement de goût. Cette revendication pseudo-libertaire dans le monde du cinéma d’auteur s’accompagne d’une uniformisation esthétique ou, plus précisément, une crise de l’invention formelle. Les cinéastes, eux-mêmes, s’enferment dans des styles surannés : L’Été dernier n’innove pas plus que Jeanne Moreau dans L’Adolescente (1979). En tout cas, nous demeurons certains que, une fois l’effet de mode passé et les paniques réactionnaires balayées, L’Été dernier restera enseveli sous les feuilles d’automne.

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L’Été dernier, un film de Catherine Breillat, avec Léa Drucker, Samuel Kircher, Olivier Rabourdin, Clotilde Courau...

Scénario : Catherine Breillat, avec la collaboration de Pascal Bonitzer, d’après le film Queen of Hearts de May El-Thoukhy / Image : Jeanne Lapoirie / Son : Damien Luquet, Loïc Prian, Katia Boutin, Cyril Holtz / Montage : François Quiqueré / Musique : Kim Gordon

Durée : 1h44.

Sortie française le 13 septembre 2023.