Les films d’Alice Rohrwacher proviennent d’un temps révolu du cinéma italien, de ses tombes enfouies, de ses grottes oubliées et de ses fonds marins. Ils nous parlent de ce cinéma des « pères » qui (c’est l’idée de Godard emboîtant le pas de Bazin[11] [11] Dans l’épisode 3B des Histoire(s) du cinéma, « La monnaie de l’absolu », qui se termine sur un éloge bouleversant, et un peu kitsch, au cinéma italien d’après-guerre. ) se définissait moins par son objet (le réel social de l’Italie d’après-guerre) ou par une unité générale de style (le plan-séquence, la dé-sémantisation du montage), que par ce qu’il avait accompli dans l’histoire : la rédemption morale du cinéma. Centrale dans le néoréalisme, la question morale peut sembler une préoccupation discrète dans l’œuvre de Rohrwacher. Pourtant, qu’il s’agisse de Marta avançant vers la foi par-delà la fausseté des rituels de la communauté catholique (Corpo Celeste, 2011), de Gelsomina découvrant le vrai visage de son désir par-delà les récompenses que font miroiter le show télévisé du « Pays des merveilles » (Les Merveilles, 2014) ou Lazzaro ressuscité se sacrifiant pour son ami Tancredi (Heureux comme Lazzaro, 2018), tous ses personnages accomplissent un cheminement similaire vers ce qu’il faut bien appeler un absolu, une chose par rapport à laquelle toute compromission semble impossible. Gardons-nous de comprendre ce « cheminement » d’une façon trop linéaire et évolutive : Rohrwacher refuse précisément les outils éculés du character-development classique, qui fonctionne par « arcs » et « résolutions », si bien qu’elle affirme en entretien que les « êtres humains ne changent pas[22] [22] Alice Rohrwacher, lors d’un entretien donné à France Culture dans l’émission Affaires culturelles, animée par Arnaud Laporte, « Le cinéma doit rendre visible l’invisible », 5 décembre 2023. » et entend construire ses films autour de cette paradoxale immobilité. Tout est là, dès le début, et il s’agit d’imaginer, au sein d’un monde gouverné par les valeurs de l’échange, l’espace dans lequel pourra se déployer un rapport à l’absolu. La Chimera, son dernier film, articule, d’une façon plus puissante encore, le problème de la relation du désir et de l’absolu.
Cette ambition ne sonne-t-elle pas comme un faux accord dans une époque qui entend précisément se libérer du poids des « pères » et de leur morale ? Peut-être, si l’on entend par « morale » un ensemble stratifié de règles, une couche géologique figée qu’il s’agirait de mettre à jour pour la « piller » de nouveau. Pas du tout, si l’on comprend la question morale dans son versant subjectif, comme épreuve éternellement recommencée, et le désir comme appel de l’absolu, excluant toute forme de marchandage[33] [33] Sur la loi du désir par différence avec le principe de plaisir, cf. Jacques Lacan, L’éthique de la psychanalyse 1959-1960, publié aux Éditions du Seuil en 1986. . Et c’est bien de cette deuxième morale qu’il s’agit, qui permet à Rohrwacher de poser à nouveaux frais une question fort ancienne : celle de la valeur de l’image et de sa circulation. Plus précisément : de sa double valorisation, par l’argent et par le regard. À ces deux gestes posés comme équivalents (monnayer, regarder), La Chimère oppose l’apparition fragile, intermittente d’un absolu. Le film s’ouvre sur un jeu d’apparitions et de disparitions lumineuses : un visage, pris entre les menaces de la surexposition et de l’obscurité totale. « So it’s you, my last woman’s face ? » (« C’est donc toi, mon dernier visage de femme ? ») Ce visage est celui de Beniamina, amour disparu d’Arthur, qui ne cessera de tirer son fil rouge éfaufilé dans les souterrains du film. Il surgira à plusieurs reprises, comme une trouée dans le récit, sous la forme de fragments en 16mm et en Super 16, tandis que le reste du film est tourné en 35 mm (Hélène Louvart, directrice de la photographie attitrée de Rohrwacher, est habituée à ces changements de format), associé à des nuées d’oiseaux traversant le ciel, qui en représentent l’envers, la face éternellement cachée, la promesse.
Le récit pourrait être très simplement résumé : de retour dans le village toscan où il a vécu avec Beniamina, Arthur fait l’épreuve d’une contradiction entre son activité de tombarolo, de pilleur de tombes étrusques, et l’appel de l’absolu. Nous l’avons dit, il serait vain de chercher une progression linéaire dans le parcours d’Arthur, la contradiction étant maintenue du début à la fin, y compris lorsque le film semble amorcer une résolution. La relation du jeune homme avec Italia, l’élève de chant de sa belle-mère, semble pourtant être l’occasion d’une prise de conscience. Cette dernière tente en effet de le rappeler au respect des objets de culte lorsqu’elle découvre son activité de pilleur : « Sono cose che non sono fatte per gli occhi degli uomini, ma per quelli delle anime. » (« Ce sont des choses qui ne sont pas faites pour les yeux des hommes, mais pour ceux des âmes. »). Quelques temps après, Arthur se rappelle de cette phrase, il jette la tête de la Cybèle d’Étrurie dans la mer, se sépare de ses amis tombaroli et retrouve enfin Italia. Mais plutôt que de clore le film sur ces retrouvailles, qui concluraient admirablement l’« arc narratif » d’Arthur (la contradiction résolue), Rohrwacher imagine une dernière séquence, mystérieusement articulée au reste du film, dans laquelle le personnage descend de nouveau dans une tombe et se trouve piégé dans le souterrain après un éboulement. Dans l’obscurité surgit alors un trou de lumière, par lequel glisse le fil rouge de la robe de Beniamina. Une dernière fois son visage apparaît, Arthur l’étreint, et les oiseaux poursuivent leur vol sur la musique bouleversante (et un peu kitsch, mais il n’y a là aucune contradiction) de Franco Battiato (« Volano, gli uccelli, volano/Nello spazio tra le nuvole. »)
Cette séquence a, de toute évidence, une dimension allégorique, qui désamorce l’aspect apparemment conclusif des retrouvailles. La Chimère ne cesse d’intriquer tout du long ces deux niveaux, de mettre en évidence la dimension directement allégorique des épisodes du récit les plus concrets, de dévoiler un réel tissé d’imaginaire. Cette intrication passe notamment par un usage remarquable de la musique. Celle-ci, bien plus abondante que dans les précédents films de Rohrwacher, impose son rythme au récit en accompagnant de fréquents sommaires, moments condensés par le montage ou par un usage de l’accéléré d’ailleurs inhabituel chez la cinéaste, et qui rappelle les accélérés pasoliniens de La Ricotta (Pasolini, 1963). Outre sa fonction affective et narrative, la musique agit à plusieurs reprises comme un commentaire de l’action. Tandis que l’Orfeo de Monterverdi révèle l’inspiration mythologique du film (Orphée et Eurydice), les moments d’interruption musicale assurés par les trovatori (troubadours) explicitent les enjeux moraux de la fable, dans la tradition des poètes de langue d’oc née au XIe siècle en Occitanie. La première chanson justifie l’action des tombaroli en l’associant à un vieux mythe paysan, le rêve de découvrir un trésor dans la terre cultivée : le pillage des tombes est un moyen, pour ceux qui ne possèdent rien, de prendre leur revanche sur le sort. La deuxième chanson intervient, elle, au moment du retour des tombaroli vers leur village, après qu’Arthur a jeté le visage de la Cybèle d’Étrurie dans la mer thyrénienne. La perspective est cette fois décalée : les personnages sont vus à la hauteur des oiseaux qui volent librement dans le ciel, et ignorent toute forme de concupiscence. Depuis ce point de vue, l’espèce humaine, obnubilée par ses affaires terrestres, apparaît dans toute sa bassesse morale : l’appât du gain manifeste un penchant naturel des hommes vers la cupidité. Dans les deux cas, et même si l’enseignement est renversé, il s’agit de mettre en relation l’action des personnages avec un principe général, qu’il est possible de résumer sous la forme d’un énoncé linguistique. Ces formes de condensation narrative, sommaire, chanson, permettent de concentrer une densité signifiante, que les spectateurs sont libres de déployer en tirant, à leur tour, le fil.
L’allégorie de La Chimère a avant tout une portée historique, que le prénom d’Italia laisse bien sûr deviner. Ce n’est pas la première fois qu’Alice Rohrwacher convoque l’imaginaire lié à la civilisation étrusque, qui a vécu au centre de la péninsule italienne avant sa conquête par la République romaine. Déjà dans Les Merveilles, l’émission télévisée présentée par Monica Bellucci puisait dans les restes de cette civilisation l’inspiration de ses costumes et de ses décors. Il s’agissait d’ailleurs déjà d’un retour à l’Italie souterraine, archéologique, une Italie de l’ombre : on se rappelle de la cérémonie de remise des prix tournée en direct dans une grotte pour la télévision. La référence à cette civilisation pré-romaine a, chez Rohrwacher, un caractère ambigu.
D’un côté, la cinéaste, qui a grandi dans la campagne ombrienne avec un père apiculteur, revendique l’héritage de ce peuple de paysans réputés proches de la terre[44] [44] Alice Rohrwacher, entretien donné à Le Mag Cinéma le 21 juin 2023. . Son geste, généalogique, est aussi profondément politique. Il met en scène une bataille des lumières dans laquelle s’opposeraient deux visions de l’histoire italienne : les étrusques, peuple associé aux cavernes, affichant une préférence pour les environnements à faible luminosité, offrent un modèle alternatif au « mythe de la romanité », mythe par excellence de l’éclatante lumière et de la gloire visible (on serait tenté de sauter par-dessus la rigueur historiographique pour faire des terrifiants faisceaux, fasci, mussoliniens des faisceaux lumineux). Ce mythe romain, central dans l’imaginaire italien, est d’ailleurs évoqué au détour d’une conversation par le personnage de Mélodie, qui l’associe au machisme pour le différencier de la culture étrusque, dans laquelle les femmes occupent d’importants rôles politiques : « Si les étrusques n’avaient pas disparu, il n’y aurait pas ce machisme en Italie. » Il n’est pas anodin que ce personnage soit français : il apporte sur la culture italienne un point de vue extérieur, « non-italien », que Rohrwacher aime particulièrement mettre en avant. Les personnages principaux sont d’ailleurs étrangers : Josh est anglais et Italia brésilienne, comme si une autre forme d’identité nationale, une sorte d’Italie mineure, pouvait être construite par les bords, par les zones obscures plutôt que par le centre rayonnant de lumière.
D’un autre côté, Rohrwacher montre comment l’art étrusque, délogé des enceintes sacrées et de l’ombre dans lesquelles il aurait dû rester, est intégré à la fois aux circuits d’échange marchands et aux circuits géographiques. Avant même que la Cybèle d’Étrurie ne soit achetée par les collectionneurs, son mystère se dissout dans les modalités prosaïques de son transport : les tombaroli séparent la tête du corps pour pouvoir la sortir plus facilement de la tombe, la statue devient un objet démontable et re-montable à loisir. Spartaco et les tombaroli entérinent la dissolution en convenant d’un prix de l’œuvre : « estimer l’inestimable » revient évidemment à le perdre. Mais ce commentaire sur le transport et la marchandisation des œuvres n’aurait pas grand intérêt s’il n’était aussi finement articulé à un autre type de circulation : une sorte de « marché de la perception »[55] [55] Sur l’idée d’un capitalisme de la perception, cf. Yves Citton, Pour une écologie de l’attention. L’auteur montre notamment le capitalisme attentionnel donne un sens nouveau à l’« esse est percipi » berkeleyien en indexant la valeur des biens culturels sur leur capacité à générer de l’attention, donc à être simplement perçues par un public le plus large possible. , corrélé aux dispositifs optiques par lesquels l’œuvre arrachée à l’obscurité devient image, qui plus est une image reproductible, facilement mise en circulation. Les fresques étrusques restaurées par le peintre Carlo Ruspi au XIXe siècle, réemployées pendant la séquence de générique, sont vues sous une forme miniature à travers un petite visionneuse pour enfants, tandis que la Cybèle d’Étrurie apparaît lors de la séquence de négociation sous sa forme photographiée et projetée. Outre ses évidents accents benjaminiens (la dissolution de la valeur cultuelle de l’œuvre d’art est le sujet de L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, 1935), cette réduction de la culture étrusque à une image compacte et facilement échangeable a une signification particulière au vu de l’histoire de l’Italie moderne.
Cette péninsule qui représentait à la Renaissance le creuset d’une sorte d’« avant-garde » culturelle de l’Europe devient, à partir du XVIIe siècle, une terre associée au passé. Jusqu’au XIXe siècle se développe la célèbre tradition du Grand Tour, qui a donné son nom au « tourisme » sous la plume de Stendhal : les jeunes aristocrates (puis les jeunes bourgeois) d’Angleterre et d’Allemagne y viennent découvrir les trésors de la culture antique. L’Italie, qui n’a pas connu la Réforme, qui n’a pas vécu de révolution politique et de révolution industrielle, est alors considérée comme un pays pré-moderne : pour les européens du XIXe siècle, voyager vers le Sud, c’est voyager vers leur propre passé, dans une sorte de gigantesque musée d’histoire à ciel ouvert. Cette sorte de capitalisme culturel s’accompagne de nouveaux modes de visibilité des monuments antiques. Dans les années 1850, le photographe anglais MacPherson dirige un atelier à Rome, où il produit des « vues » de monuments, de places, d’objets archéologiques, destinés aux touristes désireux de ramener chez eux des images fidèles des lieux qu’ils ont visités… Mais il en est de ces objets comme des systèmes quantiques : en un certain point, l’acte d’observation modifie l’objet observé. Lorsqu’Arthur et les tombaroli pénètrent dans la tombe aux abords de la centrale éléctrique, l’air qu’ils y font entrer déteint les peintures pariétales (des oiseaux, là encore, dont Rohrwacher rappelle qu’ils étaient un symbole du destin dans la culture étrusque). Cette séquence est un remake d’une autre séquence de Fellini Roma (Fellini, 1972), dans laquelle la découverte accidentelle de fresques antiques lors des travaux de creusement du métro romain les détruit en même temps qu’elle les donne à voir. En réemployant les fresques restaurées de Carlo Ruspi, Rohrwacher esquisse discrètement une archéologie de cette période charnière durant laquelle l’Italie a commencé à marchander son passé, et à tirer les objets archéologiques de l’ombre dans laquelle ils étaient restés pour les étaler sur le marché du visible. Plutôt que de déplorer cette marchandisation et de la considérer comme une progression irrésistible de l’histoire, la cinéaste montre que le passé archaïque de l’Italie et la valeur cultuelle de ses objets archéologiques peuvent aussi survivre à cette dissolution et lui sont même contemporains.
Préserver le caractère absolu du passé signifiera donc le rendre à l’ombre. La tête de la Cybèle d’Étrurie apparaît une dernière fois en pleine lumière, dans son éclatante blancheur, avant qu’Arthur ne la restitue au demi-jour des fonds marins, à l’épaisseur des milieux aqueux et aux volutes de sable qui viennent diluer les contours des figures. Ce geste rejoue celui d’Orphée, quoi qu’il paraisse à première vue le contredire : dans le mythe orphique, le regard jeté vers Eurydice semble la condamner accidentellement à rester aux Enfers, tandis qu’Arthur prend la décision de soustraire le visage de la Cybèle à son regard. Mais l’on peut imaginer, avec Céline Sciamma (Portrait de la jeune fille en feu, 2019), que le geste d’Orphée lui non plus n’a rien d’accidentel : « – Peut-être que s’il se retourne, c’est qu’il fait un choix. – Quel choix ? – Il choisit le souvenir d’Eurydice. C’est pour ça qu’il se retourne. Il ne fait pas le choix de l’amoureux, il fait le choix du poète. »
Le choix orphique d’Arthur, qui renonce à posséder et à voir le visage de la Cybèle pour en garder le souvenir, est le contrepoint de la séquence d’ouverture, dans laquelle le personnage complimente le visage de l’une de ses compagnonnes de voyage en le comparant à celui d’une statue antique. Si la jeune femme paraît flattée, la circulation des figures au sein de la séquence suggère que ce compliment cache un trouble profond, l’incapacité d’Arthur d’en finir avec un autre visage, celui de Beniamina. La séquence du train succède directement à la première apparition de ce visage perdu, et est organisée comme une sorte de kaléidoscope : la présence de trois visages féminins, auxquels il faut ajouter une discrète silhouette dessinée au-dessus du siège d’Arthur, ainsi que le découpage de la séquence (tous les plans contiennent au moins un visage féminin), produisent une diffraction du visage aimé. Manifestement, Beniamina hante encore le regard d’Arthur. Ce n’est que lorsque se produit réellement l’identité de ce souvenir et d’un visage de marbre (le « Non sei fatta per gli occhi degli uomini… » s’adresse moins à la Cybèle qu’au souvenir du visage de Beniamina), qu’Arthur peut se séparer de ce fantôme : il ne cherchera plus à retrouver dans son présent le visage perdu. C’est ce qui explique l’articulation manquante de la dernière séquence, qui semble se refermer sur elle-même comme une tombe : l’accès à l’absolu est littéralement délié du reste du film.
C’est ce qui fait la beauté de la relation d’Arthur à Italia : il ne fait pas de son visage un substitut du visage passé. La jeune femme apparaît comme un contre-modèle de l’idéal de beauté classique, de la grâce associée à la statuaire antique. Lors de la séquence de fête près de la centrale, Sista s’étonne par exemple de ce qu’Italia puisse susciter l’intérêt des hommes alors qu’elle « danse comme un bâton ». Rohrwacher imagine un possible du désir masculin qui rompt définitivement avec une tradition de cinéma, disons, hitchcockienne. Dans Vertigo (Hitchcock, 1958), Scottie faisait lui aussi l’expérience d’une disparition et d’une rencontre, mais les deux visages de femme (Madeleine/Judy) en venaient à se superposer à force de ressemblance. Son désir était un désir hanté, incapable de se séparer de l’image passée (Madeleine), et cherchant à tout prix à la retrouver dans le présent. Il nourrissait le rêve fou de voir et de posséder le passé tout en le maintenant en vie[66] [66] Cette tradition survit d’ailleurs dans le cinéma contemporain, exemplairement chez James Gray (Two Lovers, 2008, réactualise la dualité des deux visages, le topos de la brune et la blonde, en empruntant largement à Hitchcock). . Or l’idée de Rohrwacher est précisément celle-ci : un choix doit être fait, afin que l’absolu, l’objet du désir, ne soit pas confondu, que le passé ne se dilue pas dans le présent. Et ce choix, bien sûr, est un choix de poète. Ou plutôt : de cinéaste. Il concerne l’équilibre précaire entre l’ombre et la lumière, la création d’un demi-jour qui seul permet à l’absolu de se révéler comme tel, dans sa quasi-absence, sans se détruire dans la lumière. La rédemption morale du cinéma dont parlait Godard ne signifie pas autre chose que ceci : Orphée ne peut pas tout (a)voir. « Moi aussi, j’avais cru un instant que le cinéma autorise Orphée à se retourner sans faire mourir Eurydice. Je me suis trompé. Orphée devra payer[77] [77] Jean-Luc Godard, Histoire(s) du cinéma, Le Monde, 15 décembre 1994 . » A la beauté des visages de marbre, préférer les oiseaux, qui volent, qui volent, dans l’espace entre les nuages.