Elia et Jack, bénévoles à Calais, sont venus nous rencontrer pendant le temps d’atelier au Centre Pompidou. Après la projection de L’héroïque lande. La frontière brûle et le dialogue avec les cinéastes, nous avons pu évoquer la situation actuelle avec les deux jeunes bénévoles.
« En 2016, pendant la Big Jungle, il y avait 12 000 personnes. Aujourd’hui, il y a entre 2 000 et 3 000 personnes l’été, et entre 800 et 1 500 personnes l’hiver.
Depuis les démantèlements, le but des gouvernements français et britannique est d’empêcher à tout prix une réapparition de la Big Jungle. Il n’y a plus d’espaces de vie organisés, ou ce qu’on pourrait appeler un camp de réfugiés. Maintenant, il y a des “petites jungles” dispersées dans la ville et ses environs, selon les communautés et à proximité des lieux stratégiques de traversée de la frontière.
La “politique contre les points de fixation” désigne les manœuvres de l’Etat pour empêcher toute forme d’installation. Il s’agit de maintenir les personnes dans une situation d’errance perpétuelle. Ça passe par différentes politiques : urbanisation avec barbelés, pierres sur la route, destruction des abris naturels. L’action principale consiste en une politique d’expulsion : tous les lieux de vie sont détruits toutes les 48 heures avec saisie des biens des personnes exilées. On doit aussi faire l’entrave au travail des associations, qui passe par de multiples arrêtés préfectoraux. Il s’agit d’une politique de découragement, de harcèlement.
La couverture médiatique n’étant plus si importante, les politiques ont le champ libre. L’invisibilisation entraîne l’abus régulier des droits humains. Les ressources humaines et la marge de manœuvre des associations ont extrêmement diminué. Il y a un consensus sur le fait que les conditions de vie sont plus difficiles aujourd’hui qu’à l’époque de la Big Jungle. Il n’y a plus de cabanes, plus d’épiceries, plus rien. Pour les politiques, il s’agit de casser le tissu humain. Les réfugiés sont maintenus dans état de dépendance, de survie. Le processus de déshumanisation est très avancé, pour empêcher qu’émerge un semblant de société. »
« En tant qu’Anglais, je peux traverser la frontière en payant 25 livres. C’est la raison pour laquelle je suis à Calais. »
« La première fois que je suis allée à Calais, c’était pour prendre part à un changement politique. J’ai connu une grosse désillusion. J’ai compris que le changement ne se situe pas à mon échelle, ni dans une temporalité proche.
Aujourd’hui, j’y suis à nouveau, mais pour d’autres raisons. Je ne me vois pas faire autre chose, ni être ailleurs. Aussi, je continue de penser que ce l’on fait est important ; en tout cas, j’ai besoin de le penser pour continuer. De toute façon, tu marches sans arrêt sur un fil entre espoir et désespoir. Même si parfois, on a l’impression de se battre dans le vent, traiter les gens comme des humains dans un contexte de déshumanisation reste une raison suffisante pour rester. »