« Pourquoi ne ferait-on pas des films qui ne seraient qu’un rêve ? [11] [11] Dr René Allendy, La valeur psychologique de l’image, L’art cinématographique, vol. 1, Lib, Félix Alcan, p. 103. »
Les nombreuses analyses du rêve au cinéma reviennent souvent à deux fondamentaux. Sur la forme, « à l’exception de quelques films, le rêve s’enclave toujours entre les pans du rationnel [22] [22] Philippe Carcassonne, « Le rêve de la tour », in Cinématographe n° 34, 1978, p. 5. », « entre crochets [33] [33] Thérèse Guilbert, « La poétique fantastique du rêve », in LIGEIA n° 129 – 132, 2014, p. 125 . » Sur le fond, la psychanalyse est le recours incontournable, il est d’ailleurs souvent rappelé que Sigmund Freud note son premier rêve en 1895, année de la naissance officielle du cinéma. Si le fonctionnement des rêves reste un mystère, on sait comment il se fabrique au cinéma, un contenu latent déterminé en amont dans la phase d’écriture est ensuite travesti en ce contenu manifeste qu’est le film, c’est-à-dire une psychanalyse à rebours [44] [44] Sigmund Freud, L’interprétation des rêves, Gallimard, coll. Idées, 1925, p. 11. . Alfred Hitchcock déclarait à propos de Spellbound : « Quand nous sommes arrivés aux séquences de rêve, j’ai voulu absolument rompre avec la tradition des rêves de cinéma qui sont habituellement brumeux et confus [55] [55] François Truffaut, Le cinéma selon Hitchcock, Gallimard, 1966, p. 135-137. ». Hitchcock précise qu’il voulait « une image plus claire que celle du film [66] [66] Ibid. », « car l’univers du rêve, contrairement à l’opinion commune, n’est ni flou ni confus, il est dur et tranché. [77] [77] Roger Caillois, L’incertitude qui vient des rêves, Gallimard, coll. In Quarto, 1956, p. 667. » Soit une image littéralement surréelle et la participation du peintre Dali. Mais qu’elles soient plus claires ou plus brumeuses, « les séquences oniriques se signalent généralement par un arsenal technique complet : une musique du rêve, un grand angle du rêve, un éclairage du rêve, un montage du rêve…, rendant toute confusion inacceptable : ceci est bien un rêve[88] [88] Philippe Carcassonne, Op. Cit., p. 4. . » Hitchcock a vu juste, le rêve en lui-même n’est pas plus brumeux que l’expérience vécue, c’est son souvenir qui l’est. Pourtant, cette séquence emblématique de Spellbound n’est pas un rêve mais la relation d’un rêve, il se confond avec un flashback et souligne au passage l’identité de nature entre les deux, ils s’enclavent de la même façon. De surcroît, nous pouvons soupçonner cette traduction d’une traduction d’être fortement orientée par le désir avide des psychanalystes enquêteurs [99] [99] « L’enquête policière a pris un tel monopole symbolique sur toutes les autres opérations narratives à partir du XIXème siècle, qu’on peut dire de la figure de l’enquêteur qu’elle se confond avec celle du garant, non seulement de l’ordre, mais de la vérité. » (Pacôme Thiellement, Trois essais sur Twin Peaks, P.U.F, 2018, p. 188.) d’y dénicher les indices à interpréter selon les principes freudiens, « je voulais simplement tourner le premier film de psychanalyse [1010] [1010] François Truffaut, Le cinéma selon Hitchcock, Gallimard, 1966, p. 135-137. », concède le cinéaste. Il rejeta la convention qui consistait à noyer le rêve dans le brouillard mais ne dérogea pas à une autre « où le rêve se déroule comme un film dans le film, un italique. [1111] [1111] Jacques Fieschi, « Mémoire musicale », in Cinématographe n° 34, 1978, p.14. »
Dans Juliette des esprits de Federico Fellini (1965), le personnage de Giulietta Massina fait un bref rêve lors d’un après-midi à la plage. Si l’on supprimait les deux plans où le personnage s’endort et se réveille qui ouvrent et ferment ces crochets, rien ne distinguerait cette séquence du catalogue d’images mentales que détaille le film (souvenirs, phantasmes, rêveries, hallucinations…), si ce n’est, dans leur composition, quelques subtils éléments dissonants : drone anxiogène, voix chuchotée et raréfaction du son, décadrage, profondeur de champ plus restreinte ménageant des zones floues au premier plan et aussi faux raccord lumière (du plein jour nous passons à une sorte de crépuscule artificiel avant de revenir au soleil). L’identité visuelle et auditive du rêve n’y relève pas du filtre (le brouillard ou, inversement, une plus grande clarté) mais de l’altération qui renvoie surtout à la notion de déroulement, celui du récit bien sûr, mais aussi au dispositif illusionniste (projection ou diffusion) et, au-delà, aux conditions de fabrication. Ce rêve de Giulietta, bien que très classiquement enclavé, superpose la perte de contrôle de l’endormie à un pseudo lâché-prise de la réalisation d’autant plus prégnant qu’il s’agit ici d’un grand maître. On retrouve cette approche dans un autre rêve célèbre, celui du professeur Isak Borg dans Les fraises sauvages d’Ingmar Bergman (1957). La voix off du rêveur nous place encore dans la relation d’un rêve, mais le son subit aussi une opération de raréfaction ou de sélection drastique pour déréaliser l’espace et coller sans doute à la conception communément admise de la domination de l’image dans le rêve. La surexposition qui l’altère ici peut être considérée comme une erreur qui retranche de l’information, mais les contrastes bien plus tranchés rejoignent l’image plus claire d’Hitchcock à la différence que Bergman intervient sur le procédé, c’est-à-dire sur la méthode ET sur cet ensemble d’opérations spécifiques qui régissent l’impression et le développement de l’image.
« Le cinématographe permet à un grand nombre de personnes de rêver ensemble le même rêve et de montrer en outre, avec la rigueur du réalisme les phantasmes de l’irréalité » nous explique Jean Cocteau dans l’introduction de son Testament d’Orphée (1960). Le rêve au cinéma semble se situer à ce fameux point décrit par les surréalistes où « la vie et la mort, le réel et l’imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l’incommunicable, le haut et le bas cessent d’être perçus contradictoirement[1212] [1212] André Breton, Manifeste du Surréalisme, Gallimard, coll. Idées, 1924, p. 23-24. . » Cependant, le poète cinéaste se défendait dès son premier film de réaliser un film-rêve, « Le sang d’un poète n’a recours ni aux rêves ni aux symboles. En ce qui concerne les premiers il en imite plutôt le mécanisme et, par une certaine relâche de l’esprit, semblable au sommeil, laisse les souvenirs se nouer, manœuvrer, extravaguer à leur guise [1313] [1313] Jean Cocteau, Le sang d’un poète, préface, éd. du Rocher, 1946, p. 12-13. . » Antonin Artaud a déclaré de son côté que « si le cinéma n’est pas fait pour traduire les rêves ou tout ce qui dans la vie éveillée s’apparente au domaine du rêve, le cinéma n’existe pas [1414] [1414] Antonin Artaud, Sorcellerie et cinéma, écrit entre juillet et août 1927, publié dans Œuvres complètes, tome III, Gallimard, 1978. . » avant de se raviser dans son exergue de La coquille et le clergyman réalisé par Germaine Dulac en 1928 : « Non pas un rêve, mais le monde des images lui-même… », annonçant les propos de Raymond Bellour, « le cinéma (…) une image particulière quoique mélangée à tant d’autres dans la grande maison baroque des images [1515] [1515] Raymond Bellour, Le corps du cinéma, P.O.L., 2009, p. 14. . » Dans cette façon qu’ont les deux artistes de confondre rêve et cinéma tout en les tenant l’un à distance de l’autre, ils traduisent une essence paradoxale. Faire l’hypothèse que les images se mélangent dans leur grande maison baroque, c’est induire par ailleurs que la notion d’émetteur se brouille, qu’elle perd son caractère primordial. Le rêve n’émanerait donc pas nécessairement d’un personnage [1616] [1616] Jean-Paul Sartre a d’ailleurs remis en question la subjectivité du rêveur dans son propre rêve, il n’est plus qu’ « un certain objet (…) au milieu des autres et qui est l’objet-moi » (L’imaginaire, Gallimard, coll. Idées, 1940, p. 334. ni d’une codification (l’arsenal) et il ne peut pas non plus se confondre avec le souvenir parce qu’il devrait s’éprouver en temps réel. Ce n’est donc pas sous l’injonction d”un signalement (le crochet ou l’italique) qu’il se manifesterait au spectateur mais par un accroc qui piquerait l’œil, une brèche dans les multiples strates de procédés qui composent le film, son inconscient.
Pour atteindre cette rigueur du réalisme dans la représentation de l’irréalité, le point où faire un rêve et faire un film se rencontrent, il faut donc produire et subir en même temps. Le bien nommé Vampyr – Der Traum des Allan Grey constitue sans doute le paradigme du film-rêve, « les cadrages (…) correspondent à des points de vue vacillants [1717] [1717] Jacques Aumont, Vampyr, Yellow now, 1993, p. 21. . » et « les mouvements immotivés, les obstacles visuels, les faux-raccords, sont alors autant de formes explicites de la présence de l’irréel [1818] [1818] Ibid., p. 26. . » La légende est connue, « Dreyer, amateur de noir et de blanc, serait parti à la recherche d’un style en blanc et noir. Un accident de lumière dans les premiers rushes aurait produit une image grise, que dès lors Maté et lui reproduisirent fidèlement pour le film entier [1919] [1919] Ibid., p. 28. . » À l’origine de l’impression de rêve se trouve donc une altération d’un procédé, une erreur technique. Les films ressortissant au cinéma de genre, d’exploitation, à la série plus Z que B sont, peut-être plus que tout autres, exposés à l’erreur. Ils témoignent d’un cinéma où la conformation aux codes et la stricte considération de rentabilité malgré la faiblesse des budgets conditionnent la singularité et l’excentricité, un cinéma où parfois, pour pasticher les surréalistes, la nuit et le jour, l’artificiel et le naturel, le conscient et l’inconscient cessent d’être perçu contradictoirement, un cinéma qui peut retrouver involontairement et donc plus pertinemment les mécanismes du rêve, qu’il en représente ou pas. Pour paraphraser Gérard Genette à propos de la transtextualité, on peut dire qu’un film bis se caractérise particulièrement par « tout ce qui le met en relation, manifeste ou secrète, avec d’autres films [2020] [2020] Gérard Genette, Palimpsestes, Seuil, 1982, p. 7. », ce dernier terme se substituant à textes. Bref, un cinéma palimpseste à toutes les étapes de sa réalisation : influence des codes, inscription dans l’imitation, interférences de production, décalages entre intention et moyens, dilution de l’auteur. Manifestes ou secrètes mais aussi contradictoires, ces couches entrent en friction et produisent la faille, la brèche. Cocteau encore : « L’espèce de ravissement qui nous transporte au contact de certaines œuvres provient rarement d’un appel aux larmes, d’un effet de surprise. Il est plutôt (…) provoqué de manière inexplicable par une brèche qui s’ouvre à l’improviste. Cette brèche se produira dans un film au même titre que dans une tragédie, un roman ou un vers. Le ravissement (…) viendra de quelque faute, de quelque syncope, de quelque rencontre fortuite entre l’attention et l’inattention de son auteur. Et la faculté d’émerveillement du spectateur [2121] [2121] Jean Cocteau, La difficulté d’être, éditions du Rocher, 1983, p. 57. . »
Dans Mesa of lost women (Herbert Tevos et Ron Ormond, 1952), le professeur Masterson (Harmon Stevens) est invité par le mystérieux Dr Aranya (Jackie Coogan) dans son laboratoire caché au cœur d’une montagne en plein désert. L’objet de ses recherches est tellement monstrueux (des manipulations génétiques pour créer des femmes dotées d’une nature d’araignée) que Masterson veut aussitôt détruire le repaire mais Aranya se défend et lui injecte un puissant psychotrope. Après avoir été lâché dans le désert, Masterson échoue dans un asile d’aliénés dont il s’évade aussitôt. À partir de là, le film bifurque et, comme le dit le réalisateur Frank Henenlotter : « It’s one of those films during which you’re constantly convinced you’re hallucinating [2222] [2222] « C’est un de ces films pendant lesquels vous avez constamment l’impression d’avoir une hallucination », in RE/SEARCH n° 10, Incredibly Strange Films, 1986, p. 10. . » Après son évasion, Masterson pénètre sans raison dans une taverne mexicaine minable, en sous-sol, et demande un verre d’alcool, nous découvrons alors son visage figé dans une expression étrange, les yeux écarquillés et un sourire presque grimaçant, mais son comportement est en contradiction avec cet air faussement ahuri. Bien qu’en fuite, il ne semble pas inquiet, son caractère est imprévisible, arrogant, il dégaine même une arme et prend en otage un couple de touristes, l’homme d’affaire Van Croft (Niko Lek) et sa fiancée Doreen (Mary Hill), à la table desquels il s’était imposé, puis l’infirmier de l’asile parti à sa recherche. Apprenant que le couple doit prendre un avion privé pour une sorte de lune de miel, il décide de les forcer à changer de destination. Bien que le film soit construit sur la narration en flashback de Grant Phillips, le pilote de l’avion (Robert Knapp), seul survivant avec Doreen, le point focal du film est pourtant Masterson. Son expression pour le moins décalée aimante l’œil, le regard solidifié [2323] [2323] « Tout se passe dans ces diverses expériences comme si le regard, pointillé théorique de corpuscules ou d’ondes, liait plus vigoureusement, l’œil à l’objet que les muscles ne le lient à l’orbite. (…) À la superposition géométrique du rayon lumineux issu de l’objet et du rayon visuel issu du sujet, correspond une solidification du regard, ligne d’intersection du monde extérieur et du monde intérieur. » (Jacques B. Brunius, En marge du cinéma français, Arcanes, 1954, p. 10.) du spectateur pratique alors une brèche dans le film d’où émane l’hypothèse du rêve préparé par une musique authentiquement insolite et obsédante [2424] [2424] Le critique Rob Craig remarqua que, réutilisée dans Jail Bait d’Ed Wood en 1954, cette musique rudimentaire (un piano, une contrebasse et une guitare flamenco) ajouta une qualité onirique à ce film noir fauché et entièrement nocturne. .
Masterson est à la fois là et ailleurs et, en cela, il fait moins penser à une personne en proie à la folie ou sous l’emprise d’une drogue qu’à un sujet sous hypnose (on songe aux acteurs de Cœur de verre de Werner Herzog (1976) dont le travail sur et sous hypnose est connu), le film peut se voir alors comme le rêve qu’il fait après la piqûre d’Aranya, sa façon d’être à distance et pourtant de conduire l’action l’assimile à l’objet-moi décrit par Sartre. Non seulement, le petit groupe ne s’étonne pas de son expression et de son attitude [2525] [2525] « Une des caractéristiques du rêve est que rien ne nous y étonne. » (Jean Cocteau, La difficulté d’être, Op. Cit., p. 67.) , mais il lui obéit sans se rebeller, peut-être ne sont-ils que des adjuvants créés par son inconscient pour l’aider à se réveiller et détruire enfin le laboratoire qu’il n’a peut-être pas quitté. L’apparente incongruité et incohérence des péripéties prennent du sens lorsqu’on les envisage comme produites par des mécanismes connus du rêve, notamment renversement de valeur et déplacement. Masterson, scientifique intègre et héroïque se présente en une figure opposée, capricieuse et erratique, nous découvrons son visage dans la taverne au moment où il commande un verre d’alcool, attitude qui ne semble pas dans la nature de cet homme sage. Si on pose le postulat que Masterson rêve dans le laboratoire-grotte, les différents lieux qui le retiennent et dont il s’échappe en sont comme les déclinaisons, de la cellule de l’asile à la carlingue de l’avion et surtout la taverne curieusement située en sous-sol. La confusion de celle-ci et du laboratoire est d’ailleurs soulignée par la présence commune de la principale femme araignée, Tarentella (Tandra Quinn). Apparue d’abord aux côtés du docteur Aranya, elle exécute devant les clients fascinés de la taverne une danse révélant sa part arachnéenne. Sans que son expression n’en soit modifiée, nous percevons la révolte intérieure de Masterson confronté à ce spectacle qui ravive comme une piqûre la nécessité de la mission qu’il s’est fixée, il finit d’ailleurs par lui tirer dessus. Tarentella, blessée, agonise et s’écroule, mais nous la retrouverons au réveil de Masterson dans le laboratoire, il ne l’a tuée que dans son rêve.
L’image N&B fruste propre aux productions à très bas budget auxquelles le film appartient rappelle sans cesse l’aridité et la monochromie du désert. Lorsque l’avion subit une avarie, il se pose en catastrophe au sommet d’un plateau où règne une jungle inviolée. C’est justement parce que ce lieu est l’antithèse du désert qu’ils approchent du but (le laboratoire est justement dans cette montagne !). Précipices et végétation inextricable, araignée géante et nains menaçants, constituent alors les derniers remparts que le professeur doit franchir avec ses compagnons pour s’extraire du sommeil. Lorsqu’il y parvient, il retrouve son visage grave et peut enfin passer à l’acte, jusqu’au sacrifice. Bien sûr, le déroulement de la fiction n’emprunte pas cette voie, elle privilégie la romance entre Grant et Doreen mais elle ne peut évacuer ces troubles de la causalité dont parle Frank Henenlotter et qui trouvent leur origine dans la genèse du film. Herbert Tevos restera un inconnu célèbre du cinéma puisque nous ne savons rien d’autre de lui que son implication dans le tournage d’un projet, Tarantula. Ne réussissant pas à le distribuer, les producteurs ont demandé au réalisateur et homme de spectacle Ron Ormond (pseudonyme que Vittorio di Naro s’est choisi en hommage à son modèle, l’hypnotiseur Ormond McGill) de compléter le métrage existant pour devenir Mesa of lost women, palimpseste s’il en est.
Dès le générique, Night of the ghouls (Edward D. Wood Jr, 1956) expose sa nature de palimpseste. N’ayant pu être exploité faute de moyens pour sa post-production, le film est resté propriété du laboratoire jusqu’au rachat par l’entrepreneur-collectionneur Wade Williams. Pour la sortie vidéo officielle en 1984, il recouvrit le titre original, Revenge of the dead, par une sorte de tache grise dont la texture trahit un traitement vidéo et où le nouveau titre, Night of the ghouls, inscrit dans un lettrage imitant celui d’époque, est sous-titré d’un copyright daté de 1983 [2626] [2626] Plus de détails sur cette page. . Mais le film traîne d’autres antériorités. Il est censé être la suite de The Bride Of The Monster du même Wood réalisé un an plus tôt ainsi que la troisième partie d’une sorte de triptyque englobant Plan 9 From Outer Space mais dont le seul élément commun, à part un casting et une équipe technique quasi inchangés, ne serait curieusement que le personnage secondaire et burlesque de l’agent Kelton joué par Paul Marco (aussi producteur associé).
Lorsqu’un couple âgé débarque paniqué au commissariat pour signaler la présence d’un fantôme (blanc) aux abords de Willows Lake, Kelton se plaint de devoir encore affronter des situations auxquelles l’école de police ne l’avait pas préparé [2727] [2727] « Monsters! Space people! Mad doctors! They didn’t teach me about such things in the police academy! » . Dès le début, le film hésite déjà entre fantastique et comédie policière, mais à cette indétermination s’ajoute un trouble plus profond dont on ne peut situer ni l’origine ni la nature. Willows Lake est un endroit de sinistre mémoire, c’est là où se dressait la maison-laboratoire du docteur Vornoff, le savant fou de The Bride Of The Monster joué par Bela Lugosi. Celle qui était alors la Willows house près du Lake Marsh a été détruite à la fin de ce film et une autre a été reconstruite au même emplacement devenu Willows Lake dans les errements des scénarios. C’est ce que le commissaire essaye d’expliquer à l’inspecteur Bradford (Duke Moore) chargé en urgence d’élucider cette affaire de fantôme puisqu’il s’était distingué face au cas Vornoff. Appelé alors qu’il s’apprêtait à se rendre à un spectacle avec son épouse, il portera un queue de pie tout au long du film et, malgré les explications du commissaire, continuera à confondre les deux maisons, comme si, à cet endroit-là, sa conscience s’abolissait et avec elle la logique du film. Au moment précis où il se présente à la porte, accueilli par un certain Dr Acula (Kenne Duncan) qui s’avérera être un médium escroc, il semble en partie absent à lui-même et, par ce costume inapproprié, en décalage avec le film. Il ne porte plus un queue de pie mais un flou vestimentaire qui avive le regard du spectateur. Le médium enturbanné à la mine patibulaire ne paraît nullement surpris de cette tenue et n’éveille lui-même aucun soupçon de la part de ce policier aguerri.
À peine franchi le seuil, un minuscule coin de décor, Bradford est invité par le Dr Acula à visiter les lieux, il traversent alors une zone entièrement noire sans aucun repère, étonnante prémonition en version fruste de la maison de l’alien Scarlett Johansson dans Under The Skin (Jonathan Glazer, 2013) mais surtout l’expression de la nature mentale de cette maison dont nous n’apercevrons presque pas l’extérieur. Une fois passé ce sas, Bradford assiste à une séance de spiritisme où le Dr Acula feint d’entrer en contact avec des morts pour des clients crédules, les événements pour le moins extravagants ou ridicules, c’est selon, mais malgré tout authentiquement étranges qui s’y produisent ne semblent surprendre personne (une grande part de la poésie brute d’Ed Wood est concentrée dans cette séquence !) Bien que ne paraissant pas dupe dans ses réflexions en voix off, l’inspecteur demeure passif et choisit de s’éclipser pour parcourir la maison qu’il reconnaît bien être celle de Vornoff alors qu’elle est partie en fumée. Comme pour convaincre le spectateur ou bien Bradford (ou bien le film lui-même), la voix off de Criswell, le maître de cérémonie fétiche du réalisateur, s’efforce sur un ton emphatique d’établir des connexions souvent saugrenues, ainsi il insiste sur le souvenir de la sensation de froid et d’humidité qu’éprouve Bradford lorsqu’il pose la main sur la rampe en métal d’un grand escalier en colimaçon [2828] [2828] « He remembered the cold clammy sensation of the cold railing, clammy like the dead… » . Plus qu’une question de faux raccord qui abondent pourtant dans ce type de production, il s’agit plutôt d’une sorte de manifestation d’un inconscient du film car les couloirs et les pièces aux murs bruts et nus appartiennent à un autre film de Wood, le pilote d’une série TV qui, lui aussi, restera sans suite, Final Curtain, où le personnage en queue de pie joué par Duke Moore explorait les coulisses d’un théâtre abandonné, lieu d’invocation d’autres lieux par excellence. « Now, if I remember right, the floor above is a lot of stories [2929] [2929] Il est amusant que le mot anglais story signifie à la fois histoire et étage. . » C’est au contraire dans le raccord superficiel entre des matériaux indépendants que la brèche se fait jour et le comportement de Bradford de rappeler une situation typique des rêves où nous savons que nous sommes dans un endroit familier alors qu’il est très différent de la réalité.
Ni vraiment désaffectée ou habitée, comme indécidée, la maison est constamment donnée comme une superposition, une surimpression. La persistance dans l’erreur du personnage de Bradford et, au-delà, du film lui-même provoque chez le spectateur la persistance rétinienne d’une trace mal recouverte. Il se retrouve en écho, voire en résonance, avec les nombreux personnages ambivalents qui la peuplent : un mannequin inerte mais en chair qui se met soudain à sourire (une des images les plus troublantes de l’œuvre de Wood) ; Lobo, le serviteur atrocement défiguré de Vornoff toujours joué par Tor Johnson, survivant ou survivance de l’ancienne maison ; les complices du Dr Acula jouant les faux morts ou se déguisant en fantôme blanc (Valda Hansen) ; ses clients qui semblent les seuls vrais fantômes car nous ne les voyons jamais arriver ou repartir ; les vrais morts ainsi qu’un fantôme noir (Jeannie Stevens… et pour certains plans Ed Wood lui-même !) revenant à la vie pour châtier l’escroc qui a osé défié le surnaturel et enfin Bradford qui n’est pas vraiment lui-même, parcourant physiquement un lieu qui appartient à un autre film et surtout censé revenir d’un film précédent où, en vérité, il n’existe pas [3030] [3030] En effet, le flic de The Bride Of The Monster s’appelle Dick Craig et il est interprété par Tony McCoy. …
Parce que Névrose (ou Revenge in the house of Usher ou encore Las Hundimiento de la casa Usher, 1982) est un « film du cœur saccagé [3131] [3131] Entretien avec Alain Petit, Jess Franco ou les prospérités du bis, éd. Artus, p. 660. », « dénaturé par ses producteurs [3232] [3232] Ibid. », il est amputé puis rallongé, rapiécé puis doublé et redoublé au point, comme le précise Alain Petit, qu’il « semble bien que la version d’origine n’ait plus d’existence tangible [3333] [3333] Ibid. . » Mais si le résultat s’éloigne du projet initial de Jess Franco, un retour vers le gothique classique, son basculement dans l’intangible lui a permis de montrer avec la rigueur du réalisme les phantasmes de l’irréalité et c’est peut-être pourquoi il tenait beaucoup à ce film [3434] [3434] « [C]’est un des films à moi que je préfère, mais on est minoritaires. » (Ibid.) . Alan Harker (Antonio Mayans) chevauche seul par grand soleil dans un paysage désertique et arrive dans cette ville forteresse au milieu de laquelle est incrustée la maison de son ancien professeur Eric Usher. Lorsqu’il se présente sur le seuil, il est littéralement happé par la servante Maria (Lina Romay) et le spectateur est projeté non pas dans un rêve mais dans un film-rêve. Intime de l’œuvre du réalisateur espagnol, Alain Petit parle volontiers d’onirisme à propos de Venus in furs (1969) et Les cauchemars naissent la nuit (1970) et il qualifie déjà Necronomicon (1968) et La Malédiction de Frankenstein (1972) de films-rêves [3535] [3535] Alain Petit, Op. Cit., p. 491 et p. 546. . Ce désert qui rappelle celui de Mesa Of Lost Women, espace vaste, offert au soleil, sauvage mais ouvert est la meilleure antithèse au monde clos, nocturne et encombré de souvenirs, de fantômes et d’éprouvettes de la maison et, plus profond encore, du laboratoire. À la série d’adaptations de la nouvelle d’Edgar Poe s’ajoute une autre lignée, celle des demeures de savants fous qui ont cette particularité de se tenir à l’écart du monde, mais cette maison Usher-là appartient surtout, comme celle de Night of the Ghouls, à la famille plus spécifique des maisons aux topographies indéchiffrables dont relève notamment le terrifiant manoir de The Haunting (Robert Wise, 1963). Aussitôt après l’arrivée de Harker, Usher (Howard Vernon) sort du laboratoire où il essaye avec ses serviteurs Matthieu (Jean Tolzac) et Morpho (Olivier Mathot) de redonner vie à sa fille Mélissa (Françoise Blanchard), il apparaît en haut d’un imposant escalier pour accueillir son ancien étudiant (qu’il ne se souvient plus avoir contacté) alors que le laboratoire se situe dans une cave.
Harker s’éveille d’un cauchemar durant sa première nuit, mais le rêve semble véritablement commencer une fois qu’il arpente le dédale de coursives et de pièces de la maison plongée dans la pénombre alors que le jour transparaît des fenêtres. Le day-for-night, faux raccord entre le jour et la nuit est une des erreurs les plus caractéristiques des films bis, elle survient souvent dans un champ/contre-champ et ouvre à l’intérieur de cette technique de découpage stéréotypée un autre champ, poétique celui-là, à la manière des faux raccords d’espaces dans Un chien andalou (par exemple, lorsque Suzanne Mareuil sort de son appartement et se retrouve en plein vent sur la plage) où la fluidité de la narration cinématographique contredit le vraisemblable tout en conservant une logique, équilibre paradoxal propre au rêve. Harker découvre ensuite Matthieu enfermé derrière des barreaux, visiblement maltraité par son maître. Alors que nous l’avons pourtant vu l’assister avec Morpho quelques séquences plus tôt, il se plaint d’être prisonnier et de ne pas avoir vu la lumière du jour depuis des mois et ce lieu commun est ici étonnamment pertinent, raccord pourrait-on dire, avec l’irréalité du film car dans Névrose le soleil ne se couche jamais alors que dans la maison règne la nuit. L’approximation, maladresse ou négligence, illustre avec puissance, simplicité et originalité les intuitions de Freud « que le jour tourne autour de la nuit [3636] [3636] Jean-Pierre George, « Freud, cinquante ans de psychanalyse », in Magazine littéraire, n°12, 1967, p. 10. . »
Les saccages, fragments de séquences interverties, coupes, séquences additionnelles, ont rendu les trajectoires des personnages irrationnelles mais ont renforcé leur appartenance à l’irréalité et le film finit de s’émanciper de la linéarité. Matthieu tente de s’échapper par le chemin de ronde mais il est rattrapé par le spectre d’Edmonda, l’épouse d’Usher, elle le tue mais il revient ultérieurement, Maria est tuée par Usher dans un accès de folie mais elle réapparaîtra aussi vivante qu’auparavant, juste un peu plus pâle. « Les vivants et les morts s’assoient à la même table », avait-elle déclaré à Harker, cette thématique récurrente de l’auteur qu’attestent de nombreux films (Une vierge chez les morts-vivants notamment) est particulièrement prégnante dans Névrose. Usher ne parvient pas à mourir, le visage de plus en plus exsangue, il transfuse sans fin sa fille Mélissa qui ne parvient jamais à rester en vie (une des rares paroles qu’elle prononce est d’ailleurs « qui suis-je ? ») alors que les fantômes comme Edmonda sont bien plus consistants, elle est un agent de la maison qui veille à retenir ses créatures. Jamais nous ne les voyons à l’extérieur (dans cette version du moins) et lorsque la maison s’écroulera (juste quelques plans rapprochés de morceaux de mur, petit budget oblige) rien ne sera montré de leur sort, comme si tous les protagonistes n’avaient pas existé. Harker tente de convaincre Matthieu de s’enfuir avec lui mais il préfère rester à l’intérieur, son visage apaisé et souriant exprime le soulagement, le cauchemar va bientôt s’évanouir, il en sera délivré mais ne peut en revanche occuper d’autres mondes que la maison, elle est au centre de toute chose, au milieu d’un désert (comme le laboratoire du Dr Aranya) et au cœur d’une ville, peut-être est-elle la ville elle-même. Lorsque Harker part quérir le docteur Seward lors d’une crise d’Usher, celui-ci semble en être l’unique habitant [3737] [3737] La version espagnole propose deux scènes où Usher sort la nuit pour assassiner une femme et une fillette dans des rues sombres. .
Harker et le spectateur sont les passagers de ce rêve-cinéma produit par cette tête qui les a aspirés, l’un comme l’autre repartiront comme ils étaient venus (Harker à cheval !) en se demandant si tout cela n’était pas une hallucination. Les tourments d’Usher connaissent un climax lorsqu’il se retrouve enfermé au centre d’une ronde formée par les femmes de son entourage qu’elles soient vivantes (Maria à ce moment-là) ou défuntes (son épouse Edmonda), la lanterne magique s’invite dans la danse comme pour rappeler que le cinéma est un dispositif à faire jaillir le rêve. Ces saccages dus au duo père-fils de producteurs Marius et Daniel Lesoeur d’Eurociné ont malgré tout constitué une part de ce processus de jaillissement. Outre les adaptations aux différents marchés (anglo-saxon, français, espagnol…) nécessitant plus ou moins d’édulcorations, ils ont voulu rendre plus rentable un projet qui leur semblait trop austère et peu commercial. C’est ainsi qu’ils ont réorienté le film vers la saga du Dr Orlof, justement interprété par Howard Vernon, qui avait valu vingt ans plus tôt à Franco sa notoriété et à Eurociné, co-producteur de la plupart des épisodes, de substantielles recettes [3838] [3838] Ils ont même produit sans Franco mais toujours avec Vernon un cocasse Orloff et l’homme invisible (Pierre Chevalier, 1970). . Après cette première exploration de la maison où il découvre notamment les femmes qu’Usher retient prisonnières pour prélever le sang qu’il destine à Mélissa, Harker rejoint son ancien mentor dans son bureau et lui exprime avec véhémence toute son indignation, mais, contre toute attente, alors que son visage est encore marqué par la colère, celle-ci semble fuir de son enveloppe et il se met à écrire docilement sous la dictée d’Usher le récit de ses atrocités. Comme les trous noirs en astronomie se repèrent par la torsion de l’espace qu’ils provoquent, c’est par ce genre de déformation du récit que la brèche invisible se détecte. S’ensuivent alors plusieurs minutes issues du premier film mythique de la saga, L’horrible docteur Orlof (Gritos en la noche, 1961), en guise de flashback fallacieux. Mais ce caviardage cavalier où évolue un Howard Vernon rajeuni ainsi que les incarnations originales de Morpho et de Mélissa s’avère encore une fois perversement raccord car le matériel N&B d’époque se charge à merveille de signifier le passé. Stéphane du Mesnildot avait déjà noté que « comme dans un rêve, tous les éléments de l’univers d’Orlof communiquent, se transforment et échangent leurs qualités [3939] [3939] Stéphane du Mesnildot, Jess Franco – Énergies du fantasme, Rouge Profond, 2004, p. 42. . » Cette caractéristique concerne les personnages de Névrose, échos et composés de figures archétypales comme dans beaucoup de films bis (derrière Usher ne se profile pas que le docteur Orlof et la cohorte des savants fous, mais aussi Dracula que le même Vernon incarna pour Jess Franco dans Dracula, prisonnier de Frankenstein, le nom de Harker fait d’ailleurs référence au livre de Bram Stocker et sa rencontre avec son ancien professeur fait songer à celle de l’agent immobilier avec le comte), mais elle s’étend aussi au matériau même du film.
Avec ce caviardage, les séquences qui traînent la réputation d’être les plus honteuses sont celles des tentatives de réanimations sans espoir de Mélissa dans le laboratoire, tournées postérieurement par Jess Franco à la demande des producteurs. On y voit l’homme de main esclave de Usher, Morpho, descendre à bout de bras une victime dans la cave voûtée pour être déposée à côté de Mélissa inerte et transfusée. Usher dirige l’opération mais de loin, comme retenu dans un recoin de la pièce, il commande à Morpho pourtant aveugle des gestes médicaux délicats sous la surveillance du majordome Matthieu resté en retrait. Par l’incroyable torsion du matériel narratif qu’elle a occasionnée pour garder un peu de sens, cette séquence expose un autre mécanisme de rêve et gageons que la position paradoxale de Franco, à la fois réalisateur de son propre film mais contraint de tourner des images qui lui sont étrangères, y est pour quelque chose. Si Usher, censé être présent, n’apparaît jamais aux côtés de sa fille et ne manipule pas lui-même ses instruments c’est que l’acteur n’était pas présent pour ce tournage additionnel. Les images d’Howard Vernon insérées dans cette séquence, comme un contre-champ dans un monde parallèle, souligne plus efficacement que tout autre procédé conscient et concerté son incapacité à changer l’état de sa fille et rend au passage presque palpable la malédiction qui pèse sur lui. Autre phénomène bien connu du rêve, on peut considérer que Morpho est un substitut de Usher puisqu’il se charge des actions ainsi que des émotions, il n’existe que dans cette cave, l’endroit le plus reculé de la maison-crâne, le lieu le plus enfoui de la psyché, non pas celle d’un rêveur, mais du film. Comme Masterson et Bradford, il a une façon d’être présent et à la fois absent, d’être lui-même et à la fois un autre, signe d’une intersection entre plusieurs matériaux. Vieil habitué des productions Eurociné, l’acteur Olivier Mathot reprend ce rôle de Morpho joué à l’origine par Riccardo Valle. Au lieu des deux globes oculaires d’autant plus aveugles qu’ils étaient exorbités du Morpho de 1961, Mathot n’est affublé que d’un seul faux œil ouvert très peu convaincant et garde simplement l’autre fermé. Sa cécité complète procède donc de deux modalités distinctes qui chacune signale sa mystification et, par leur asymétrie, ouvrent une brèche. Se déroule alors le film secret des figures aux yeux masqués d’yeux ouverts qui, de Kiki de Montparnasse dans EMAK BAKIA (Man Ray, 1926) à Maria Casarès dans Orphée, de Boris Karloff dans The Raven (Lew Landers, 1935) à la petite fille de The Still Of The Night (Robert Benton, 1982), se font l’écho du monstre paré du regard du rêveur. « Au lieu de perdre tout contrôle comme il arrive dans le rêve, je célèbre les noces du conscient et de l’inconscience qui mettent au monde ce monstre terrible et délicieux qu’on appelle la poésie [4040] [4040] Jean Cocteau, Du cinématographe, 1973 (posthume) textes recueillis par André Bernard et Claude Gautier, éditions du Rocher, 2003, p. 220. » déclarait Jean Cocteau, mais c’est en perdant le contrôle de Névrose que Jess Franco et les Lesœur ont permis les conditions du rêve.
La reconnaissance progressive du cinéma bis dès la fin du XXème siècle a permis de réévaluer certains films et de les porter au-delà du cercle des fans, leur analyse a pu parfois révéler des dimensions insoupçonnées. L’aldilà (Lucio Fulci, 1980) en est un exemple caractéristique. Peu de temps après sa sortie, Philippe Ross, pourtant spécialiste du cinéma de genre, n’a pas grand-chose à en dire si ce n’est que le « film a vite fait de sombrer dans la routine du gore à l’italienne [4141] [4141] Philippe Ross, Les visages de l’horreur, Edilig, 1985, p. 188. . » De même, le pourtant avant-gardiste numéro #10 de la revue Re/Search consacrée aux Incredibly Strange Films, considère que le réalisateur compense son absence de talent par le volume de productions [4242] [4242] « Lucio Fulci, who, showning less talent than many others, makes up for it in sheer volume » (RE/SEARCH n° 10, Op. Cit., p. 198.) alors qu’il encense déjà Dario Argento et particulièrement Suspiria (devenu depuis un classique faisant l’objet d’un remake en 2018) et Inferno distingué comme l’interprétation la plus proche d’un rêve dans l’Histoire du cinéma [4343] [4343] « One of the closest film interpretation of a dream (or a nightmare) in the history of cinema » (Ibid., p. 186.) . Cependant, L’aldilà sort peu à peu du purgatoire. Ainsi, Philippe Rouyer relève quelques années plus tard sa « poétique du cauchemar [4444] [4444] Philippe Rouyer, Le cinéma gore, Cerf, coll. 7 ART, 1997, p.224. » puis, au fil des rétrospectives ou de rééditions DVD, chronique après article, il gagne enfin son statut de chef-d’œuvre notamment parce qu’il est enfin perçu comme un film-rêve [4545] [4545] « […] une logique onirique que les critiques prennent bien trop souvent pour de l’ineptie. » (Jovanka Vuckovic, Zombies ! Une histoire illustrée des morts vivants, Hoëbeke, 2013, p. 82.) . Lorsque Raymond Bellour, par exemple, appelle de ses vœux à « reprendre les travaux sur le rêve et le cinéma [4646] [4646] Laurence Schifano, Rêve et cinéma, Presses universitaires de Paris Ouest, 2012, p. 18. », on ne voit pas comment le cinéma bis, de série Z, d’exploitation pourrait demeurer dans un angle mort, qu’il soit approché comme un lieu possible d’autres formes de manifestations de l’inconscient, un terrain d’expérimentation ou comme la rencontre fortuite sur une table de montage de la robe sans couture du réel et de l’étoffe dont sont faits les rêves.