La Clef, cinéma associatif, cinéma occupé, dont Débordements a documenté l’univers impitoyable, la vie quotidienne et la lutte, livre actuellement (sa dernière ?) bataille contre le Groupe SOS.
Au 34 rue Daubenton, l’effervescence côtoie l’émotion parmi la foule des personnes venues soutenir le collectif. En quelques jours à peine, alors que la menace d’une expulsion policière se faisait de plus en plus pressante, les occupant·e·s de La Clef ont accompli la prouesse d’organiser un festival sauvage à l’amplitude horaire inédite (de six heures du matin à minuit et quelques), avec l’aide de ses allié·e·s artistes, critiques et universitaires. Projections de films offerts par les artistes ou les distributeur·ice·s, discussions publiques, prises de paroles par les soutiens et petits déjeuners déposés à l’aube, avant de partir au travail, par des ami·e·s du cinéma : le collectif invite à habiter La Clef avec une intensité nouvelle pour opposer cette joyeuse vitalité au cynisme des politiques et du Groupe SOS.
Car derrière les menaces renouvelées hier matin par les forces de l’ordre sous la forme d’une mise en demeure, se trouve évidemment l’entrepreneur « social et solidaire », qui pousse la Caisse d’Épargne à vider les locaux pour conclure la vente, suivant une clause suspensive que décrivait Débordements dans un précédent article. Mais comme le rappelle Mikael Buch, à travers les mots de la tribune publiée par la Société des Réalisateur·ice·s de Films dans Libération, le groupe dirigé par le désormais numéro deux de La République en Marche, Jean-Marc Borello, tout en faisant appel à la rhétorique patriarcale du « sauveur », n’a d’autre ambition que de faire de La Clef une marque de plus à épingler à son capital symbolique (500 lieux sociaux et culturels) et financier (un milliard d’euros de chiffre d’affaires). Comme quoi, n’avons-nous pas pu nous empêcher de penser, le phénomène de concentration qui frappe le champ médiatique, conduisant à son uniformisation, menace aussi celui de la culture et de la création, lui promettant le même destin normé – il suffit de se promener parmi les lieux exploités par le Groupe SOS, répertoriés sur son site ou celui de Yes We Camp, pour s’en convaincre.
Tous·tes les cinéastes qui ont pris la parole hier soir dans la salle commune du cinéma, ont tenu à remercier La Clef pour sa programmation rare et précieuse ainsi que sa politique du prix libre et son mode de gestion collectif. Alain Guiraudie a d’ailleurs invoqué le souvenir du Cinéma National Populaire de Lyon pour louer la programmation « exigeante, même si c’est toujours un peu chiant de dire exigeant » – un lieu qui, il faut le rappeler, s’est vu remplacé par de semblables forces du cinéma mercantile. David Dufresne, habitué de La Clef, a lui aussi remercié les occupant·e·s de faire vivre « une idée du cinéma et une idée de Paris » avant d’insister « et n’oubliez pas de filmer, quand ils viendront. »
Plusieurs artistes ont, d’une manière ou d’une autre, souligné l’absence des politiques (en particulier d’Anne Hidalgo), et évoqué la présidentielle à venir, tantôt pour appeler à voter – malgré les ricanements dans la salle – contre LREM (à qui « on souhaite le pire »), tantôt pour moquer la « Primaire machin », autre agence de marketing « sociale et solidaire », prenant tout juste la peine de masquer ses véritables opinions sur la démocratie, le commun et la lutte politique.
La prise de parole la plus puissante était sans doute celle de Valérie Massadian qui, après avoir rappelé ce que La Chienne de Renoir devait aux salles associatives parisiennes avant que la cinéphilie légitime ne lui donne le droit de cité dans les « vrais » cinémas, a exprimé avec une grande justesse ce que bon nombre de travailleur·euse·s associatif·ve·s et de militant·e·s ressentent dans leur métier et dans leur lutte : l’épuisement, « l’envie de pleurer » face à la nécessité de se battre encore pour conserver ces espaces de vie et de liberté qui subsistent dans les interstices de la marchandisation de la culture en général et du cinéma en particulier.
Quoiqu’il en soit, il faudra être nombreux·ses au moment fatidique pour soutenir La Clef et son collectif. Pour ce faire, vous pouvez remettre votre numéro de téléphone à contact.laclefrevival@gmail.com pour être contacté·e en cas d’expulsion, et vous rendre aux événements organisés chaque jour.