(Contexte : Invitée par le Forum des Images à intervenir le 8 mars 2021, à l’occasion de la Journée Internationale des Droits des Femmes, j’avais choisi d’analyser une séquence de Lady Chatterley de Pascale Ferran et de parler d’érotique du consentement. Le matin même paraissait dans Libération la lettre d’un violeur à sa victime intitulée « J’ai violé, nous violons, vous violez ». Ce texte que vous allez lire traite de la difficulté d’ouvrir des espaces à la douceur pour faire surgir davantage de plaisir au cinéma comme dans la vie.)
Arrêtons-nous un instant sur le choc qu’a représenté la découverte du numéro de Libération publié ce matin, en cette Journée internationale des droits des femmes, c’est-à-dire le choix de la rédaction de faire figurer en première page la version et les justifications d’un homme accusé de viol, qui ne nie pas les faits mais qui tente d’analyser de manière soi-disant objective la culture du viol, en appelant à la responsabilité collective. Je ne dis pas que recueillir la parole des agresseurs n’est pas nécessaire, mais qu’elle ne doit pas venir recouvrir la parole des victimes, ni se substituer à elle, encore moins en Une, encore moins ce jour-là. Curieuse provocation. Chose encore plus curieuse, pour ne pas dire honteuse, il y était également question de consentement mais du consentement de la victime d’un viol à voir figurer en Une dudit journal le témoignage de son violeur assorti d’une justification : « Parce qu’il apporte un point de vue inédit sur le viol et complexifie le débat nécessaire, notamment pour améliorer la prévention, Libération a décidé de publier ce document après s’être assuré du consentement de la victime et après avoir informé son auteur des risques judiciaires qu’il encourt. » Consentement qu’on est d’ailleurs aller chercher jusqu’à son lit d’hôpital puisqu’elle est traitée pour dépression.
En cette Journée internationale des droits des femmes, je voulais au départ que nous nous posions ensemble cette question qui a circulé activement sur les réseaux sociaux, entraînant des suspensions de compte Twitter dans le courant du week-end du 23 janvier 2021 : « Comment faire pour que les hommes cessent de violer ? ».
Cette question fait écho à une autre question posée fictivement à Virginia Woolf par un éminent avocat. En guise de réponse à « Comment pouvons nous faire, selon vous, pour empêcher la guerre ? », elle publiera son livre, Trois guinées, en 1938. L’autrice lui répond tout d’abord que ce « nous » est bien vite posé comme une évidence. Qu’il existe des différences d’éducation entre hommes et femmes, que ce sont les hommes qui portent davantage la responsabilité de la guerre. De la même manière le « nous violons » bien vite adjoint au « j’ai violé » de l’auteur de la lettre (qui s’est avérée une tribune et non une lettre ainsi que l’a révélé Médiapart, qui avait reçu la même proposition de la part du violeur mais avait refusé de la publier). Ce passage du « je » au « nous » a dans un cas comme dans l’autre le pouvoir d’aplanir les différences de classe, de race et de genre et de prôner une universalité factice, une dilution de la responsabilité.
Face à l’impossibilité de ce « nous » subsiste néanmoins selon Woolf un espace dans lequel il est susceptible d’exister et c’est celui du regard et de la représentation photographique de la guerre. Montrer la guerre de manière frontale pour susciter prise de conscience et empathie pourrait ainsi s’avérer une des solutions.
Si nous suivons ce raisonnement, en substituant notre question à celle qui ouvre Trois guinées, représenter de manière objective et frontale le viol autoriserait une prise de conscience ainsi que la formation de structures associatives empathiques. Les images de guerre se sont déployées largement dans la presse, à la télévision, au cinéma, depuis l’époque de Woolf sans que cela fasse décroitre pour autant les violences. De même, le motif du viol, récurrent au cinéma, n’a pas davantage fait chuter les statistiques, ni résolu la question de savoir comment faire pour que les hommes arrêtent de violer. La modification en profondeur des consciences, qu’appelle Woolf de ses vœux, susceptible de résoudre pareillement les deux questions que nous avons mises en parallèle, ne saurait se suffire de la représentation des violences, même si celle-ci y participe activement.
Poussons plus loin. En 2002, Susan Sontag avait repris la question de Woolf et questionné de nouveau le rôle que peuvent jouer les représentations de la guerre. Dans Devant la douleur des autres, elle postule entre autres la non séparation entre le récit et les images puisque « lorsqu’il se fait récit, le pathos ne s’use pas ». Le récit peut permettre à l’émotion de se conserver intacte, de résister à l’usure ou à l’habitude que la vision répétée des images peut induire.
Le domaine par excellence où se mêlent inextricablement récit et images est le cinéma. Il porte une double responsabilité, celle de représenter et celle de former de nouvelles représentations.
Pour répondre à la question « Comment faire pour que les hommes cessent de violer ? », ou plutôt pour l’attaquer autrement que Woolf, puisque représenter l’insupportable ne dispense pas de rendre désirable ce qui pourrait venir à sa place, je préfère répondre à la suivante : « Comment aimer et désirer passionnément sans violence ». J’ai ainsi choisi de porter mon attention sur une séquence de Lady Chatterley de Pascale Ferran (2006), adaptation cinématographique du roman Lady Chatterley et l’homme des bois, écrit en 1927 par un contemporain de Woolf, D. H. Lawrence. Il s’agit de la seconde version parmi les trois qui ont donné naissance à son chef-d’œuvre supposément sulfureux, L’Amant de Lady Chatterley (1928).
Je n’avais jamais lu D. H. Lawrence, la réputation et le flou qui l’entouraient me laissaient croire à quelque Cinquante nuances de Grey de l’époque. Virginia Woolf, dans son journal, se montrait peu élogieuse : « Pour moi, Lawrence est irrespirable, confiné. » (2 octobre 1932). Peut-être n’a-t-elle pas lu cette seconde version qui a su séduire Pascale Ferran et lui donner envie de l’adapter.
La première fois que j’ai visionné le film de Pascale Ferran, j’ai été frappée par la conjonction puissante entre consentement et plaisir sexuel. Ainsi que la réalisatrice le décrit : « Ce Lady Chatterley et l’homme des bois, centré sur la relation entre Constance, Lady Chatterley, et Parkin, le garde-chasse, est avant tout une incroyable, magnifique histoire d’amour. Elle raconte le processus d’apprentissage, d’apprivoisement, qui va amener deux personnes à construire une relation très puissante. À partir d’un attachement physique, ils vont parvenir à créer un monde dans lequel les classes sociales, les codes sociaux, les rapports entre hommes et femmes ne sont plus les mêmes. C’est l’amour comme un processus de possibilité d’une vérité intime. Il y a là la charge politique d’une utopie concrète[11] [11] Entretien de Dominique Widemann du 31 octobre 2006 dans l’Humanité : Pascale Ferran : « La joie pourrait être le manifeste du film ». . »
Pascale Ferran parle d’amour et c’est bien de cela aussi qu’il est question chez Lawrence même si c’est au sexe que son livre semble d’abord attaché. C’est cette utopie d’une réparation entre sexe et amour sur laquelle je souhaite que nous nous arrêtions. Il s’agit de montrer la voie. Qu’est ce qu’une éthique érotique, une érotique du consentement ?
Lady Chatterley est une femme mariée à un homme blessé pendant la guerre, paralysé depuis la taille, Sir Clifford. Elle mène une vie rangée au château de Wragby entre maintenance, broderie et rares mondanités de salon. Elle dépérit à vue d’œil, sa sœur et son père s’inquiètent. Progressivement poussée dehors pour prendre l’air, elle découvrira le domaine de son mari, poussant jusqu’à la cabane du garde-chasse, Parkin. Eveillée à la sensualité par la vision du corps à demi-nu du garde faisant une sommaire toilette en extérieur, elle va malgré sa défiance progressivement se rapprocher de lui à mesure qu’elle se rapproche de la nature et s’éloigne du château, qu’elle se questionne sur les rapports de classe et la subordination des mineurs employés par son mari.
Le passage choisi correspond au moment de bascule dans la relation où, le désir se faisant trop pressant, les deux protagonistes vont finalement passer à l’acte. Voulant réconforter Lady Chatterley, émue à la vue des poussins désarmés qui font leurs premiers pas dans la vie, Parkin initie un contact, il l’enserre et sa main glisse jusqu’à son sein. « Vous voulez bien ? » lui demande-t-il avant d’aller plus loin. Ce « Vous voulez bien ? » est porteur d’une tension érotique particulière. Le terme est identique dans le livre et le moment est fidèlement restitué par la réalisatrice : « Mais déjà sa main retrouvait inconsciemment le contact avec les flancs de la femme et reprenait sa douce caresse. Elle avait enfin déniché un bout de mouchoir et elle essayait de s’essuyer le visage. La main contournait lentement son corps, touchants ses seins enfermés dans la robe. – Vous voulez bien ? dit-il d’une voix sourde mais tranquille et sans cesser de lui toucher des doigts délicatement les deux seins. Ella avait tout à coup cessé de pleurer. Cette main sur sa poitrine ! C’était comme des flammes ! Et elle saisit cette main, puis elle se releva. Alors il eut peur qu’elle ne le réprimande ; mais non d’une main tremblante elle agrippait toujours la main de l’homme, chaude, abandonnée et pourtant inquiète. » Le trouble, le flou, les émotions ne sont pas perdues dans la poursuite d’un accord des corps, le consentement préserve les incertitudes autant que l’échauffement des sens.
Cette scène fait écho aux propos de Pascale Ferran qui se souvient de ses premières émotions cinématographiques : « Le deuxième film que j’ai vu dans ma vie, c’était La Belle et la Bête de Jean Cocteau à la télévision en 1967. Il m’a fait extrêmement peur, mais c’est un rapport constitutif au cinéma. Le cinéma est notamment fait pour apprivoiser ses peurs. La Belle et la Bête est la plus grande histoire d’apprivoisement qui existe. C’est un enchantement absolu, c’est un des plus beaux films du monde. C’est un film utile pour les enfants. Il dit aux jeunes filles qu’il faut en permanence rester debout et ça dit aux jeunes hommes et aux petits garçons, que c’est finalement l’attention et la délicatesse qui les rend séduisants[22] [22] France Culture, “La filmothèque idéale de Pascale Ferran : “Le cinéma, c’est un accès possible à des formes de vérités, où on peut faire exister ses rêves“ . »
L’attention et la délicatesse ne sont pas les contrindications du désir. Lady Chatterley met en images une relation charnelle, entre deux êtres, qui grandit dans la confiance, autorisant progressivement l’héroïne à atteindre son premier orgasme. La sexualité n’est pas pathologique, l’acte sexuel n’est pas marqué du joug de la culpabilité catholique ou morale. Chez Ferran, comme dans le texte de Lawrence, le sexe n’est pas gratuit, le film n’a rien à nous vendre mais tout à nous montrer.
Huit années avant Lady Chatterley, Pascale Ferran réalise, en 1999, le doublage en français d’Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick. Il s’agissait également d’une adaptation, celle du drame érotique Traumnovelle (« Double rêve ») d’Arthur Schnitzler. Il y est entre autres question d’adultère. Ainsi qu’elle l’exprime dans une interview, cette expérience a été porteuse d’une forme d’éthique de la réalisation : « Cette manière de travailler m’a aidée à comprendre comment il s’est éloigné de Schnitzler pour construire le thème central d’un film qui montre qu’il n’y a pas de différence entre ce qui est dit et ce qui est fait, qui dit que la responsabilité est la même dans la mise en scène et dans l’événement fortuit, que la fiction a les mêmes obligations et les mêmes conséquences que la réalité, dès lors qu’elle est formulée[33] [33] “Une version française signée Pascale Ferran“, propos recueillis par Jean-Michel Frodon. . »
Il est possible d’appliquer ces propos à la réalisation de Lady Chatterley, la fiction porte autant de responsabilités que le réel, sa formulation, si elle doit pour être fidèle s’éloigner du texte, reste politique. La lecture de Lawrence proposée par Ferran porte un projet éminemment éthique, un changement de société. Replacer la confiance, le consentement, la tendresse —puisque c’était-là le premier titre donné au livre par son auteur— au cœur de nos sexualités. « La joie comme puissance d’agir », pour reprendre les mots de la réalisatrice qui s’inspire de Spinoza. Le film a été réalisé bien avant #metoo mais le découvrir ou le redécouvrir après coup c’est entrevoir une manière de répondre à celles et ceux qui pensent que le consentement est un frein à la libération sexuelle. Que demander l’accord d’un ou d’une partenaire et s’occuper du désir et du plaisir de l’autre est superflu. Le consentement se donne tout autant derrière la caméra que sur le plateau, pendant le tournage. Le cinéma est affaire de confiance. Pour tourner les scènes de sexe du film, la réalisatrice a travaillé en toute transparence avec Marina Hands et Jean-Louis Coulouc’h, les répétitions étaient nombreuses, il s’agissait d’instaurer une confiance, une relation. L’équipe était ensuite restreinte pour préserver l’intimité, pas plus de quatre personnes sur le plateau. Le casting même répond à cette exigence, il s’agissait d’un coup de foudre, Ferran voulait que « la comédienne ait autant envie du rôle que j’aie envie d’elle dans le rôle. » Le scénario était très détaillé pour ne pas prendre les acteurs-trices en traître, ne pas rompre le « contrat de confiance ». Il y a adéquation parfaite entre le message du film, les intentions de la réalisatrice et comme dirait Céline Sciamma, la « politique de plateau[44] [44] Interview de Céline Sciamma par Marie Richeux, « Plus on est intime, plus on est politique », Par les temps qui courent, France Culture, 11 septembre 2019. ».
Dans la récente préface à l’édition française de Défense de Lady Chatterley (publié par Lawrence en 1930, peu avant sa mort) l’écrivaine Claire Fourier reconnait : « Pascale Ferran est allée droit au cœur de la problématique lawrencienne dans son film simplement intitulé Lady Chatterley. Nul doute qu’après tant d’années de méconnaissance, l’écrivain eût exprimé sa gratitude à la cinéaste pour la justesse de son regard et l’adéquation du film au roman dont elle a restitué la haute flamme, la haute affirmation de la vie. Lawrence a trouvé en Pascale Ferran une saisissante et mémorable Défense de Lady Chatterley ». Affecté par la censure dont son ouvrage avait fait l’objet, la mécompréhension de son message et le nombre d’éditions pirates échappant à son regard, Lawrence précise : « Si bien qu’entre le puritain rassis et grisonnant, guetté à un âge avancé par l’intempérance sexuelle ; entre l’élégante jeune personne qui court les jazz et les boîtes de nuit, et qui affirme : ‘Nous pouvons tout faire. Quand on est capable de penser une chose, on peut aussi la faire.’ ; et enfin le lecteur corrompu et dépravé, qui a l’esprit plein d’ordure, et qui en cherche partout, mon livre trouve à peine l’espace pour se mouvoir. Mais à eux tous je réponds : gardez vos perversions si vous les aimez ; votre perversion de puritanisme dévot, et votre perversion de libertinage élégant, et votre perversion d’esprits dépravés. Pour ma part je reste fidèle à mon livre et à sa position : la vie n’est supportable que lorsque le corps et l’âme vivent en parfaite harmonie, qu’il existe un équilibre naturel entre eux, et qu’ils ont, l’un pour l’autre, un respect réciproque. »
Il existe au final peu de différence entre les puritains catholiques et ceux que je nomme pour ma part les transgresseurs normatifs, qui, en réponse directe à la première catégorie, sont incapables de s’en détacher, pathologisant tout autant la sexualité qui ploie sous le poids d’une culpabilité originelle fantasmée. Dans la pathologie pas de plaisir et encore moins de plaisir chez la femme. Le véritable plaisir n’a pas sa place ailleurs que dans ce mince interstice que nous ouvre le consentement érotique chez Lawrence, qui malgré son incapacité à inscrire la sexualité gay et lesbienne dans un même mouvement, peut aujourd’hui faire écho aux nouvelles pratiques cinématographiques qui ne séparent pas la politique de construction du film de son existence artistique.
On retrouve la même exigence, le même tact, dans le documentaire de 2016 d’Alice Diop, Vers la tendresse. La réalisatrice interroge quatre jeunes hommes, entre Saint-Denis et Bruxelles, au sujet de leur vie intime. « Je voulais faire une fiction sur la relation amoureuse entre les filles et les garçons. J’ai donc été poser deux questions à quatre hommes, dans le cadre d’un atelier de repérage. ‘’C’est quoi pour toi la tendresse ?’’ était une de ces questions[55] [55] « Vers la tendresse », Entretien avec Alice Diop réalisé par Laure Vermeersch, Vacarme, (N° 76), 2016, pages 103 à 115. . » Alice Diop souhaitait donner voix à des jeunes hommes qui tombent sous le couperet des stéréotypes, réduits à des figures émergentes de la peur raciale et de la violence, victimes eux-mêmes de violences racistes et policières. Sa voix à elle, en off, les bouscule avec bienveillance à propos de la séparation arbitraire entre sexualité et amour, de leurs difficultés à vivre une relation et à en tirer bonheur et plaisir, de la honte qu’ils ont à être amoureux ou à le verbaliser. Cet intérêt pour la tendresse et l’envie de réparer les liens brisés entre le corps et le cœur, l’amour et la sexualité, ont beaucoup en commun avec le projet de Lawrence ainsi que son propos déployé dans Défense de Lady Chatterley. Le fait que le titre donné à l’origine au roman sous sa première version ait été Tenderness n’a rien d’un hasard. Ce terme à mi-chemin entre l’amour et l’inflexion des sentiments face à l’autre, sa prise en compte et le soin qu’il induit, touchent précisément à ce qui est perdu dans les relations amoureuses contemporaines. La violence des termes employés par les jeunes hommes dont la voix structure le film d’Alice Diop relève d’une pudeur, d’un blocage et d’une extrême difficulté à dévoiler leurs sentiments : « T’as déjà entendu tes amis parler d’amour, de leurs sentiments pour leurs copines ? Jamais, jamais. […] C’est dur de parler d’amour, on connaît pas l’amour en banlieue. » La réalisatrice arrive à leur faire verbaliser leurs peurs et la vulnérabilité impliquée par la position subalterne qu’ils occupent dans la société (accès à l’éducation, à l’emploi, à une assurance financière, modèles parentaux non disponibles, pas de place accordée à l’amour.) L’inquiétude qui plane engendre des rapports tendus autant que biaisés et fait de la sexualité une violence. Certaines voix du film se font pour finir plus douces, des hommes acceptent d’expérimenter d’autres modes d’être au monde moins emprunts de virilité et davantage tournés vers les émotions. Cette ouverture montre la voix, la parole de la réalisatrice opère une révélation autant qu’un soin apporté aux hommes qu’elle a suivis. C’est aussi de la tendresse de la réalisation qu’il est ici question, on retrouve chez Diop ce même souci d’une politique de plateau, essentielle au cinéma dans sa portée réparatrice et émancipatrice.
Il faut engager une lutte nécessaire pour préserver les sentiments et les émotions de la violence faite aux corps, qu’il s’agisse tout autant de guerre que de viol. Comme le rappelle à juste titre Audre Lorde dans son ouvrage phare Sister Outsider (1984), « Le viol ne relève pas de la sexualité agressive mais de l’agression sexualisée », il ne saurait ici être question d’amour lorsqu’il est question de violence. Le cinéma de Pascale Ferran, Céline Sciamma ou Alice Diop travaille ces questions à cœur. En recevant son César du court-métrage en 2017, Alice Diop a d’abord eu une pensée pour les jeunes de banlieue victimes de violences policières. C’est là où se fondent et se répondent les deux questions que je voulais que nous nous posions ce soir. « Comment faire pour que les hommes cessent de violer ? » et « Comment pouvons nous faire, selon vous, pour empêcher la guerre ? ». S’aimer autrement, prendre soin de l’autre, c’est aussi initier un nouveau rapport au monde pour défaire la violence.