Une station-service est scrutée en plan fixe ; un ex-amour obsédant finit par le traverser. L’image d’une ville s’invite dans la chambre d’un nouvel amour par un inexplicable phénomène de camara oscura. Un album de famille des années 1980 feuilleté en banc-titre se voit relayé par des vues urbaines d’une périphérie. Des extraits de films pornographiques américains des années 1990, corpus d’une thèse soutenue tardivement, dialoguent avec les images glanées d’une chronique de quartier. Des bribes urbaines recomposent progressivement un quartier étranger, plus vaste et plus habité qu’il ne paraissait.
En remontant ces fragments de films du cinéaste brésilien André Novais Oliveira, de son court-métrage inaugural Fantasmas (2010) à son deuxième long-métrage Temporada (2018) – le premier à sortir en salles en France -, apparaît d’emblée son habileté à faire naître images et récits depuis des lieux précis de la périphérie de Minas Gerais, en écho à des visions préexistantes, en prenant le temps, espacé, et le ton, délicat, de les habiter en images et en sons. Qu’il ait filmé ses parents, son frère et sa compagne d’alors dans leurs lieux de vie respectifs (Ela Volta na Quinta (2014)) ou qu’il ait construit le personnage de Juliana, nouvelle recrue d’une équipe travaillant à éradiquer la dengue dans des quartiers populaires (Temporada [2018]), André Novais Oliveira met en scène sa ville natale, Contagem, avec une intense attention portée aux gestes et aux détails, entre témoignage fidèle et subtile étrangéisation. La temporalité est au cœur des titres de ses deux longs-métrages ; dans une traduction littérale, respectivement Elle revient jeudi et Saison. Mots qui donnent déjà le tempo quant aux déploiements des récits, où une certaine lenteur est la condition du surgissement d’événements.
En septembre 2018, Temporada est reparti du Festival de Brasília do Cinema Brasileiro avec cinq prix (meilleur film, meilleure actrice pour Grace Passô, meilleur second rôle, meilleure photographie et meilleure direction artistique), consacrant non seulement André Novais Oliveira comme l’un des cinéastes brésiliens les plus marquants et singuliers de sa génération mais confirmant également l’importance de la trajectoire construite collectivement avec ses complices de Filmes de Plástico, Thiago Macêdo Correia ainsi que Gabriel et Maurílio Martins, réalisateurs d’Au cœur du monde, qui sortira en France le 18 décembre[11] [11] Voir “Contagem, Texas“, notre entretien avec les cinéastes. . Cette quintuple reconnaissance dans le plus ancien festival de cinéma du pays, dans la capitale bureaucratique et surréalistement ségrégative, disait aussi à quel point la « périphérie », vaste notion en débat et reconstruction, s’est mu en centre revitalisant des enjeux esthétiques et politiques du cinéma brésilien indépendant contemporain. Le cinéma d’André Novais Oliveira est en cela unique par sa capacité à dépeindre la douceur non-passive d’une vie heureuse dans les quartiers populaires, donnant ses lettres de noblesse au point de fusion entre lieux de vie et lieux de tournage, par-delà leur invisibilisation antérieure dans l’histoire du cinéma brésilien. A cet égard, la participation de Temporada au programme Soul in the Eye au Festival de Rotterdam en 2019, mettant en valeur une filmographie dialoguant avec l’héritage afro-brésilien, était significative.
Nous avons rencontré André Novais Oliveira à deux reprises, à six mois d’intervalle. Première saison. En juin 2018, hiver glaçant, quelques semaines avant la première internationale de Temporada au Festival de Locarno, André Novais Oliveira officiait comme juré dans l’un des festivals les plus révélateurs du cinéma indépendant national, Olhar de Cinema à Curitiba. Luiz Inácio Lula da Silva était alors emprisonné à quelques kilomètres des salles de cinéma, recevant trois fois par jour, avec une ponctualité religieuse, le soutien de ses partisans. Bom dia Lula. Boa tarde Lula. Boa noite Lula. Deuxième saison. Eté écrasant, quelques semaines après l’investiture de Jair Bolsonaro, dans un violent climat d’incertitude, Temporada vient de sortir sur les écrans nationaux. La Mostra de Cinema de Tiradentes, incroyable défricheur de cinéma brésilien irrévérent, où Fantasmas a été montré pour la première fois, rendait hommage à Grace Passô. Inspirés par l’énigmatique portail transtemporel de son court-métrage Quintal (2015), nous avons choisi de retranscrire ces deux moments dans l’élan d’une prolongation, sans chercher à les scinder.
Entre – temps : dialogue entre Ela Volta na Quinta (2014) et Temporada (2018).
Débordements : Vous avez réalisé de nombreux courts-métrages, parmi lesquels Quintal (2015) et Pouco mais de um mês (2013), tous deux sélectionnés à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes, ainsi que Fantasmas (2010) et Domingo (2013), qui ont inauguré les premiers pas de votre société de production collective Filmes de Plástico. Maintenant que vous avez terminé votre second long-métrage, Temporada (2018), comment revoyez-vous ces courts-métrages ?
André Novais Oliveira : L’écriture des courts-métrages venait de nombreux échanges avec des amis de cinéma de Belo Horizonte, durant lesquels nous nous attardions beaucoup sur le rôle des femmes, la manière de prendre en charge les accents, sans chercher ni à les atténuer ni à les forcer. Dans Fantasmas, filmé dans la rue de chez mes parents, il m’importait de chercher à libérer la parole, que nous l’écoutions comme Maurílio et Gabriel Martins parlent dans la vie courante, sans chercher à la forcer au nom d’une expression locale. Le film a été tourné en un samedi et nous l’avons monté rapidement, dans l’énergie du tournage. Je n’ai jamais cherché à réprimer la réalité au nom des images cinématographiques. Par exemple, je filme des personnes grosses, comme moi. Si ces personnes existent autour de moi et m’accompagnent au quotidien, il n’y a pas de raison qu’elles ne soient pas présentes à l’écran et cela passe également à travers la mise en scène de mon propre corps. Ce sont des éléments que j’ai incorporés dès mes courts métrages et cherché à approfondir dans mes longs-métrages.
D. : Le lieu de tournage de votre premier long-métrage, Ela Volta na Quinta, a ceci de particulier qu’il se confond tout à fait avec votre lieu de vie d’alors, la maison de vos parents de votre périphérie natale, Contagem, là où Temporada s’ancre dans des lieux d’emblée fictionnalisés. Comment avez-vous travaillé cette superposition spatiale pendant le tournage d’Ela Volta na Quinta ?
ANO : Cela a été un processus intuitif à partir du projet d’un court-métrage que je n’ai jamais finalisé, où j’observais ma famille chez elle. Cette expérience m’a aidé à voir mon lieu de vie autrement, à penser où je pouvais mettre la caméra, à expérimenter mon lieu de vie par le découpage. Le tournage s’est déroulé durant quinze jours d’affilée avec une économie de court-métrage. J’étais réalisateur et mon propre assistant à la fois, plusieurs personnes de l’équipe avaient un double rôle pendant le tournage chez moi.
D. : Les plans urbains de votre premier long-métrage prennent place sans systématisme, comme des notes qui viendraient appeler le hors-champ selon une fréquence imprévisible. En quoi vous importaient-ils dans la structure générale du film ?
ANO : Je voulais avant tout filmer chez mes parents, où je vivais à l’époque et où mon père continue à vivre – ma mère est décédée en 2018. Je voulais filmer cette transition de la périphérie vers le centre de Belo Horizonte. Le paradoxe du quartier Amazonas de Contagem que je filme est que le centre de Belo Horizonte est plus proche que le centre de Contagem. J’avais envie de rendre compte des mouvements de la ville. Les plans urbains étaient déjà présents au scénario, il faisait partie d’une composition du film à laquelle j’avais pensé bien en amont.
D. : Comment s’est déroulé le processus d’écriture de Temporada, en tant que continuité et rupture vis-à-vis d’Ela Volta na Quinta, notamment dans le fait d’ancrer un nouveau long-métrage dans votre ville natale, Contagem, mais en la filmant cette fois-ci depuis le point de vue étranger de Juliana, personnage de fiction interprété par Grace Passô ?
ANO : Le temps d’écriture a été long, difficile, il m’est arrivé de ne pas savoir dans quelle direction j’allais. Un aspect important du processus, notamment vis-à-vis du personnage de Juliana, est que j’ai exercé le même travail, agent de contrôle des endémies, en 2007. J’avais déjà commencé à écrire des situations que j’avais vécues et observées en les adaptant dans un mode fictionnel. Les conversations avec mes ex-collègues qui continuaient à combattre la dengue ont été très importantes. Il y a une dimension réelle dans l’écriture des personnages autour de Juliana, tandis que Juliana tient davantage de l’invention. Le fait que Juliana soit un personnage étranger, qu’elle traverse un processus de transformation quant à un nouveau lieu de vie et que chaque porte à laquelle elle frappe s’ouvre pour dévoiler un univers particulier de la périphérie, était une idée importante au début du scénario. La majorité des lieux où nous avons filmé sont ceux de mon enfance. Grace Passô vient d’un lieu ressemblant, elle connaissait Contagem d’une certaine manière, c’était un lieu étranger pour elle mais où elle pouvait projeter sa propre expérience. Quand Grace a lu le scénario pour la première fois, nous avions déjà choisi les lieux de tournage principaux.
D. : Quelle a été la différence majeure en termes de tournage de quartier entre vos deux longs métrages ?
ANO : Des habitants du quartier filmé et de quartiers proches ont participé aux films. Dans Ela Volta na Quinta, il n’y avait que des acteurs non professionnels et il y avait très peu de répétitions. Dans le cas de Temporada, c’est une grande cohabitation, il y a des acteurs non professionnels, dont certains avec une expérience, notamment ma famille, des acteurs de cinéma et des acteurs de théâtre dont certains n’ont jamais tourné. J’ai davantage travaillé la répétition. Dans Ela Volta na Quinta, la grande partie du film ayant lieu chez mes parents, il y avait une synergie particulière pendant le tournage, puisqu’en me réveillant, je pouvais installer le tournage avec ma famille et préparer la scène que nous allions tourner la nuit. Tout le monde était en pyjama, nous prenions le petit-déjeuner et nous répétions ce qui allait se filmer plus tard. Toutes les pièces de la maison, à l’exception des toilettes, font partie du film ! Dans Temporada, je travaillais à inventer des lieux dans ma tête et il fallait leur donner une épaisseur sans les avoir vus, sans savoir s’ils allaient pouvoir exister de cette manière. Cela a à voir avec ma connaissance historique du quartier, ainsi qu’avec le souhait de voir comme cette histoire s’inscrit dans les lieux. Le cabanon de Juliana a une cour et on trouve une maison en face. Cela est typique dans les quartiers périphériques comme le mien. Au commencement de la construction de ces quartiers, les gens achetaient les parcelles vacantes et ils construisaient la maison du propriétaire en face, il restait donc cet espace derrière. De cette manière, ils anticipaient de mauvaises situations financières en sachant qu’ils pourraient louer cette petite maison dans la cour. J’ai voulu rendre visible cette configuration architecturale qui raconte la formation et l’évolution des périphéries. La maison où apparaît le personnage joué par ma mère, avec sa cour arborisée impressionnante, raconte une autre histoire du quartier, davantage des années 1990, où les enfants jouaient. En réalité, cette cour n’existe plus, mais j’avais besoin de réactiver ce type de lieu, d’en rappeler à une réalité passée de la périphérie dans laquelle j’ai grandi. Finalement, une différence importante entre Ela Volta na Quinta et Temporada, c’est que pour le premier film, je filmais des lieux connus depuis trente ans et dans le second, je filmais des lieux que je venais de découvrir huit heures auparavant mais qui généraient un désir de mise en scène spécifique.
D. : Dans deux séquences de Temporada, l’une où Juliana se retrouve sur une terrasse qui donne sur tout le quartier, l’autre où Juliana surprend un collègue en pleine contemplation d’un lac formé par les égouts, non seulement vous réhabilitez la valeur de paysages pour des espaces qui pourraient être considérés sans qualité, mais vous les habitez selon une temporalité qui engendrent chez le spectateur un état de co-présence dans ces lieux affectés. Comment ces scènes se sont imposées dans l’écriture du film ?
ANO : J’ai la volonté de dépeindre des aspects de la vie périphérique qui ne sont pas considérés comme esthétiques, et cela ne veut pas dire que je considère qu’un lac formé par les égouts le soit, mais ce sont des lieux où je peux passer du temps, parce que ce sont au final des lieux communs. Pour la séquence depuis la terrasse, j’avais envie que ce soit un moment de découverte de l’échelle de la ville, c’est la raison pour laquelle l’une des rares répliques de Juliana à ce moment-là est ingénue, « ça alors, il y a beaucoup de gens ! ». Cette séquence est un moment d’apprentissage partagé sur le quartier et une manière de rendre compte des transformations urbaines qui affectent la vie des gens avec des particularités pour chaque génération.
Contagem, cœur du monde.
D. : Comment pourriez-vous décrire votre ville natale, Contagem, pour un spectateur qui n’y est jamais allé ?
ANO : Sur la carte, Contagem a la forme d’une étoile étendue, elle a une forme géographique très étrange, elle touche Belo Horizonte de manière surréelle par endroits, très loin du centre. C’est une ville complexe, une ville dortoir car la plupart de ses habitants vit à Belo Horizonte. Le matin, les bus sont pleins. Mais il y a aussi une vie propre à Contagem, notamment liée à son industrie. C’est aussi une ville qui a de sérieux problèmes structurels et dont le développement dépend étroitement de Belo Horizonte.
D. : Dans son texte sur Temporada, la critique Carol Almeida écrit, au sujet de la dynamique du film : « Corps noirs dans des espaces périphériques. Corps périphériques dans des espaces d’affect. » Pour vous, en tant que notion globale, où commence la périphérie ?
ANO : C’est un aspect étrange car s’il existe des périphéries, il existe un centre. J’ai toujours vécu loin du centre, cette distance donne à penser certains aspects. Depuis quelle perspective regarde-t-on les choses ? Qu’est-ce que cela implique ? Les personnes de périphérie souffrent beaucoup des préjugés concernant cette distance. Parler du quotidien en périphérie est de fait étrange car on nous donne l’impression que toutes les choses importantes ne se résolvent qu’au centre tel qu’on le désigne, alors que les périphéries ont aussi leur centre, comme le quartier Amazonas de Contagem où nous avons filmé. Le mot périphérie est insuffisant.
D. : Pensez-vous que filmer la périphérie implique une conscience de mise en scène particulière articulant éthique et esthétique ?
ANO : Je pense que le plus important est de filmer avec respect et attention, et de faire un travail d’observation et de recherche réel, même si l’on filme sans venir de la périphérie. Parce que même les habitants de la périphérie peuvent avoir un regard construit de préjugés sur leur propre lieu de vie.
D. : Depuis que vous avez commencé à filmer Contagem, avez-vous la sensation d’avoir contribué à l’émergence d’un autre lieu et d’une transformation de votre perception vis-à-vis de votre lieu de vie initial ?
ANO : Je suis heureux d’avoir fait le portrait du quartier où j’ai grandi. Maurílio et Gabriel Martins réalisent le portrait de Contagem à travers leurs quartiers, avec leur subjectivité et leur histoire, de manière proche mais différente. Nous avons une liberté totale parce que personne n’a réellement filmé notre vie à Contagem avant nous. Beaucoup d’habitants de Contagem sont venus voir le film lorsqu’il y a été projeté et le processus d’identification était très fort. Désormais, il y a une jeune femme originaire du quartier Eldorado de Contagem qui réalise des courts-métrages, Sara Não Tem Nome [littéralement, Sarah n’a pas de nom]. Elle est photographe, artiste, chanteuse et fait des films. Elle n’est pas seule, il y a une émergence progressive. Le réalisateur mineiro Samuel Marotta a un projet de film, Vizinhança (Voisinage) qui interroge l’émergence d’un cinéma de Contagem comme révélateur d’une dynamique de Minas Gerais à partir d’une localité inconnue et qui, à mon sens, révèle tout un cinéma brésilien qui donne une autre vision du pays, depuis son intérieur même. Le « voisinage » de Contagem est à relier avec une volonté nationale de parler de nos propres lieux avec une certaine sincérité.
D : Comment vos longs-métrages ont-ils été reçus par les spectateurs de Contagem ?
ANO : Même si le rythme de nos films ne ressemblent pas vraiment à ceux qui sont diffusés dans les centres-commerciaux, que la majorité du public voit, il y a un préjugé selon lequel les spectateurs de périphérie ne seraient pas cinéphiles. Il existe pourtant une véritable cinéphilie, et mes films y ont été chaleureusement reçus. Entre sans doute aussi en jeu un processus d’identification, car les périphéries brésiliennes restent encore peu montrées au cinéma sans être stigmatisées.
Regards sur le cinéma brésilien.
D. : À l’occasion de plusieurs entretiens, vous évoquez votre goût pour la recherche sur l’histoire du cinéma brésilien. Vous avez par ailleurs travaillé comme programmateur pour la Sala Humberto Mauro en 2011, centre de la cinéphilie de Belo Horizonte où dialoguent époques et géographies cinématographiques. Y a-t-il eu des films particulièrement importants avant votre passage à la réalisation ?
ANO : J’ai eu la chance de travailler chez un loueur de films pendant un certains temps, ce qui m’a permis de voir beaucoup de films étranges et rares. J’y ai aussi découvert des classiques marquants, dans des genres différents, de Billy Wilder à Spike Lee. Pour Ela Volta na Quinta, Killer of Sheep (1977) de Charles Burnett, que j’ai découvert lors de l’Indie Festival de Belo Horizonte, a été une référence centrale, et ce particulièrement pour la manière avec laquelle des personnages noirs sont mis en scène. Dans mon film, certaines scènes ont été clairement stimulées par Killer of Sheep sans qu’il s’agisse d’un hommage littéral. Pour Temporada, deux films en particulier m’ont aidé à trouver le chemin, Paterson (2016) de Jim Jarmusch et Certaines femmes (2016) de Kelly Reichardt.
Un réalisateur mineiro du Nord de l’Etat, Carlos Alberto Prates Correia, qui a surtout réalisé des films dans les années 1970 et 1980, m’a beaucoup intéressé lorsque j’étudiais l’Histoire. Le cinema marginal [au sujet duquel Joanna Espinosa a écrit ici même] est, dans un tout autre genre, une influence importante pour moi, particulièrement le cinéma de Júlio Bressane. Il est également très important pour moi d’accompagner le cinéma brésilien contemporain, notamment en tentant de voir le plus de courts-métrages possible. J’aime particulièrement le cinéma de Marcelo Pedroso et de Guto Parente, j’entends, non seulement leurs films mais aussi leur manière de penser et faire le cinéma. Leur influence est notable jusqu’à la manière de penser nos productions à Belo Horizonte [Marcelo Pedroso et Guto Parente sont des cinéastes du Nordeste, respectivement des Etats de Pernambouc et du Ceará]. Avec la plupart des réalisateurs brésiliens contemporains, nous nous accompagnons beaucoup dans les festivals nationaux, c’est là que nous avons découvert nos premiers films respectifs et que nous continuons avec nos longs-métrages.
D. : Pensez-vous appartenir à une génération de cinéastes brésiliens indépendants, en termes d’inscription historique dans une époque particulière du cinéma national ?
ANO : Je pense effectivement que je fais partie d’une première génération qui filme les espaces périphériques où elle vit et que cela se lit en écho avec un moment de l’histoire du Brésil et non comme une suite d’exceptions. Cela a directement à voir avec les gouvernements du Parti des Travailleurs, avec les politiques publiques mises en place pour démocratiser l’accès aux études universitaires pendant les mandats de Lula et Dilma. Je fais partie de la première génération de ma famille à avoir pu étudier. C’est également le cas pour mes complices de travail Gabriel et Maurílio Martins, comme d’autres amis cinéastes périphériques originaires d’autres Etats, comme Adirley Queirós, qui a d’abord été joueur de football et fonctionnaire public avant de pouvoir réaliser des films.
Au niveau de ma région, Minas Gerais, cela s’est pleinement exprimé par l’émergence d’une nouvelle génération de cinéastes. Cela fait dix ans que les Filmes de Plástico existent mais également dix ans que je connais des amis de cinéma comme Affonso Uchoa (réalisateur de A Vizinhança do Tigre (2014), co-réalisateur avec João Dumans d’Arábia (2017)) et de Juliana Antunes (réalisatrice de Baronesa [2017]) notamment. Jusque-là, il y avait très peu de longs-métrages réalisés par des mineiros, Helvécio Ratton serait sans doute la figure qui a réalisé le plus de films dans la région. J’ai réalisé un travail d’initiation à la recherche sur le cinéma mineiro des années 1960 où il y a eu une effervescence en termes de production. Mais aujourd’hui, il y a beaucoup plus de diversité dans les films réalisés et cela est évidemment lié à la démocratisation des outils numériques, car il y a finalement peu de fonds publics, même s’ils existent, à se partager pour le nombre de projets qui surgissent.
D. : Quels sont les lieux du Brésil dont vous sentez encore le manque dans le cinéma national indépendant ?
ANO : Le Brésil traverse un moment fou où des films surgissent dans de nombreux Etats où il n’y avait jusque là peu voire pas de cinéma, par-delà les capitales. Mon désir est évidemment de voir ce phénomène augmenter. Par exemple, je n’ai jamais vu de film du Pará [Etat du Nord dont la capitale est Belém]. C’est une question de temps et d’investissements dans les différents Etats pour que la décentralisation continue à être plurielle à l’échelle du Brésil. Pour ma part, j’ai actuellement envie de sortir un peu de Contagem et de tourner aussi des projets assez différents dans l’interior de Minas Gerais et en périphérie de São Paulo. J’ai actuellement un scénario qui se passe principalement à Belo Horizonte et plusieurs projets de documentaires qui travaillent directement sur l’histoire du cinéma brésilien mais pour le moment je n’ai pas obtenu les fonds nécessaires pour les mener à bien.
D. : Dans le contexte brésilien actuel, quelles questions vous traversent pour vos prochains projets de films ?
ANO : Le racisme, la manière dont nous l’affrontons ou non, cela est très présent dans ma manière de construire des personnages noirs plus complexes. Je veux avant tout continuer à raconter des histoires avec des personnages périphériques. Les dix ans de Filmes de Plástico sont très importants pour nous et nous sommes traversés par le désir de savoir comment seront nos prochains films, comment ils parleront au public, notamment de périphérie, comment continuer à faire notre cinéma tout en cherchant à ce qu’il soit indépendant et populaire. Nous voulons que nos films arrivent davantage encore auprès de nouveaux spectateurs. En attendant, nous pensons réaliser un livre autour de ce qui a pu s’écrire sur les Filmes de Plástico depuis dix ans.