Fast & Furious 8, F. Gary Gray

Broadway to hell

par ,
le 2 mai 2017

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Plutôt que d’écrire à son sujet, la posture la plus saine ne consiste-t-elle pas à regarder passer Fast & Furious 8 comme l’inoffensive folie de milliardaire qu’il est ? Il y a bien une étrangeté ou deux à relever, une ou deux cascades politiques, des failles en pagaille, mais F. Gary Gray, “nouveau venu sur la franchise”, comme on dit – et cinquième à s’y frotter – se moque, comme rarement qui que ce soit auparavant, de tout esprit de sérieux.

Fast & Furious 7 a remporté plus d’un milliard de dollars au box-office ; ce huitième épisode est le premier d’une trilogie post-Paul Walker programmée, et l’objectif affiché n’est pas de faire un film mémorable mais bien de donner des atours rapides et furieux aux existences lentes et débonnaires des millenials que nous sommes tous devenus, indépendamment de notre date de naissance, cherchant en Hollywood quelque philtre d’amnésie passagère.

Les blockbusters avaient pourtant fini anoblis par une poignée d’auteurs obligés d’optimiser le rendement de leurs budgets faramineux : Spielberg, Nolan, Zemeckis, Cameron, entre autres, ont chacun échafaudé leur oeuvre au-delà des réclamations de producteurs, et sur une matière première si chère qu’elle impliquait un minimum de méticulosité. Même le premier Fast & Furious appartient à cette volonté-là. Son réalisateur, Rob Cohen, ayant cherché à raconter quelque chose d’une guerre fratricide qui n’avait rien d’original dans le fond, mais se cherchait une forme : certains passages évoquaient la comédie musicale rap (reprise ici lors d’une séquence d’émeute en prison hyper-chorégraphiée) ; innovaient côté technique (la dématérialisation de la caméra en était à ses balbutiements lorsqu’elle glissait d’un bolide à un autre en pleine course) et ne reculaient pas devant les ambitions affectives (on pouvait finir touché par le lien familial construit puis remis en question entre le flic et le voyou – ce que l’épisode 7 a dû réitérer malgré lui).

C’était en 2001. Or nous sommes en 2017, au-delà d’un septième opus, fatalement conclusif, que la mort de Paul Walker contraignit à une solennité inattendue. Après ce regain de sérieux dans une franchise qui, au-delà d’un cinquième épisode ambitieux, prévoyait plutôt le joyeux n’importe quoi (le sixième épisode et sa piste de décollage de 42km), F. Gary Gray débarque ainsi comme un cochon dans une boutique de confiture, et reprend l’autoroute du blockbuster trépané, étalant des gros plans sur des pneus vrombissants au ralenti avec un décontenançant sans-gêne de nouveau riche, pompes pseudo-zimmeriennes en sus.

L’affiche en dit long : un sous-marin nucléaire poursuit des petites voitures sur la banquise. Le problème n’est pas que cela ait peu de chances d’arriver dans la vie de tous les jours, ou qu’une scène pareille soit aussi utile à la marche du monde qu’un gosse en train de jouer aux Lego au fond dans sa chambre (le parallèle est revendiqué : “they call it the toy box“, lance un personnage dans un garage) – le problème, c’est qu’il s’agit de la scène finale du film, qu’en général on essaie de garder pour soi le plus longtemps possible afin de laisser au spectateur au moins une chose à découvrir que les bandes-annonces à répétition ne lui auront déjà pas entièrement révélée. Quelle surprise c’eût été de voir ce porte-avion téléguidé par Charlize Theron, piquée à Mad Max : Fury Road (comme Kurt Russell est piqué à Boulevard de la Mort), fendre la glace et envoyer des torpilles glissantes. Quel culot, se serait-on volontiers exclamé ; quelle incroyable surprise, quelle audace, quelle imagination.

Or F. Gary Gray ne mise pas là-dessus, et le film entier non plus : personne n’a demandé à être surpris, apparemment. Que veut-on alors ? Hypothèse : juste voir les images bouger. Voir ce que donnera l’affiche, une fois animée. Soit exactement le même postulat que le remake de La Belle et la Bête sorti ce mois-ci, lui aussi ayant engrangé plus d’un milliard de dollars de bénéfices : on sait déjà ce qu’on va voir, on connaît l’histoire par cœur, on s’en fout, on veut juste vérifier que les images bougent comme il faut. De façon assez inattendue, Fast & Furious 8 n’est que du cinéma de pervenche : on vient vérifier que tout est en ordre.

Semblable à La Belle et la Bête encore, le pseudo-féminisme ludique de l’ensemble, aussi vide que le reste, confiné ici aux rôles de Michelle Rodriguez et de Charlize Theron, ainsi qu’à un travelling avant vers la jeune femme qui vient de donner le top-départ d’une course à Cuba, dont on a juste observé la courbe des fesses pendant un quart-d’heure et dont le buste se retrouve soudain cadré, in extremis, le temps d’un gloussement. Est-ce que c’est grave ? Est-ce qu’il faut en parler ? Ce n’est même pas sûr. Que l’emblème de cet opus-là soit une poursuite au milieu de limbes glaciales résume l’horizon intellectuel de la chose : cryogéniser la morale le temps d’un film complètement débile, avant de reprendre, peut-être, les choses en main pour les deux derniers épisodes.

Pas besoin du coup de chercher à comprendre ce que fait ce film, premier à tourner à Cuba depuis la levée de l’embargo, en commençant par une course-poursuite dans les rues de La Havane pour se terminer en Russie. Et pas besoin du tout de se demander ce que signifie cette lente déréalisation du film, qui commence à Cuba, relativement réel, et s’achève en Russie, entièrement numérique, comme si avec le glissement vers l’est, on en retournait au fantasme et à la légende. Avec son Antonov gigantesque de dessin animé, le cartoonesque Fast & Furious 6 s’achevait également sur une Russie caricaturale ; là où le 7 – le solennel – se terminait à la maison, sur un parking de Los Angeles. Il y aurait sans doute à redire sur les réécritures géopolitiques à l’œuvre dans ces films de soi-disant divertissement, mais on attendra au minimum que les épisodes 9 et 10 soient sortis pour tenter le coup.

Pour l’instant, sourions un peu quand même : la meilleure scène du film voit le personnage de Charlize Theron prendre le contrôle, à distance, d’une armée de voitures en plein New York. Commandées par ordinateur, ces véhicules (qui, coïncidence heureuse, sont tous générés par ordinateur) constituent un flux liquide de carcasses envahissant les boulevards, s’ouvrant sur les obstacles et se refermant derrière eux, dévalant au virages comme un torrent ou tombant des parkings comme autant de gouttes d’eau (“make it rain !“). Appelée scène des “voitures-zombies”, cette séquence propose effectivement quelque chose de l’épiphanie, de la prise de conscience d’une saga de morts-vivants – hommage à l’acteur ressuscité par images de synthèse dans l’épisode 7, le bébé final prend d’ailleurs le nom de feu le personnage de Paul Walker, Brian.

Cette année Pixar sortira Cars 3, où les voitures sont sentientes et peuvent discuter entre elles dans un monde sans humains : au rythme où vont les choses, le dixième épisode de Fast & Furious raccordera avec le premier de Cars, et nous nous retrouverons en 2020 avec treize épisodes sur la manière dont l’humain s’est confondu avec ses machines, et tout un pan du cinéma hollywoodien avec sa propre machinerie, débarrassé de ce qui est vivant et des aléas afférents. On raconte que sur le tournage, Vin Diesel et Dwayne Johnson ne pouvaient pas se voir ; le film entier leur évite de se croiser. Le barbecue final en est ridicule : Johnson est cantonné aux inserts comme on est mis au coin, la doublure dos de Diesel a l’air de bouder au fond des plans… Mais peu importe : les images bougent vite, et la bande-son a l’air très en colère. Il faut croire qu’il n’y a ici besoin de rien d’autre.

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Fast & Furious 8, un film de F. Gary Gray, avec Vin Diesel (Dominic Toretto),
Dwayne Johnson (Luke Hobbs), Jason Statham (Deckard Shaw), Michelle Rodríguez (Letty Ortiz), Charlize Theron (Cipher),...

Scénario : Chris Morgan / Photographie : Stephen F. Windon / Décors : Bill Brzeski / Montage : Paul Rubell et Christian Wagner / Musique : Brian Tyler

Durée : 136 mn

Sortie : 12 avril 2017.