1. L’artiste et écrivain Henry Darger (1892-1973) est l’auteur d’un roman de plus de quinze mille pages intitulé The Story of the Vivian Girls, in What is known as the Realms of the Unreal, of the Glandeco-Angelinnian War Storm, Caused by the Child Slave Rebellion, accompagné de centaines de dessins aquarellés sur rouleaux de deux à trois mètres de long. Cette œuvre considérable a été découverte au moment de sa mort, dans la chambre qu’il louait au couple d’artistes Nathan et Kiyoko Lerner. La même année, Coleen Fitzigibbon, alors étudiante à l’Art Institute de Chicago, y tourne Darger’s room avec Michael Thompson.
Tels d’autres habitats-ateliers rencontrés dans le domaine de l’art brut et outsider, cette chambre déconcerte par son encombrement. Henry Darger y accumulait divers objets, et les y conservait avec soin : des comics, des magazines, des photographies, des bibelots, des bouteilles, des jouets, des images religieuses, des chutes de ficelles… Certains éléments de ces collections lui servaient de matériaux, ou de sources d’inspiration ; mais pour d’autres, le rapport avec son œuvre demeure incertain. Coleen Fitzigibbon en recueille ici quelques-uns, filmant d’on ne sait quelle main, voletante et confondue parmi eux comme s’il s’agissait de flocons de neige.
2. « En dehors de Mrs Gannon (ma Marraine ne l’aimait pas) et des deux pères, il y avait une sorte de superviseur. Il s’appelait Otto Zink.
Lui, mon « fardeau éternel » John Manley et les frères Scanlon, ils m’ont dénoncé à Mrs Gannon et au père O’Hara, m’accusant de quelque chose dont Dieu sait que j’étais innocent, mais je n’avais aucun moyen de le prouver. Il me semblait également que je n’étais ni assez intelligent, ni assez courageux pour rejeter cette accusation avec force.
Le père m’a corrigé autant de fois qu’on m’avait dénoncé, me frappant les mains avec ces caoutchoucs que vous mettez sur vos chaussures.
Si j’avais su où aller, si d’autres avaient pu me prendre en charge, je me serais certainement enfui.
Je détestais mes accusateurs ; j’aurais voulu les tuer mais je n’ai pas osé. Jamais je n’ai été leur ami ; je suis encore leur ennemi, qu’ils aient ou non vécu jusqu’à ce jour.
Cependant c’est pour d’autres choses curieuses que je faisais vraiment qu’on me trouvait fou et m’appelait ainsi.
C’était en particulier à cause de cette façon étrange que j’avais de bouger la main gauche, comme si je pensais que la neige tombait.
Si j’avais su cela, je ne m’y serais livré que lorsque j’étais seul. »[11] [11] Henry DARGER, L’histoire de ma vie, Les Éditions Aux Forges de Vulcain, 2015, pp. 38-39.