Comment sortir de l’écartèlement entre les prédictions catastrophistes et les dénis fervents ? Comment inventer des manières de vivre qui soient en même temps des façons de perdurer ? Voilà quelques-uns des chantiers qu’ouvre aujourd’hui la question écologique, et auquel le cinéma contribue à sa façon. Comment ? D’abord en constatant, en pointant. En faisant affleurer, d’une part, les traces d’un délabrement terrible dans sa patience même. D’autre part, en exposant la palette des réactions et propositions qui ne cessent de croître suite à ce qu’il faut bien appeler une prise de conscience. De ce point de vue, tous les cinémas peuvent être convoqués, depuis les blockbusters qui déclinent les scénarios de la fin du monde tout en maintenant leur idéal esthétique et économique de dépense somptuaire, jusqu’aux documentaires désargentés relevant ici ou là l’avancée du désert et l’implantation des oasis. On le comprend, interroger le cinéma à l’aune de l’écologie est un projet aussi vaste que flou. Un projet n’admettant que des réponses partielles, et qui trouve après une série d’entretiens publiés sur Débordements (avec Elise Domenach, Jean-Baptiste Fressoz et Hervé Aubron) un développement dans ce second numéro papier : Terrestres, après tout.
Celui-ci s’ouvre sur un entretien-fleuve mené par Romain Lefebvre et Florent Le Demazel avec Dominique Marchais, le réalisateur du Temps des Grâces ou de Nul homme n’est une île. Traitant d’agriculture, d’un réseau hydrographique ou encore d’expériences collectives soucieuses de penser l’avenir en accord avec le milieu, ses films sont spontanément associés à l’écologie. Mais ce sont des liens plus complexes qui se révèlent au fil de l’échange : revenant sur son travail de recherche et de réflexion ainsi que sur les étapes du tournage et du montage (la recherche du point de vue adéquat, le souci de mêler les échelles et de donner à voir les relations), le cinéaste témoigne ici d’une conception de l’écologie qui consiste avant tout à ne jamais séparer la question de la nature des dimensions politiques et économiques qui en informent l’usage. Si le nom de David Simon s’est glissé dans la discussion, comme pour offrir une douce transition d’un numéro à l’autre, nous n’en serons pas tenus pour responsables.
Les liens entre cinéma et écologie sont ensuite explorés au fil d’une collection d’essais, réflexions singulières autour d’un mouvement cinématographique (les avant-gardes des années 1920), de la démarche d’un·e cinéaste (Kelly Reichardt, James Cameron…) ou d’une thématique transversale (les animaux, les déchets). Les enjeux écologiques tels qu’ils nous apparaissent aujourd’hui peuvent-ils seulement être figurés ? C’est, en sous-main peut-être, la question des relations que nous entretenons avec la nature qui doit se poser. Elles incluent nos représentations de la nature environnante, les transformations que nous lui infligeons à l’ère de l’Anthropocène ; il y a aussi, en retour, les façons dont la nature nous apparaît, se fait sentir à nous, ne serait-ce qu’à partir de nos corps, notre substance d’êtres terrestres qui lui appartient toujours.
Avec des contributions de Amélie Barbier, Gabriel Bortzmeyer, Jérémie Brugidou, Olivier Cheval, Jean-Michel Durafour, Lucie Garçon, Jeanne-Bathilde Lacourt, Alice Leroy et Jean-Marie Samocki.
Enfin, une « conversation potentielle » menée par Charlie Hewison entre Emmanuel Lefrant, Frédérique Menant, Olivier Fouchard et Mahine Rouhi permet d’envisager une écologie des pratiques cinématographiques expérimentales. Ces cinéastes travaillent en argentique et hors de l’industrie, en s’organisant en collectifs ou en laboratoires d’artistes. Ils élaborent ainsi des techniques de développement moins polluantes tout en se réappropriant les moyens de production. À travers leurs démarches laissant le climat, la terre et les éléments agir à la surface même de la pellicule, s’inventent de nouveaux rapports entre le film et le paysage, au-delà de toute question de représentation.
Débordements n°2 comprend 256 pages, dont 32 pages d’images.
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