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12 mars
Marche en fin d’après-midi sur la côte au nord de Beyrouth. Je marche enveloppé par le texte, par les mots de John Milton, par la figure de ce corps qui traverse ce paradis perdu. Le filtre opère, la perception se modifie, l’environnement géographique et humain se charge d’un layer qui construit un voir. Je traverse un quartier quelconque, comme il y en a beaucoup dans cette région. Personne ne marche dans ce pays, sauf les Syriens qui traversent les villes à la recherche d’un travail. Au milieu de ces petites rues envahies par les voitures, des « jardins clos », des espaces de paradis perdu résistent. Je tiens toujours la caméra à la main pour enlever toute ambiguïté avec les personnes rencontrées. De loin, elles peuvent savoir la raison de ma présence. Je filme. Je rentre dans l’un de ces jardins abandonnés qui bordent une maison, elle aussi abandonnée. Après avoir filmé la végétation qui se déploie d’une façon anarchique, un massif de fleurs rouge sang, j’emprunte les escaliers extérieurs de la maison qui me mènent sur un toit terrasse. La perte est là, omniprésente. Je sors de la maison et continue de marcher. Un autre « jardins clos ». Je filme. Une voix m’appelle, « Monsieur ! ». Je continue ma recherche de cadre. La voix féminine insiste. Souvent je ne réponds pas. Mais elle semble vraiment vouloir me rencontrer. Je me retourne et la cherche. Je lève les yeux dans l’immeuble d’où semble provenir cette voix. Je ne vois rien. Mon regard fait le tour de l’espace. Puis au rez-de-chaussée, dans l’obscurité d’une fenêtre, une main, une femme. Elle me fait signe avec un sourire. Je m’approche. Elle porte une robe de chambre verte portant quelques dorures brodées sur une robe rouge. Elle m’invite à prendre un café dans un parfait français. Une fois à l’intérieur, elle me demande ce que je fais ici, dans ce quartier un peu délaissé. Je lui explique mon projet…”
Voici le journal de bord tenu par Christian Barani pour son projet Paradis.